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Analyse

Le Bangladesh dans la spirale jihadiste

L'attaque de vendredi à Dacca, qui a tué 20 civils et deux policiers, montre que la menace de l'Etat islamique gagne en crédibilité malgré les dénégations des autorités.
par Arnaud Vaulerin, Correspondant au Japon
publié le 3 juillet 2016 à 16h50

L'escalade tant redoutée a bien eu lieu au Bangladesh. L'attaque meurtrière du restaurant Holey Artisan Bakery, vendredi soir, dans le quartier diplomatique de la capitale, Dacca, montre combien le pays est dorénavant placé sous la menace réelle et croissante du terrorisme jihadiste, propagé par l'Etat islamique (EI) et Al-Qaeda dans le sous-continent indien. Comme le notait dimanche le général à la retraite Mohammad Abdur Rashid, qui dirige l'Institut d'études des conflits, du droit et du développement, le Bangladesh est «entré dans une nouvelle dimension ce week-end avec des assaillants militairement bien entraînés et équipés, et des exécutions brutales de nombreux innocents».

Le commando qui a tué 20 civils (en majorité italiens et japonais), 2 policiers, et blessé 50 autres personnes était composé de 7 hommes. Les forces de l'ordre bangladaises qui ont pris d'assaut le café-restaurant samedi matin pour mettre un terme à la prise d'otage ont abattu 6 d'entre eux. Un seul jihadiste a été arrêté et pourrait fournir de précieux éléments sur l'origine des tueurs et leurs réelles motivations. Mais les autorités bangladaises ont répété le refrain entonné depuis près d'un an, quand le pays a commencé à affronter une vague d'exécutions ciblées d'étrangers, de laïcs, de religieux, de blogueurs, etc. Les tueurs sont «membres du Jamaat-ul Mujahideen Bangladesh», a assuré le ministre de l'Intérieur, Asaduzzaman Khan, en se référant à ce groupuscule jihadiste interdit depuis 2005 après s'être livré à une série d'attentats à travers le pays.

Photos sanglantes

Samedi soir, le chef de la police nationale, Shahidul Hoque, indiquait que «tous les hommes étaient bangladais. Cinq d'entre eux étaient fichés comme activistes et les forces de l'ordre ont essayé à plusieurs reprises de les arrêter». Malgré les revendications formulées par l'Etat islamique, Dacca se borne à dire depuis des mois que les attaques sont perpétrées par des groupes locaux proches ou influencés par le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP). Comme si ce pays musulman de 168 millions d'habitants en pleine turbulence politique était hermétique à l'influence jihadiste internationale, à la différence des Philippines, de la Malaisie et de l'Indonésie.

Pourtant, dès vendredi soir, l'Etat islamique revendiquait l'attaque, comme il l'avait déjà fait pour une grande partie de la quarantaine d'exécutions ciblées qui ont touché le Bangladesh depuis 2013. Ce qui ne veut certes pas forcément dire que l'organisation terroriste était réellement aux manettes de l'attaque. Mais Amaq, son agence de presse, a diffusé dès vendredi soir des photos sanglantes des victimes tuées par balle ou au couteau à l'intérieur du restaurant. Difficile dès lors d'affirmer que les assaillants «n'ont aucun lien avec l'Etat islamique», comme l'a proclamé avec beaucoup d'aplomb le ministre de l'Intérieur. «Le lien avec l'EI et Al-Qaeda n'est pas encore évident, poursuit l'ex-général Mohammad Abdur Rashid. Mais il y a une connexion idéologique, philosophique même, sans parler d'une connexion digitale comme le montre la diffusion des photos sur le site d'Amaq.»

Autre suspect, le groupe Ansarullah Bangla Team (ABT), né en 2007, a refait surface en 2013 et revendiqué l'exécution de plusieurs blogueurs l'année dernière. «Une grande partie d'ABT s'est affilié à Al-Qaeda dans le sous-continent indien et s'appelle elle-même Ansar al-islam», estime Ali Riaz, expert bangladais des questions islamistes en Asie du Sud-Est.

Quartier cosmopolite et sécurisé

Jamais le pays n’avait été confronté à une attaque terroriste d’une telle ampleur. Le 21 août 2004, Dacca avait toutefois été frappé par une série d’attaques à la grenade lors d’un rassemblement antiterroriste organisé par la Ligue Awami, le parti de Sheikh Hasina, aujourd’hui au pouvoir. Vingt-quatre personnes avaient été tuées et plus de trois cents autres blessées. Mais l’attaque avait des ressorts essentiellement nationaux. L’attentat et la prise d’otage de vendredi et samedi visait des étrangers dans un quartier cosmopolite très sécurisé de la capitale bangladaise.

«Les objectifs, l'ampleur et les tactiques utilisées par les hommes armés dans l'attaque de vendredi portent toutes les caractéristiques des groupes terroristes transnationaux, comme l'EI, remarque Ali Riaz. Que ce soit planifié et coordonné à distance par l'EI ou inspiré par l'EI est un point discutable maintenant. L'attaque était bien planifiée, bien coordonnée. Il est difficile de croire que cela ait pu être organisé sans aide matérielle et financement extérieurs.»

L'attaque dans le quartier diplomatique a révélé également l'échec des services de renseignements qui n'ont pas pu empêcher l'assaut du commando. «Les tueurs ont accédé facilement à ces lieux protégés, nuance Mohammad Abdur Rashid. Il s'agit de jeunes issus de milieux aisés, éduqués. Heureusement, ils n'étaient pas trop nombreux. Mais cela doit inciter les services de renseignement à passer à une stratégie offensive, désormais.» Il y a quinze jours, la police avait arrêté plus de 11 600 personnes. Un vaste coup de filet qui ressemble un coup d'épée dans l'eau.

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