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Deux amendements pour une télé en couleurs

L’Assemblée nationale débat ce jeudi de deux mesures incitant à refléter la diversité de la France sur les chaînes. Mais le CSA, gendarme de l’audiovisuel, n’aura pas de pouvoir de sanction.
par Jérôme Lefilliâtre
publié le 29 juin 2016 à 19h41

La télévision française est-elle trop blanche ? Oui, d'après le gouvernement, qui présente ce jeudi à l'Assemblée nationale deux amendements à la loi égalité et citoyenneté visant à augmenter la représentation des «minorités visibles» sur les chaînes nationales. Pas de quoi révolutionner la couleur des antennes, même si le Front national a immédiatement crié au loup. Son vice-président, Florian Philippot, dénonçait, sur Twitter mercredi, le «triomphe d'une vision ethnique et racialiste de la nation».

Boussole

Pourtant, dans le petit monde de la télé française, obnubilé en cette fin de saison par le mercato des animateurs et la confection des grilles de rentrée, l'initiative est passée largement inaperçue. D'ailleurs, les chaînes que nous avons sollicitées pour les commenter n'ont pas répondu. Est-ce parce que ces deux amendements, modifiant à la marge la grande loi de 1986 régissant le paysage audiovisuel, sont très peu contraignants ? Le premier se contente d'ajouter aux devoirs des chaînes «la lutte contre les préjugés liés à la diversité de la société française» et leur demande de fournir «des indicateurs quantitatifs et qualitatifs sur la représentation de la diversité française dans leurs programmes». Mais il ne fixe pas d'objectifs précis, ni même de quotas.

Le second confère une nouvelle mission au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) : à charge pour lui désormais de «veiller» à ce que les antennes respectent ces exigences, sur la base des éléments chiffrés qui lui seront communiqués. Mais aucun pouvoir de sanction ne lui est attribué.

«Bref, cela ne change pas grand-chose, on est plus dans l'ordre du symbole, décrypte une source proche du dossier. Ces amendements obligent les chaînes à rendre compte de ce qu'elles font en matière de diversité alors qu'aujourd'hui le CSA l'évalue lui-même, avec son baromètre de la diversité. Mais le CSA n'aura pas plus de pouvoir réglementaire sur le sujet. Pourtant, cela lui permettra d'aller plus loin, en rendant obligatoire ce qui figure dans sa délibération du 10 novembre 2009.»

C'est ce texte, appelant à la bonne volonté des chaînes, qui sert de boussole à l'audiovisuel en matière de représentation de la diversité. Il leur impose d'écrire chaque année une lettre au CSA dans lequel elles doivent détailler ses engagements pour les douze mois suivants… A lire le baromètre du gendarme de l'audiovisuel, établi à partir du visionnage des programmes de fiction, d'information, des magazines et des documentaires de dix-sept chaînes nationales, son efficacité est limitée. Entre 2012 et 2015, le temps d'antenne dévolu aux «personnes perçues comme non-blanches» n'a pas bougé, à 14 % (malgré une hausse à 16 % en 2013). Surtout, cette proportion augmente lorsque l'on descend les barreaux de l'échelle sociale : les minorités visibles forment 17 % des CSP -, 16 % des inactifs et 37 % des individus ayant… des «activités marginales ou illégales». Autrement dit, elles apparaissent beaucoup plus sur les écrans lorsqu'il est question de délinquance, de misère et de chômage.

«Soyez sympa»

«Sur la diversité, cela fait trois ans et demi que j'ai l'impression de crier dans le désert», se désole Mémona Hintermann-Afféjee. Membre du collège du CSA nommé en janvier 2013, elle suit le dossier avec passion au sein de l'autorité indépendante. «Si on continue de dire aux chaînes "soyez sympa", on n'y arrivera jamais, ajoute-t-elle. Il nous faut un arsenal aussi performant que sur le respect du pluralisme des opinions lors des campagnes électorales.» Sauf que les amendements portés par la secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité réelle, Ericka Bareigts (lire son interview), sont loin d'être aussi stricts. La conseillère du CSA le reconnaît sans peine, mais y voit une première étape encourageante : «Ce n'est pas révolutionnaire, mais cela donnera un minimum de marge de manœuvre au CSA et renforcera son devoir de vigilance. Le changement important, c'est que nous aurons des indicateurs chiffrés.» Etablis chaîne par chaîne, ils permettront au Conseil, s'il le souhaite, de pointer nommément les mauvais élèves - ce qu'il ne fait pas aujourd'hui. Une façon de mettre la pression, un peu, sur les principaux acteurs de l'audiovisuel.

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