Rio 2016 : les jeux avant les droits humains ?

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En août, la ville de Rio de Janeiro devrait recevoir un million de visiteurs pour l’un des événements les plus médiatiques de l’année 2016. La police et les forces armées vont devoir répondre au double défi de protéger la sécurité des touristes et des délégations sportives, mais aussi de garantir les droits de la population locale.

La politique sécuritaire adoptée et les chiffres de la violence policière de ces dernières années font cependant douter les ONGs et les observateurs de l’exemplarité de la conduite des futures opérations policières durant les Jeux olympiques et paralympiques.

Sur toute la durée de la compétition, ce ne sont pas moins de 85.000 représentants des forces de l’ordre qui seront sur le terrain pour assurer la sécurité à Rio de Janeiro : police civile, police militaire, soldats de la Force nationale de sécurité publique (unité spéciale du ministère de la Justice), contingents de l’Armée, mais aussi brigades de sécurité financées par les intérêts privés (ex : l’opération « Sécurité Présente », lancé en partenariat avec un syndicat commerçant) ; sans compter des véhicules blindés dernière génération, d’équipes cynophiles, de robots anti-bombes et de drones.

Le tout sera coordonné par le Secrétariat extraordinaire à la sécurité des Grands évènements (SESGE), une entité créée spécialement au sein du ministère de la Justice, qui au Brésil recouvre en partie les domaines d’un ministère de l’Intérieur.

Pour le professeur et chercheur sur les politiques de sécurité publique, Antônio Falvio Testa, de l’université de Brasilia, le Brésil est prêt sur le plan sécuritaire à recevoir l’événement sportif.

« Tout devrait se dérouler sans problèmes, comme ce sont déroulés sans incidents, la Coupe du Monde, la Coupe des Fédérations, les Journées mondiales de la jeunesse… » a-t-il confié à Equal Times.

« L’enjeu est moins la question du terrorisme venu de l’extérieur que de la menace intérieure des organisations criminelles. »

En effet, dès l’attribution des Jeux à la ville de Rio de Janeiro, en 2009, le problème de la sécurité publique a été évoqué entre les organisateurs, les pouvoirs publics et le Comité olympique. Le Brésil est un pays où les statistiques de la violence armée et du taux d’homicides sont parmi les plus élevés du monde – hors conflits guerriers.

Près de 60.000 homicides ont été enregistrés en 2014 selon l’Atlas de la violence publié par le Forum brésilien de sécurité publique. Malgré les efforts menés ces dernières années, les statistiques de la criminalité et de la violence ne s’améliorent pas et, selon l’Institut de sécurité publique (ISP, organisme gouvernemental), les chiffres sont même à la hausse à Rio de Janeiro, pour le début 2016, en ce qui concerne les vols et les agressions à main armées.

 

« Nettoyage social »

Parmi les homicides, les organisations de défense des droits humains dénoncent ceux perpétrés par les forces de police, dans des circonstances qui ne sont pas toujours légitimes, ni correctement élucidées.

Pour la branche locale d’Amnesty International, les opérations de sécurité visant à réduire la criminalité et à pacifier les favelas, dans la perceptive d’accueillir des évènements comme la Coupe du Monde ou les J.O. portent atteinte à la population locale. En sept ans de préparation, « 2.500 personnes ont été tuées par la police, rien que dans la ville de Rio, et la justice n’a été obtenue que dans un nombre infime de cas » a dénoncé Atila Roque, le directeur exécutif d’Amnesty Brésil, lors de la sortie du dernier rapport publié par l’ONG.

Pire encore, plusieurs cas ont été rapportés d’« exécutions extra-judiciaires », c’est-à-dire lors de situations où les victimes n’étaient ni armées, ni en rébellion. En moyenne, sur les dix dernières années, selon l’ONG, c’est près de deux personnes qui sont tuées chaque jour par les représentants des forces de l’ordre.

Hormis les homicides, les défenseurs des droits humains dénoncent par ailleurs des détentions irrégulières de sans-domiciles fixes, de jeunes noirs et pauvres se rendant à la plage, ainsi que des expulsions foncières musclées et controversées, ce qui a amené des organisations comme les Nations unies à parler de « nettoyage social » de la ville, pointant notamment le nombre alarmant de cas impliquant des mineurs.

Pour l’avocate des droits de l’homme Karina Quintanilha, qui participe à la défense à São Paulo des victimes de la violence policière, il y a une « volonté de générer un climat de peur, à l’approche de l’événement, chez ceux que les autorités considèrent comme des « ennemis » de l’ordre public. » Avec le collectif Mães e Pais em Luta (Mères et Pères en Lutte), elle a contribué récemment à porter le cas de violences commises envers des lycéens devant la Cour interaméricaine des droits humains à Washington.

« On constate un durcissement de la répression depuis les grandes manifestations de juin 2013, aussi bien du côté de la police que du pouvoir judiciaire et politique ».

Alexandre de Moraes, le nouveau ministre de la Justice, nommé au gouvernement intérimaire en mai, après la mise à l’écart de Dilma Rousseff, est le représentant de cette ligne dure. « En tant que Secrétaire à la sécurité publique de l’État de São Paulo, son poste précédent, il a engagé d’importants investissements en matériel anti-émeutes, développé des nouvelles tactiques de maintien de l’ordre et soutenu la criminalisation croissante des actes commis par les manifestants » rapporte Karina Quintanilha.

« C’est un peu comme si l’Etat de São Paulo avait été son laboratoire. Et nous ne savons pas ce qu’il peut faire à l’échelle du Brésil. »

Le gouvernement intérimaire est en place pour une durée indéterminée pour le moment. Mais ce qui est sûr, c’est que des lois sécuritaires, votées par la Présidente Rousseff, seront en vigueur au moment des Jeux Olympiques et elles inquiètent déjà les militants et les manifestants.

C’est le cas de la loi antiterroriste, validée en mars, qui préoccupe notamment l’organisation Artigo 19, qui lutte pour le respect de la liberté d’expression, d’opinion et de manifestation.

Camila Marques, avocate au sein de l’organisation, explique que « cette loi est dangereuse car elle est floue et laisse une trop large interprétation aux juges. Elle a été votée extrêmement rapidement sans débat public. »

Certaines actions militantes, par exemple pour dénoncer des abus dans la préparation des Jeux peuvent maintenant tomber sous le coup de cette loi, ce qui porte préjudice à la liberté d’opinion.

Par ailleurs, une loi d’exception faite à la demande du CIO, la Loi générale des Jeux Olympiques, restreindra également le droit de circuler et de manifester dans certains lieux et prévoit des peines jusqu’à un an de prison pour ceux qui utiliseraient ou détournerait la « marque olympique » à des fins critiques.

Pour Camila Marques, « les grands événements sportifs ont malheureusement, toujours eu du mal à respecter les droits humains et ce n’est pas que valable au Brésil ».

This article has been translated from French.