LES PLUS LUS
Publicité

"Rocard n'a jamais rien fait de médiocre"

REACTIONS - Ses proches, mais aussi des adversaires politiques, rendent hommage à un homme qui impressionnait par la force de ses convictions.

, Mis à jour le
Michel Rocard en 1987. Il était un passionné de voile.
Michel Rocard en 1987. Il était un passionné de voile. © Sipa

Christian Blanc, haut fonctionnaire et compagnon de route de Michel Rocard , l'un des artisans des accords sur la Nouvelle-Calédonie 

"Je suis très affecté sur le plan personnel. Nous nous sommes rencontrés dans les années 1960. Mais au-delà de ma peine, je pense que la France a raté un rendez-vous historique avec Michel Rocard. Il est l'homme politique qui aurait permis à la France de se moderniser. Mais notre système de sélection des élites, notre système politique hérité du gaullisme, n'a pas permis à des hommes comme Michel Rocard, mais je pourrais également citer Raymond Barre, de prendre le pouvoir. Ces hommes dérangeaient car ils voulaient ouvrir des perspectives, changer nos vieux logiciels. La confiscation du pouvoir à des fins purement électorales les en a empêchés."

Publicité
Jacqueline Chabridon, chargée de sa communication à Matignon 

"Je l'ai rencontré alors que j'étais journaliste. J'ai rejoint Michel car il disait qu'il n'y avait pas de fatalité à la défaite de la gauche. Puis j'ai travaillé avec lui à Matignon. J'étais fascinée par sa virtuosité intellectuelle. Il dévorait les livres. Mais il ne lisait pas de roman. Je lui avais offert Belle du Seigneur, d'Albert Cohen, car François Mitterrand aimait ce livre. En vain. Il s'intéressait à tout, était curieux de tout. Je me souviens qu'il était allé pêcher le saumon en Irlande avec Pierre Perret. Lorsqu'il était revenu, il connaissait absolument tout de l'animal et des techniques de pêche. Plus sérieusement, sur un plan politique, il avait une analyse des sujets et une capacité de prospective hors du commun."

La suite après cette publicité
Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, à l'origine du revenu de solidarité active (RSA)

"C'était un grand homme. Quand on a fait le RSA, on s'est beaucoup vus. Il m'a raconté qu'il avait dû mettre au point le RMI très vite car Mitterrand était pressé, sans pouvoir aller au bout de ce que lui aurait souhaité. Ce qu'il voulait ressemblait beaucoup… au RSA! Il avait toujours une longueur d'avance, une vision de la société. Il avait un plus grand respect pour l'intérêt général que pour sa propre trajectoire, cela tranche pas mal. Je me suis inscrit au PS à 17 ans après l'avoir écouté en meeting."

La suite après cette publicité
Jean-Paul Huchon, directeur de cabinet de Michel Rocard (1981-1985) puis à Matignon (1988-1991), son successeur à la mairie de Conflans-Sainte-Honorine en 1994 

"Nous sommes très tristes, nous ne sommes pas sûrs de pouvoir encore trouver des hommes de sa dimension. Depuis 1981, j'étais avec lui. Je l'ai suivi à Matignon, j'en garde le souvenir d'une période heureuse. À l'époque, il y avait de la croissance et la situation économique s'améliorait. Il disait souvent : "La croissance, il ne faut pas l'empêcher." Il avait su engager des réformes difficiles comme le RMI, la CSG. Rocard, c'est aussi le rétablissement de la paix en Nouvelle-Calédonie, et il s'est intéressé très tôt à la bataille sur le réchauffement climatique. C'était un homme courageux et honnête. Je ne l'ai jamais vu faire reposer la faute sur d'autres. Je ne l'ai jamais vu engueuler un collaborateur. Il n'a jamais rien fait de médiocre, ce n'est pas si fréquent chez les hommes politiques. Il avait une forme de mépris pour le caractère machiavélique de François Mitterrand, et Mitterrand considérait, lui, que Rocard n'était pas sérieux, qu'il était trop moral. C'était deux hommes qui ne vivaient pas sur la même planète. Mais ils ont réussi à gouverner ensemble car ils avaient le sens de l'intérêt général. Je l'ai revu, il y a deux jours. Il était sur son lit de douleur, il était déjà très atteint, mais il était très préoccupé par le Brexit, il voulait aller là-bas pour les convaincre… Il savait que sans l'Europe, on ne ferait pas grand-chose. La dernière chose à laquelle il a pensé, c'est ça."

Alain Juppé, ancien premier ministre 
Alain Krivine, fondateur de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) 

"Rocard, je l'ai connu quand il était au PSU et moi à la Ligue. À l'époque, il y avait des rencontres entre nos deux partis. Avec lui, j'ai fait un meeting, à Rennes pour la libération de soldats emprisonnés en France, c'était au moment des comités de soldats. À l'époque du PSU, Rocard avait un langage très à gauche, sur une ligne autogestionnaire. Sur la guerre d'Algérie, Rocard était assez net, il était pour l'indépendance. Le PSU était alors un peu la gauche de la gauche et regroupait des gens assez différents : les "tala de gauche", les gens qui allaient "tala" messe et une gauche plus radicale. Après, il a rejoint le PS et a évolué vers le social-libéralisme." 

La suite après cette publicité
La suite après cette publicité
Pierre Larrouturou, économiste, coauteur avec Michel Rocard de La gauche n'a plus le droit à l'erreur (2013) 

"C'était mon père en politique. Il y a trois mois, nous étions à Sciences-Po pour parler du temps de travail, il disait encore que c'est un combat fondamental. Dans sa génération, c'est l'un des rares à avoir compris la question du climat et de la biodiversité. Il m'a donné le goût du parler-vrai, il faisait en permanence appel à l'intelligence et la fraternité, et il savait reconnaître ses erreurs. Son héritage, c'est la justice sociale. En 2007, il disait que la crise pouvait être suicidaire pour l'humanité, que seuls les sociaux-démocrates pouvaient y faire face en luttant contre les inégalités."

Michel-Édouard Leclerc, patron des Centres Leclerc 

"C'était un grand monsieur à la pensée positive qui a nourri mon action. A 18 ans, j'ai adhéré au PSU lorsque j'étais en fac à Brest. J'ai ensuite assisté à ses cours à l'université Paris-Dauphine. Et à un meeting à la Mutualité, en 1972, où il récitait des poèmes pour défendre la cause palestinienne. Nous nous sommes revus sporadiquement, au point de signer l'année dernière une tribune commune dans Le Monde pour défendre les spécificités des coopératives lors du débat sur la loi Macron. Michel Rocard a sorti le socialisme de l'ornière idéologique, afin de le réconcilier avec l'économie de marché. Il a inspiré la CFDT, lancé le RMI, les quotas laitiers, que l'on regrette aujourd'hui d'avoir enterrés trop vite. Il a donné un sens politique à l'Europe. Cet homme est resté jusqu'au bout fidèle à son engagement citoyen sans se fourvoyer sous la pression des médias et des opportunismes politiciens."

Bruno Le Maire, député LR 
 Emmanuel Macron, ministre de l'Économie, proche de Michel Rocard

"Michel Rocard a guidé mes pas depuis notre première rencontre il y a une quinzaine d'années. C'était un père politique et un ami. À la fois homme de convictions et homme d'État, militant, passionné, il a transformé la gauche, œuvrant à la réconciliation avec l'économie sociale de marché, reconnaissant la capacité de la société à porter son action elle-même sans être étouffée par l'État, avec, aussi, une ouverture différente au fait religieux. C'était un intelligent généreux, généreux de son temps avec ses amis et pour les causes qu'il défendait. Jusqu'à la fin de sa vie, il a continué à lire, penser, se souvenant de tout. À écrire aussi. Je revois son écriture en pyramide, des phrases longues en haut de la page, puis de plus en plus courtes jusqu'au bas… Il fait partie des rares politiques qui m'ont inspiré."

Jean-Luc Mélenchon, leader du parti de gauche 
Claude Posternak, communiquant 

"C'est un sacré homme qui nous quitte. Brillant, généreux, inventif et humble. C'est un ami qui est parti. Au moment de la déliquescence du politique, son intégrité, sa voix vont nous manquer."

Bernard Spitz, ancien conseiller de Michel Rocard à Matignon, cofondateur des Gracques 

"Michel Rocard a traversé un demi-siècle d'histoire de France en laissant une trace qui a servi de repères à plusieurs générations. La trace d'une social-démocratie moderne conciliant économie de marché et justice sociale. La trace d'un dialogue sincère et exigeant entre la société et ses dirigeants. Une éthique de la politique qui tenait en deux mots qui sont sa marque : parler vrai! Il ne restera pas comme l'exemple de la conquête du pouvoir. Mais il laisse l'empreinte la plus profonde à gauche de l'histoire des idées politiques de ce pays du dernier demi-siècle, un grand homme d'État. Nous sommes beaucoup à être ses orphelins."

Catherine Tasca, sénatrice des Yvelines, ministre délégué à la Communication dans les gouvernements Rocard I et II (1988-1991) 

"Je l'ai connu au PSU en 1968, rue Mademoiselle. Nous avons fait un long chemin ensemble. Le premier mot qui me vient à l'esprit lorsque je pense à lui est "fraternel". Il était attentionné et bienveillant, fidèle à ses amis. C'était simple de travailler avec lui car il avait une pensée claire et une formidable capacité d'entraînement. Michel a été un grand Premier ministre, même si ses relations compliquées avec François Mitterrand ont entravé son action. Son bilan social avec la CSG, le RMI est important, mais il m'a particulièrement impressionnée lorsqu'il a géré la crise de la Nouvelle-Calédonie. C'était un homme curieux de tout et il s'était pris d'un intérêt passionnel pour l'Antarctique. Il a arrêté la politique, tel qu'on l'entend dans notre parti, c'est-à-dire les petits calculs. Mais il a continué de penser le monde de manière politique. On venait chercher auprès de lui des conseils, des analyses… même si ceux qui auraient eu le plus besoin de ses lumières ne le sollicitaient guère!"

Marisol Touraine, ministre de la Santé, ancienne conseillère au cabinet de Michel Rocard, Premier ministre (1990-1991) 

"Ce soir, je pense à l'homme qui a toujours œuvré pour la modernisation de la gauche, avec un discours de vérité. À l'homme qui a joué un rôle décisif pour que la gauche concilie l'économique et le social. L'individuel et le collectif. À l'homme qui s'est toujours inscrit dans l'histoire de la gauche et a toujours fait de la lutte contre les inégalités son grand combat. Je pense enfin à l'homme qui, le premier, m'a donné ma chance en politique."

Source: JDD papier

Contenus sponsorisés

Sur le même sujet
Éric Ciotti, le 2 mar​s.
Politique

Éric Ciotti au Danemark, Marine Le Pen auditionnée à l’Assemblée... Le brief politique de la semaine

Le président des LR se rend au Danemark pour s’inspirer d’une des politiques migratoires les plus restrictives d’Europe, Marine Le Pen sera finalement auditionnée par la commission d’enquête sur les ingérences étrangères et l’Assemblée rend hommage à Michel Rocard. Cet article a été publié dans notre newsletter, Le Supplément politique, disponible pour nos abonnés.

Manuel Valls et Emmanuel Macron ne se sont pas croisés jeudi lors du colloque sur Michel Rocard.
Politique

Valls et Macron rendent hommage à Rocard

Sans se croiser, Manuel Valls et Emmanuel Macron ont participé jeudi à Paris à un colloque consacré à Michel Rocard. Les deux rivaux ont assuré qu'ils ne cherchaient pas à capter l'héritage de l'ancien Premier ministre, tout en louant ses qualités.

Selon le sondage Odoxa, Emmanuel Macron incarne mieux l'héritage de Michel Rocard que Manuel Valls.
Politique

Pour les Français, l'héritier de Rocard se nomme Macron, pas Valls

Selon un sondage Odoxa diffusé vendredi soir pour Paris Match et iTélé, Emmanuel Macron est jugé comme la personnalité politique qui "incarne le mieux l'héritage" de Michel Rocard, devant Martine Aubry et Manuel Valls. Le Premier ministre se revendique pourtant directement de son prédécesseur, mort le week-end dernier.

Publicité