Intelligence artificielle, robots: peurs virtuelles, débat réel
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Intelligence artificielle, robots: peurs virtuelles, débat réel

De nombreux experts prédisent le remplacement du travail humain par les machines, ce qui peut rendre les travailleurs inutiles. Ils craignent que l’intelligence artificielle (IA) et la puissance des algorithmes soient utilisées avant que nous ne sachions réellement comment les manier et réellement les maîtriser, et que les progrès technologiques amènent à la destruction de millions d'emplois et constituent une véritable menace pour l’humanité. Ainsi, l'on retrouve les mêmes mots, les mêmes logiques qu'il y a deux siècles, avec la controverse sur les dangers supposés de la mécanisation et de la puissance de la vapeur, posait la«question des machines" (“ the machinery question”, développée par l’économiste David Ricardo, 1772–1823, dans le chapitre « Des machines » dans l’édition de 1821 des Principes d'économie politique et fiscalité).

Aujourd’hui, un débat similaire est en cours. Après de nombreux faux espoirs, l’IA a fait des progrès extraordinaires au cours des dernières années, grâce à la technique du Deep Learning, l’apprentissage en profondeur, soit un ensemble de méthodes d'apprentissage automatique tentant de modéliser des données, avec un haut niveau d'abstraction, grâce à des architectures articulées de différentes transformations non linéaires : une gigantesque masse de données est formée, agrégée et agit en elle-même, comme dans un vaste réseau neuronal, sur le modèle de l'architecture du cerveau, pour accomplir toutes sortes de choses : alimenter Google, Bing ou Qwant, faire la voix de Siri, effectuer des recommandations d’achats, indexer et marquer des photos, faire de la reconnaissance faciale et même conduire la Google Car ou les Tesla.

En parallèle de ces progrès, des préoccupations sur la sécurité, l’emploi ou même sur la viabilité à moyen terme de l’humanité se sont faites jour. Stephen Hawking, Elon Musk et d'autres, nous ont alerté sur les risques de perte de contrôle d’une IA (pas seulement avec les robots tueurs), via un conflit entre humains et machines, comme dans les romans d’anticipation ou les films de science-fiction. De nombreux rapport, des plus grandes universités, jusqu’au Forum Economique de Davos, estiment que  l'IA va provoquer un chômage généralisé, en automatisant les tâches cognitives qui pouvaient auparavant n’être effectuées que par des humains (cf mon article LinkedIn https://www.linkedin.com/pulse/au-voleur-les-robots-vont-nous-piquer-nos-emplois-et-si-guerin?trk=pulse_spock-articles ).

Après 200 ans, la « question des machines » est de retour. Il faut y répondre. Le scénario le plus alarmant est celui d’une IA tournant mal, comme on le voit dans d'innombrables films de science-fiction. On peut considérer que c’est l’expression moderne d'une vieille peur (cf  Frankenstein, ou le Luddisme). Mais, bien que les systèmes d'IA soient impressionnants, ils ne peuvent encore effectuer que des tâches très spécifiques: si l’IA est  capable de battre l’homme au Go, aux échecs, ou à Jeopardy, si Watson est capable de créer et de jouer de la musique, si une IA a pu écrire un livre, une IA généraliste capable de déjouer ses créateurs humains reste une perspective encore lointaine et incertaine. Comme le précise Andrew Ng chercheur américain en informatique et professeur associé à Stanford, s’inquiéter à ce sujet serait comme se soucier de la surpopulation sur Mars avant que les colons aient même mis les pieds là-bas. L'aspect le plus urgent serait plutôt l’impact de l’IA sur l’emploi et nos modes de vie.

Cette crainte a également une longue histoire.  La peur du chômage technologique a déjà frappé, dans les années 1960, quand les entreprises ont d'abord installé des ordinateurs et les premiers robots de production, et dans les années 1980 quand les PC ont atterri sur nos bureaux. A chaque fois, l'automatisation généralisée des emplois qualifiés était au coin de la rue, et allait détruire l’emploi salarié, l’emploi tout court.

Or la technologie a finalement créé plus d'emplois qu'elle n’en a détruits, dans la mesure où  l'automatisation d'une tache demande à faire des travaux connexes non effectués par la machine et permet d’en inventer de nouveaux. Remplacer des caissiers de banque par des distributeurs automatiques de billets, par exemple, a baissé le coût d’ouverture de nouvelles agences, et permis la création de nombreux nouveaux emplois dans la vente et le service à la clientèle. De même, le e-commerce a augmenté l'emploi global dans le commerce de détail. Comme avec l'introduction de l'informatique dans les bureaux, l’IA ne remplacera pas les travailleurs directement mais plutôt les obligera à acquérir de nouvelles compétences pour  rester à niveau. Bien que des études prédisent jusqu’à 47% des emplois impactés par une automatisation potentielle dans les deux prochaines décennies, d'autres études estiment que moins de 10% seront effectivement touchés.

La traversée ne sera quand même pas de tout repos, car même si les pertes d'emplois à court terme sont susceptibles d'être plus que compensées par la création de nouveaux emplois à long terme, l'expérience du 19e siècle montre que la transition peut être traumatisante. Si la croissance économique a décollé après des siècles de stagnation du niveau de vie, il aura fallu encore des décennies avant que cela se retrouve dans des salaires plus élevés ou un environnement social plus protecteur. En France, autour du statut des auto-entrepreneurs, ou du psychodrame de la Loi Travail, on semble revivre cela (http://www.atlantico.fr/decryptage/inegalites-2-0-economie-tech-fait-monter-salaires-tous-sauf-plus-pauvres-sarah-guillou-2745968.html). La transformation rapide aux 19° et 20° siècles de la structuration de la population active, des fermes aux usines, puis vers le secteur tertiaire, a contribué à l'agitation sociale, à travers l'Europe, avec l’émergence de revendications sociales, salaires et protection. Les gouvernements auront mis un siècle pour répondre avec de nouveaux systèmes d'éducation, de protection sociale et de bien-être, au prix de révoltes, révolutions, instabilité politique, guerres...

Cette fois, la transition est susceptible d'être plus rapide, dans la mesure où les technologies se diffusent plus rapidement qu’elles ne le faisaient il y a 200 ans, ou même il y a 50 ans : alors que la TV couleurs avait mis des années à s’imposer, en 2012, ¼ des français étaient équipés d’un smartphone, en 2016, nous sommes plus de 60% (dont 90% parmi les 18-24 ans, et 79% pour les 25-39 ans). Et la règle du « winner takes all » propre à la disruption qui gouverne de plus en plus l’économie bouscule nos vieilles sociétés où nos géants se retrouvent trop patauds face aux startups. Les inégalités des revenus sont déjà croissantes, avec des travailleurs hautement qualifiés retirant des bénéfices singulièrement disproportionnés lorsque la technologie complète leurs compétences et d’autres salariés qui n’ont pas accès à ces avantages ou qui sont soumis à la fracture numérique. Cela pose deux défis aux employeurs et aux décideurs : comment aider les travailleurs actuels à acquérir de nouvelles compétences; et comment préparer les générations futures à un environnement de travail plein d’IA et de robots ?

Comme la technologie change les compétences nécessaires pour chaque profession, les travailleurs devront s’ajuster. Cela signifie éduquer et former de façon suffisamment souple pour enseigner rapidement et efficacement ces nouvelles compétences. Il faudrait mettre davantage l'accent sur la formation continue et l'apprentissage sur le tas, et développer une utilisation plus large des Moocs, Coocs, et autres apprentissages en ligne, ainsi que la simulation via les « serious game ». L’IA peut d’ailleurs nous y aider, en personnalisant l'apprentissage par ordinateur et en identifiant les compétences, les besoins et les capacités de ré-orientation de chacun.

Les compétences sociales et relationnelles seront plus importantes aussi. L’emploi à vie, qui avait déjà connu un coup d’arrêt dans les années 90, n’existera quasiment plus, quel que soit le secteur. Les technologies vont et viennent et la vie professionnelle sera plus longue. Dans ce cadre, les compétences sociales constituent un fondement. Elles peuvent donner aux humains l’avantage, leur permettre de travailler en empathie et en interaction avec les autres, soit des traits spécifiquement humains, qui vont bien au-delà de ce que les machines savent faire.

Nos systèmes de protection sociale devront être mis à jour, pour lisser les transitions entre les emplois et pour soutenir les travailleurs pendant qu'ils acquièrent de nouvelles compétences. Un système est de plus en plus vanté : le revenu de base, versé à tout le monde, indépendamment de sa situation. Même Obama se prononce pour (http://uk.businessinsider.com/president-obama-support-basic-income-2016-6?utm_content=buffer2928a&utm_medium=social&utm_source=twitter.com&utm_campaign=buffer?r=US&IR=T Le président Obama appuie le revenu de base en raison de l’automatisation du travail). Un référendum (perdu) a même été organisé en Suisse sur ce thème et une expérimentation grandeur nature est montée en Finlande (ainsi qu’en Namibie ou au Kenya , et ailleurs encore https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_applications_du_revenu_de_base ). Mais cela n'a pas de sens, sans preuves solides que cette révolution technologique, à la différence des précédentes, érode la demande de travail. On devrait peut-être plutôt s’orienter vers la "flexicurité", ce système danois qui permet aux entreprises d’embaucher et de licencier facilement, tout en soutenant les chômeurs pour se recycler et chercher de nouveaux emplois. Dans ce cadre, droits sociaux ou cotisations retraite suivraient les travailleurs individuels, plutôt que d'être liés au contrat de travail d’une manière ou d’une autre.

 

Malgré l’avancée inexorable de la marche technologique, il y a peu de signes que les systèmes d'éducation et l’organisation de nos Etats-providence issus de l'ère industrielle soient déjà en cours de modernisation et plus adaptable, plus souple, pour ne pas dire flexible. Les responsables politiques devraient pourtant y aller maintenant, ouvrir le débat ; nos intellectuels devraient s’en emparer et le mettre sur la place publique. Car plus on retarde, plus la transformation de l'État-providence sera difficile. Et plus les opérateurs privés, les industriels, les nouveaux gourous des technologies façonneront le monde selon leur vision. Il est temps que les décideurs, les politiques, les syndicalistes, les citoyens s’emparent de ce débat, car comme le disait Antonio Gramsci : « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Et si le vrai risque de l’arrivée des machines était là ?

Erreur de mon logiciel :))... Dans la phrase du début de ma réponse ; « L’ « apprentissage en profondeur » […] est la reproduction d’un fonctionnement cérébral […] en plaçant la véritable intelligence : l’Empirisme. » J’avais dis « remplaçant » la véritable intelligence, et non « en plaçant »... Encore un bon exemple et pourtant totalement involontaire

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C’est bien ce que je disais il y a peu, l’IA sera créée par des intelligences naturelles et à leur image. Et ces intelligence d’aujourd’hui ne qui se montrent incapables de décrire clairement des concepts basiques concernant la cognition tel que la conscience et la compréhension même, ne sont précisément pas mures pour créer une IA. La preuve en est déjà apportée dans cet article même… L’ « apprentissage en profondeur » qui tenterait de « modéliser des données avec un haut niveau d’abstraction » à partir d’une « gigantesque masse de données » (tels que l’article en parle), est la reproduction d’un fonctionnement cérébral hélas trop courant et en plaçant la véritable intelligence : l’Empirisme. L’intelligence qui est la capacité de comprendre, cherche logiquement à répondre à la question du pourquoi de chaque chose qui revient à répondre au « comment ça marche » à un niveau plus générale. À l’inverse, l’empirisme se borne à constater pour pouvoir répondre aux questions comment faut-il faire ? Une intelligence fonctionnant correctement et reposant sur la raison, pour répondre à la question « comment faire » cherchera à avoir préalablement une vue globale de l’ensemble du problème, c’est-à-dire à d’abord répondre à la question du « comment ça marche », et non forcément à collectionner une « gigantesque masse de données ». Il faut juste avoir le minimum d’informations nécessaires. Par ailleurs la capacité d’abstraction n’est pas la capacité de manipuler des concepts abstraits, c’est-à-dire que l’on ne comprend pas, mais inversement de les comprendre, c’est-à-dire comprendre ce qu’ils signifient, ou le ce à quoi ils correspondent concrètement. Un exemple pour illustrer mon propos. Je suis en train d’écrire cette réponse à l’aide d’un logiciel de dictée ; qui est précisément une intelligence artificielle tel que décrit. Cet outil pourtant excessivement pratique, écrit continuellement des choses différentes de celles que je dis, confondant les mots et faisant des fautes d’orthographe. Pourquoi ? Parce que pour écrire correctement il faut comprendre ce que l’on écrit. Or un logiciel de dictée ne « comprend » pas ! Il se borne à comparer les suites de sons qu’il entend (et qu’il associe à des mots suite à un apprentissage) , à des modèles de phrases courants… Ce que devrait déjà comprendre les intelligence naturelles, est que la technologie est un ensemble d’outils. Imaginez que l’on invente un marteau qui décide lui-même quand et sur quoi il tapera…

Samuel BAR

Chef de projet S.I. transverse - Freelance (certifié PMP)

7y

L'article manque un peu d'objectivité mais les questions soulevées sont intéressantes

Céline Marciniak

Directrice Responsabilité Sociale Groupe STEF - DRH

7y

Belle synthèse.

Laurent Marciniak

Innovation Senior Manager chez Inetum

7y

Une bonne synthèse des vraies questions des prochaines années. Merci Mickaël GUERIN

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