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L’Islande, en quart de finale de l’écologie politique, mais pas tout à fait championne

Sensation de l’Euro de football, l’Islande, qui affronte l’équipe de France dimanche 3 juillet, est un pays surprenant : très écologique par nombre d’aspects, aspirant à une démocratie renouvelée, les contradictions y sont aussi nombreuses. L’île magnifique mérite en tout cas l’attention.

Dimanche soir, l’équipe de France de football affrontera pour son quart de finale de l’Euro la surprenante équipe d’Islande. Les « garçons » — surnom des joueurs de la sélection nationale, « Strákarnir okkar », en islandais — ont déjoué tous les pronostics en renversant lundi 27 juin l’Angleterre, l’un des favoris du tournoi, après avoir terminé deuxième de leur groupe, devant le Portugal.

Depuis, le football islandais fait les choux gras des médias. Sa centaine, à peine, de joueurs professionnels, son sélectionneur dentiste, son gardien de but ex-réalisateur… Toutes les anecdotes sont bonnes pour raconter la sensation de l’été. Et jusque dans la presse sportive, on remarque un collectif à « l’esprit très ‘‘vert’’ », selon l’expression du journal L’Équipe, qui racontait jeudi la préparation alpine de l’équipe islandaise, à quelques kilomètres du lac Léman, à grand renfort de fruits issus de l’agriculture raisonnée [1].

« Une nature à la fois forte et fragile » 

C’est que l’Islande, île située au nord de l’océan Atlantique, a depuis longtemps une image de paradis écologique. Au dernier classement international de l’indice de performance environnemental (IPE), qui combine 16 critères écologiques différents, le pays est en tête. « Les Islandais sont très fiers de leur nature », dit Michel Sallé, politologue spécialiste de l’Islande. « Ils ont un contact intime avec leur environnement, même s’il leur est parfois hostile », corrobore Eva Joly, qui connaît bien le pays et sa passion du pique-nique, malgré les températures extrêmes.

La région de Landmannalaugar.

Situé sur le rift médio-atlantique, le pays à la plus faible densité d’Europe — 330.000 habitants sur 103.000 km2 — jouit d’une situation hors du commun : « Toute l’île est un volcan, seul le littoral est habitable, le reste est un désert de lave et de glace sur lequel rien ne pousse », explique Jón, voyageur régulier de ce territoire qui possède, avec le Vatnajökull, le plus grand glacier d’Europe. « C’est une nature à la fois forte et fragile, qui offre des paysages superbes », confirme Silja, ancienne guide touristique de l’île.

Sans arbre ni minerai, l’Islande compense la pauvreté de ses ressources naturelles par un incroyable potentiel énergétique grâce à l’énergie hydraulique et la géothermie. Le pays peut ainsi se targuer d’une consommation d’énergie très largement issue des renouvelables : 100 % de son électricité et plus de 85 % de son énergie primaire totale, le reste étant principalement constitué du pétrole importé pour les voitures. « Mais on voit de plus en plus se développer des stations à hydrogène », rapporte Jón, revenu d’Islande il y a quelques semaines. Une situation telle que le film Demain en a fait l’un des modèles d’alternative énergétique : « Les Islandais ont été parmi les premiers à sortir du fossile en construisant leurs centrales géothermiques après la première crise pétrolière », explique Cyril Dion, coréalisateur du documentaire.

Une église de Reykjavik.

Mais abondance de biens peut parfois nuire, en matière d’énergie. « On chauffe les fenêtres ouvertes, il y a beaucoup de gaspillage », relate Jón, qui décrit un envers du décor très consumériste : « L’Islande, c’est aussi des 4x4 à tous les coins de rue et un des taux d’obésité les plus élevés d’Europe ». Les chasseurs de baleine pourraient-ils ne pas être si écologistes que ça ? « Avant le développement de la deuxième moitié du XXe siècle, les Islandais étaient surtout des agriculteurs et des pêcheurs qui luttaient contre une nature qui les maltraitait », dit Silja.

« Le seul pays qui a ouvert une enquête sur ses propres banques » 

« La réalité environnementale du pays est moins le choix d’un peuple qu’une donnée géographique », observe Pascal Riché, grand reporter à L’Obs. Quand il était directeur de la rédaction de Rue 89, il avait sillonné l’Islande à la fin des années 2010, à la sortie de la crise financière. Une expression — « so 2007 » — témoignait alors des fastes d’avant l’effondrement : « Il y avait quelque chose de très bling-bling, il fallait avoir la plus belle voiture, le plus beau mariage. » [2] 

Les sources chaudes de Hveragerdi.

Depuis, la crise est passée par là et a laissé des traces. Pas toutes profitables à l’environnement. Les régies communales d’énergie ont été privatisées, « sous le diktat du FMI », regrette Eva Joly. Et si l’économie islandaise s’est relancée ces dernières années, c’est grâce au tourisme, devenu l’un de ses principaux secteurs d’activités. « La saison 2017 est déjà remplie, il n’y a plus de place dans les hôtels », assure un responsable d’agence de tourisme. Et ce, malgré une frénésie de construction immobilière : « Le centre-ville de Reykjavik et le littoral ont été largement bétonnés ces derniers mois, regrette Silja. C’est le côté “Viking”, enthousiaste : on fait tout, tout de suite, à fond. »

La crise aura toutefois réveillé d’autres ardeurs. « L’Islande est le seul pays qui a ouvert une enquête sur ses propres banques, souligne Eva Joly, qui y avait directement participé en 2009/2010, en tant que conseillère spéciale. C’est remarquable pour un aussi petit pays qui n’avait pas de brigade financière. » On est cependant loin du basculement idéologique en matière d’économie : « Ils ont fait des choses innovantes, avec un aménagement de la dette des ménages, qui aurait pu aussi servir en Grèce, par exemple, à mon sens, dit Pascal Riché. Mais le conte de fée anticapitaliste, c’est une légende de gauche en France. Ils n’ont pas utilisé de recettes si hétérodoxes pour sortir de la crise : ils ont fait de l’austérité budgétaire, avec l’aide du FMI, sans jamais refuser le capitalisme ». Quant à la nationalisation des banques, « c’est un mythe : ils en ont renouvelé l’actionnariat, mais ce ne sont pas des banques publiques ».

Un parti pirate en tête des sondages 

L’Islande charrie donc un certain nombre de fantasmes. « C’est une terre de contraste, et c’est ce qui la rend intéressante : cela fut certes un lieu de l’argent facile et de la spéculation pendant longtemps, mais la capacité de mobilisation et la persévérance à vouloir changer l’ordre établi y ont été plus fortes qu’ailleurs. Il y a peu d’endroits où on a autant bougé ces dernières années », analyse Cyril Dion. Avec Demain, il a également mis en lumière le processus constituant qui bouscule la scène politique islandaise. En novembre 2010, quinze hommes et dix femmes sont élus au suffrage universel, parmi 522 candidats, pour travailler à une modification de la Constitution islandaise. En sort un texte, « pas si révolutionnaire que ça », selon Michel Sallé, qui n’a finalement jamais été adopté : «  Le processus de modification constitutionnel est très lourd », poursuit le politologue.

Près du lac proglaciaire de Fjallsarlon.

Mais l’essentiel est ailleurs pour Pascal Riché : « Si le processus n’a pas abouti, il a été un formidable moment d’ouverture du débat, qui a permis de reposer la question du contrat social. » La scène politique islandaise s’en est d’ailleurs ressentie : alors que les référendums d’initiative populaire sont devenus une revendication forte dans le pays, un mouvement de gauche et d’écologiste a gouverné pour la première fois, en coalition, au tournant des années 2010. « Ça n’a jamais été un pays socialiste, c’est historiquement beaucoup plus conservateur que les autres pays scandinaves », rappelle Eva Joly.

Depuis 2013, les partis conservateurs sont d’ailleurs revenus au pouvoir. Mais les élections législatives qui s’annoncent à l’automne promettent du changement, avec un parti pirate en tête des sondages. L’élection, dimanche dernier, d’un président sans étiquette et loin des carcans politiques, a été interprétée comme une volonté de renouveler une classe politique éclaboussée par le scandale des Panama Papers.

« Leur petite taille leur permet d’innover et cette créativité doit nous faire réfléchir sur nous-mêmes », dit Pascal Riché. Une source d’inspiration, l’Islande ? « La culture de la démocratie, ça se travaille et ça prend du temps, ça n’a rien de magique. Les Islandais sont en train de l’apprendre, dans une perspective de construction et non de renversement », assure de son côté Cyril Dion.

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