TERRORISME - Trois kamikazes équipés de ceintures explosives et de fusils mitrailleurs, des terroristes venus en taxi à l'aéroport, une cible rassemblant de nombreux touristes européens et russes... Tout porte à croire que l'attaque sanglante qui a frappé l'aéroport Atatürk d'Istanbul porte le sceau de l'Etat islamique. Le premier ministre turc, Binali Yildirim, a d'ailleurs expliqué que "les indices pointent Daech".
Pourtant, c'est silence radio du côté de l'organisation jihadiste. Habituellement prompte à revendiquer une attaque commise en son nom, comme on a pu le constater pour Orlando ou Magnanville, l'Etat islamique n'a pas publié le moindre communiqué de revendication. Et en raison d'un blackout médiatique instauré par Ankara, tout le monde est pendu aux lèvres de l'exécutif, lequel cible (sans plus de précisions) les jihadistes.
Alors, pour quelles raisons l'Etat islamique ne revendique-t-il pas cet attentat, dont le retentissement médiatique est planétaire ?
Daech n'a jamais rien revendiqué en Turquie
Si l'on s'en tenait aux communiqués de l'Etat islamique, il n'y aurait eu aucun attentat en Turquie. Cela signifie-t-il pour autant que ce ne sont pas les jihadistes qui sont derrière certains actes meurtriers ? Pas du tout. Près de la moitié des attentats qui ont frappé la Turquie depuis un an sont "attribués" à Daech, faute de revendication en bonne et due forme. Pourtant, il ne fait aucun doute que l'Etat islamique ne se prive pas d'opérer sur le sol turc qui, rappelons-le, partage 822 kilomètres de frontières avec la Syrie. D'ailleurs, l'attentat de Suruç avait été compris comme une riposte de l'organisation jihadiste au renforcement de la lutte antiterroriste opéré par Ankara.
En janvier, l'attaque à proximité de la basilique Sainte-Sophie n'avait pas été revendiquée. Comme celle de Diyarbakir (juin 2015), ni celle d'Ankara (octobre 2015). Interrogé par Slate au moment de l'attentat dans le quartier touristique de Sultanahmet en janvier, le spécialiste du jihadisme, et auteur de L'État islamique le fait accompli, Wassim Nasr, évoquait un "mystère, car l’État islamique revendique toujours". Reste donc à émettre des hypothèses. Certains avançaient au mois de janvier la possibilité d'un acte isolé, or cela n'empêche pas l'EI d'y trouver son compte, comme on a pu le voir avec Orlando ou Magnanville.
La relation particulière entre Daech et la Turquie
Ce mercredi 29 juin, nombreux sont les politiques et commentateurs à pointer la position ambiguë de la Turquie vis-à-vis de Daech. Souvent accusée d'avoir joué un "double jeu", il apparaît pour nombre d'observateurs que l'organisation jihadiste ne veut pas se couper complètement de cette base arrière. Car jusque-là, ce n'est pas la population turque (dont 10% ne considère pas l'EI comme une organisation terroriste) qui était visée. À Suruç, la population est majoritairement Kurde. En janvier dernier, ce sont 10 touristes allemands qui ont perdu la vie à proximité de la Basilique Sainte-Sophie. Et en ciblant mardi 28 juin le hall des arrivés d'un aéroport international, l'Etat islamique savait très bien que les victimes étrangères (a fortiori occidentales et non-musulmanes) seront nombreuses.
"L’État islamique ne revendique pas car il ne veut pas donner l’impression qu’il menace la Turquie laquelle est son seul lien avec le monde", expliquait le chroniqueur turc Kadri Gürsel, cité par Slate, en janvier dernier. Au passage, l'organisation jihadiste dispose de bastions en territoire truc, à l'image d'Adiyaman, ville bénéficiant d'une certaine léthargie des autorités locales. Pour autant, l'EI ne manque une occasion de condamner publiquement le pouvoir turc. En décembre dernier, la propagande de Daech enjoignait les Turcs à quitter "Satan", le président Recep Tayyip Erdoğan, qui s'était engagé davantage au sein de la coalition internationale.
De quoi modifier la stratégie de communication de Daech concernant les attentats perpétrés en Turquie ? Visiblement pas. Car un communiqué à l'image de ceux de Paris ou Bruxelles, constituerait une véritable déclaration de guerre, comme l'expliquait en janvier le chercheur Romain Caillet : "ce peut être une sorte d’avertissement adressé au gouvernement turc, une façon de lui dire: 'on sait que tu es sous pression, que tu en fais le moins possible contre nous mais tu nous bombardes quand même alors attention on peut te frapper aussi, tu devrais rectifier le tir'".
Au regard des déclarations faites par Recep Tayyip Erdoğan après l'attaque de l'aéroport et du réchauffement diplomatique observé ces derniers jours entre la Turquie et la Russie (s'inscrivant plus volontairement dans la lutte anti-terroriste), pas sûr que l'Etat islamique arrive à ses fins. Car quelques heures avant l'attentat de l'aéroport, Ankara se félicitait de la destruction de quinze positions de l'Etat islamique en Syrie.