De Redmond (Oregon) — B. J. Soper pointe son fusil d’assaut semi-automatique sur une cible à forme humaine et tire une salve de balles. Son épouse et sa fille de 16 ans s’entraînent, de leur côté, à dégainer. Puis B. J. aide sa fille de 4 ans, qui porte des baskets roses et une queue-de-cheval, à tirer avec un fusil de calibre 22.

Au milieu d’un vaste terrain d’entraînement militaire, la Central Oregon Constitutional Guard [garde constitutionnelle du centre de l’Oregon] tient sa séance hebdomadaire de tir et jonche le sol de douilles parmi les genévriers.

“L’objectif est de savoir coopérer et de nous défendre si nécessaire”, affirme B. J.. Cet entrepreneur en bâtiment, âgé de 40 ans, est l’une des figures montantes d’un mouvement en pleine expansion, né d’une méfiance envers le gouvernement fédéral et qui multiplie les confrontations armées avec les autorités.

Les membres de cette mouvance se disent patriotes et réclament que le gouvernement fédéral respecte la Constitution et mette fin à ce qu’ils estiment être des abus systématiques de leurs droits fonciers, de leur droit au port d’armes et à la liberté d’expression.

Unité de défense

Les autorités les jugent dangereux et affirment que leurs effectifs sont en hausse depuis 2008 – date qui coïncide avec l’élection du premier président noir des Etats-Unis et avec la récession économique.

B. J. Soper a créé son groupe en 2014. Composé d’une trentaine d’hommes, de femmes et d’enfants, c’est une “unité de défense” contre “tous les ennemis étrangers et nationaux”. Mais B. J. fait avant tout référence au gouvernement fédéral, qui est selon lui capable d’agresser son peuple même en l’absence de provocation.

Les membres de cette garde constitutionnelle sont carreleurs, infirmières, peintres, ou encore lycéens. Tous font des stocks, apprennent des techniques de survie et des rudiments de tactiques de combat, apprennent à soigner les blessures, étudient la Constitution et s’entraînent au tir avec leurs pistolets et leurs fusils d’assaut. “Dans notre Constitution, rien n’indique qu’il soit interdit de se défendre, affirme B. J., Nous avons laissé le gouvernement dépasser les bornes et nous régenter, mais cela n’a jamais été l’objectif de ce pays.”

Daech à la vanille

Ceux qui surveillent ces groupes dits “patriotes” les qualifient d’extrémistes antigouvernementaux, de milices, de combattants armés ou même de terroristes. Certains détracteurs de ces groupes, dont les membres sont en majorité blancs et vivent en zone rurale, se moquent d’eux en les appelant “Y’all Qaida” [Rural Qaida] ou encore “Vanilla Isis” [Daech à la vanille].

Mark Potok, qui travaille pour le Southern Poverty Law Center, un institut de recherche qui surveille les courants extrémistes, affirme qu’il existait environ 150 groupes de ce type en 2008 et qu’il y en a aujourd’hui un millier.
Selon lui et d’autres spécialistes, leurs sympathisants se comptent par centaines de milliers si l’on inclut les personnes qui expriment leur soutien à ces groupes, notamment sur les réseaux sociaux. Les Oath Keepers [les gardiens du serment], milice d’extrême droite qui rassemble d’anciens policiers et militaires, compte ainsi 525 000 mentions “J’aime” sur sa page Facebook.

Les politiques progressistes de Barack Obama et le marasme économique ont enflammé la colère antigouvernementale. Et Donald Trump exploite précisément ce sentiment depuis le début de sa campagne, soulignent Mark Potok et Mark Pitcavage, qui travaille de son côté pour l’Anti-Defamation League [association de lutte contre l’antisémitisme et la haine].

L’émergence du mouvement “patriote” remonte aux affrontements mortels qui ont opposé des civils et des agents fédéraux dans les années 1990 à Ruby Ridge (Idaho) et à Waco (Texas), faisant 90 morts. Le terroriste Timothy McVeigh a cité ces deux événements avant d’être exécuté pour l’attentat commis en 1995 à Oklahoma City, qui a coûté la vie à 168 personnes. Il a aussi déclaré avoir choisi délibérément un bâtiment fédéral.

Confrontations

Actuellement, une “nouvelle vague” d’opposition au gouvernement fédéral, amplifiée par Internet et les réseaux sociaux, prend de l’ampleur dans tout le pays et en particulier dans l’Ouest. Pour J. J. MacNab, spécialiste des courants extrémistes à l’université George Washington, les réseaux sociaux ont permis à des individus et à de petits groupes comme celui de B. J. Soper de devenir bien plus influents que dans les années 1990, où ils étaient contraints de diffuser leur message par fax ou lors de petites réunions locales.

Le mouvement patriote a reçu un coup de projecteur en 2014 lors de la confrontation sur le ranch de Cliven Bundy, dans le Nevada : des agents fédéraux et des centaines de partisans armés se sont retrouvés face à face pendant une dizaine de jours parce qu’un éleveur refusait de payer les taxes l’autorisant à faire paître son bétail sur des terres fédérales.

Quand les autorités ont reculé pour éviter que le conflit ne connaisse une issue sanglante, les sympathisants de Cliven Bundy se sont déclarés vainqueurs, ce qui les a encouragés à organiser d’autres confrontations armées en 2015, notamment dans des mines d’or de l’Oregon et du Montana.

En janvier 2016, des dizaines d’occupants armés menés par les fils de Cliven Bundy, Ammon et Ryan, se sont emparés du siège de la réserve naturelle de Malheur près de la petite ville de Burns, dans l’Oregon. Un conflit qui a entraîné la mort de Robert “LaVoy” Finicum, un des occupants t