Entre montagnes et mers
Courrier Expat

Hong Kong, la nouvelle Métropolis

Hong Kong,Tai Hang, le nid de Siulan

La cité de Hong Kong avec ses hautes tours, ses mouvements de foules, son rythme rapide, ses réseaux souterrains n’est pas sans rappeler, même dans sa structure sociale, la Métropolis de Fritz Lang.

Le réalisateur Fritz Lang, extrêmement sensible à la modernité naissante, avait pressenti avec une pertinente acuité nos cités urbaines du futur et porté jusqu’à son paroxysme dans son film Métropolis (1927), l’esclavage de la classe ouvrière par le grand capital lors de la révolution industrielle.

Si la situation de Hong Kong ainsi que l’époque contemporaine n’ont rien de semblable à celles de Métropolis, il est cependant tentant et séduisant de faire des parallèles en projetant la vision de Fritz Lang sur Hong Kong car La comparaison des structures urbaines et sociales des deux cités montre de multiples similitudes.

La fictive Métropolis était une ville extrêmement moderne. Une des particularités de Hong Kong, est également d’être une ville jeune, née au XIXe siècle dans une époque coloniale dont elle a effacé toute l’architecture pour se reconstruire dans la deuxième moitié du XXème siècle et le début du XXIe au rythme des innovations architecturales de l’époque contemporaine, c’est-à-dire avec des matériaux modernes, le fer, le béton, l’acier le verre et l’aluminium.

Un seul choix : la verticalité alliée à la densité.

Hong Kong est proche de l’image de Métropolis dans le sens où son site exigu, un gros rocher auquel elle s’agrippe, ne lui a laissé qu’un seul choix dans son développement : la verticalité et la densité. Son quartier des affaires, ses gratte-ciel sont concentrés sur un territoire resserré, se côtoyant à quelques dizaines de mètres les uns des autres, reliés par un réseau de passerelles aériennes qui la quadrille, laissant les rues en dessous aux flots de voitures, de bus et de tramways. Des centaines d’escaliers mécaniques descendent vers sa ville souterraine et ses tunnels sous-marins où circulent d’autres flots de trains, de métros et de voitures. Ce sont également les deux caractéristiques majeures de Métropolis, cité qui s’élève vers le ciel et s’enfonce dans les entrailles de la terre, conjuguant lumière et obscurité, métaphores de la richesse et de la pauvreté, du pouvoir et de l’esclavage, de la lutte des classes sociales.

Les riches demeurent en haut, les pauvres en bas

La densité est aussi, comme dans la société de Métropolis, dans ses flots continus de foules compactes qui, aux heures de relève pour Métropolis et prises ou fin du travail pour Hong Kong, s’enfoncent en une masse ininterrompue vers les entrailles de la cité, pour émerger quelque temps plus tard dans les villes satellites des Nouveaux Territoires, cités également verticales.

Fritz Lang a été réellement visionnaire dans la construction de l’architecture sociale de la cité. Les riches, les nantis vivent dans les hauteurs. Le Maître de Métropolis se tient au sommet de la ville, dans un immense bureau de verre où il la contemple et la contrôle. La ville souterraine, sorte d’immense cité publique enfouie, est réservée aux travailleurs.

Il en est de même à Hong Kong, les riches tycoons chinois qui détiennent avec leurs multinationales le parc immobilier et directement ou indirectement tout le pouvoir politique et économique de la cité, ont leurs bureaux et salons de réception au sommet de ces grattes-ciel et leurs résidences dans les hauteurs sur le rocher du Peak, objet de désir et de vanité des milliardaires qui, dans un jeu enfantin mais fort triste, dévoilant les limites de leur intelligence, s’y livrent à une compétition du “C’est moi le plus fort !”. L’un d’eux, un promoteur immobilier de Shenzhen, en Chine continentale, vient de débourser 200 millions d’euros (2 milliards de HK Dollars) pour une villa d’environ 900 mètres carrés !

Nous marchons en foule comme un peuple vouté d’esclaves, l’oeil rivé sur nos téléphones cellulaires

Les loyers diminuent d’ailleurs à mesure que vous descendez vers le pied des collines. Le peuple laborieux, la population la plus pauvre s’entasse au niveau de la mer, dans les quartiers surpeuplés de logements publics de Kowloon où pour ceux un peu plus aisés, dans de petits appartements loin dans les nouvelles cités des Nouveaux Territoires. La structure et la géographie physique des classes sociales des deux cités restent similaires, même si le pouvoir aujourd’hui, plus économique, est moins brutal.

Et si l’on pénètre dans les rouages de Métropolis, on se souvient que son cœur est animé par une énorme horloge qui bat d’un rythme mécanique, implacable, au pied duquel les hommes qui ne peuvent suivre son rythme s’écroulent épuisés, morts.

Rien de tel à Hong Kong, mais ses habitants vivent une course éreintante avec le temps. Le temps de leurs montres-bracelets (c’est le plus grand marché en horlogerie de la Suisse), le temps de leurs téléphones portables, de leurs ordinateurs. Le temps partout affiché : dans les métros, sur les arrêts de bus, dans les lieux publics, sur la façade des immeubles.

Fritz Lang, visionnaire, avait compris qu’avec l’ère moderne, la plus grande révolution, serait celle du temps. Le passage d’un temps dicté par la nature et les saisons, à celui d’un temps dicté par la machine.

Nous y sommes et même plusieurs pas plus loin, car la révolution numérique a pulvérisé les fuseaux horaires, et le monde financier vit 24 heures sur 24 à l’aguet du moindre soubresaut dans l’une des bourses de la planète. Nous n’avons plus les reins broyés par le rythme des machines, mais marchons en foule comme un peuple vouté d’esclaves, l’oeil rivé sur nos téléphones cellulaires. Rappelons-nous Cette répartie très pertinente du peintre Edgar Degas : « C’est ça le téléphone? On vous sonne comme un domestique et vous accourez! »

Revenons à nos deux cités : Otez les couleurs criardes de Hong Kong, regardez-la en noir et blanc, habillez ces foules du même uniforme, et Métropolis est là. Il ne manque plus que les trains suspendus à des hauteurs vertigineuses et les petits avions qui volètent entre les immeubles. Ces petits avions, ce sont, plus poétiquement pour Hong Kong, le vol plané de ses milans qui s’amusent haut dans le ciel à tournoyer entre ses tours de verre.