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Le biomimétisme, ou comment s’inspirer de la nature plutôt que la détruire

L’intérêt pour le biomimétisme grandit, mais cette approche peine à s’imposer et les investissements publics ne sont pas à la hauteur des enjeux.

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Publié le 04 juillet 2016 à 04h18, modifié le 04 juillet 2016 à 15h32

Temps de Lecture 5 min.

La langue du cameleon Fulcifer balteatus, ici dans le parc national de Ranomafana (Madagascar) a inspiré des scientifiques pour construire un robot capable d’attraper des objets comme une balle ou une petite clé.

Le biomimétisme – s’inspirer du vivant pour mettre au point des systèmes productifs et technologiques performants – est annoncé comme l’avenir, mais celui-ci n’arrive que trop lentement. Réunis les 1er et 2 juillet lors de Biomim’Expo, pour deux jours de conférence et d’ateliers au Centre européen d’excellence en biomimétisme de Senlis (Ceebios), dans l’Oise, les spécialistes de cette discipline ont une nouvelle fois plaidé pour son développement accéléré.

Et régalé le public en multipliant les exposés démontrant l’intérêt, pour le monde industriel en particulier, de prendre exemple sur les organisations performantes rencontrées dans le monde animal et végétal. On connaît depuis un certain temps les fleurs de bardane et leurs petits crochets qui ont donné naissance à la bande Velcro, les marteaux de la petite crevette-mante capables de percer les blindages de coquillages inspirant les torpilles, la toile d’araignée et sa solidité autant que son élasticité et sa résistance, ou encore la faculté qu’ont les éponges à fabriquer du verre à température ambiante, soit 2 à 3 °C, alors que les hommes le produisent de 700 à 1 400 °C.

L’algorithme des fourmis

Les chercheurs ont effectué un tour quasi complet des multiples possibilités que nous offre la nature, notamment en matière de systèmes. Ainsi Tarik Chekchak, secrétaire général du comité français de Biomimicry Europa, une association de promotion du biomimétisme, a cité l’algorithme des fourmis, leur comportement de recherche d’itinéraire entre la colonie et une source de nourriture, qui a été utilisé par les systèmes de guidage comme les GPS. Ou encore l’algorithme des abeilles et leur capacité à cesser d’exploiter une ressource dès qu’elle n’apparaît plus comme suffisante, même si celle-ci n’est pas épuisée.

Tous ces exemples sont étudiés depuis plusieurs années. Mais cela ne suffit pas, il faut désormais rompre avec les modèles existants, ont insisté les intervenants. « Pour fabriquer aujourd’hui des panneaux solaires, il faut des terres rares, des hautes températures et de la haute pression, a expliqué Tarik Chekchak. Or, il existe de merveilleux panneaux solaires que sont les feuilles. Et si leur rendement, en termes de production d’électricité, est faible, la démultiplication possible de cette surface est telle – avec les revêtements, les peintures – que l’on peut arriver à un résultat intéressant. » Pour cela, dit-il, il faut être capable d’« innovations de rupture ».

L’urgence s’impose petit à petit. Idriss Aberkane, professeur à l’Ecole centrale, a rappelé les trois phases qui caractérisent selon lui toute révolution : « Comme pour le droit de vote des femmes ou la fin de l’esclavage, on dit “c’est ridicule”, puis “c’est dangereux” et enfin “c’est évident”. » Et d’asséner le credo du biomimétisme : « La nature est un laboratoire de recherches vieux de 4 millions d’années, une bibliothèque fabuleuse qu’il faut arrêter de détruire. »

Un engagement plus fort de l’Etat

Ces « évidences » ont pourtant du mal à déboucher concrètement. Le débat au Conseil économique, social et environnemental (CESE), le 9 septembre 2015, avait donné lieu à l’adoption à l’unanimité de recommandations, dont la nécessité pour la puissance publique d’investir à la hauteur des enjeux économiques. Les Allemands, en pointe sur la question depuis le début des années 2000, ont financé à hauteur de 8 millions d’euros, sur six ans, Biokon, un réseau qui rassemble des programmes sur le biomimétisme, avec une action conjuguée des ministres de la recherche, de l’écologie et de l’économie.

Lors de l'événement Biomim expo, qui s'est tenu les 1er et 2 juillet à Senlis (Oise), de nombreux conférenciers, dont Tarik Chekchak, ont vanté les innovations possibles et nécessaires grâce au biomimétisme.

A côté, les quelques dizaines de milliers d’euros promis au Ceebios par le ministère de l’environnement semblent minces. Le centre fonctionne avec un budget de 160 000 euros, mais aurait besoin d’un demi-million, disent ses responsables, et de plusieurs millions pour les cinq prochaines années. « Il faut un engagement plus fort de l’Etat et des régions, un réel engagement institutionnel », assure Patricia Ricard, présidente de l’institut océanographique de recherches Paul Ricard, qui était rapporteuse sur la question au CESE. Selon elle, les entreprises commencent à s’intéresser sérieusement à la question. « Elles n’ont pas le choix, cela fait partie de leur développement futur, explique-t-elle. Sinon, comment expliquer que de grandes sociétés comme L’Oréal, Eiffage, Dassault, LVMH, Air Liquide, Renault… investissent dans le Ceebios, alors qu’elles n’en ont pas besoin pour développer leurs propres programmes de recherche. C’est bien qu’il se passe quelque chose. »

Aujourd’hui, quelque 140 équipes travaillent en France sur des projets relevant du biomimétisme – matériaux, chimie, énergie, robotique… L’idée est donc pour le Ceebios de favoriser leur mise en réseau et, surtout, de permettre à ces recherches de rencontrer les entreprises.

De nombreuses sociétés, militaires et civiles, s'intéressent de près aux fils tissés par les araignée, très résistants, solides, élastiques - certains peuvent s'allonger jusqu'à cinq fois - et ultra légers.

La double peau du dendrobate granuliferus

« En France, on est encore en période de transition, avec des entreprises demandeuses mais sans biologistes intégrés dans leur organisation, sans accès aux pools d’experts qui existent pourtant », résume Kalina Raskin, responsable du développement du Ceebios. Des groupes de travail, au sein du centre, se sont mis en place sur l’habitat bio inspiré, les matériaux…

Cette inspiration pourrait trouver un nouveau souffle avec l’appauvrissement des ressources, les problématiques climatiques, en somme : avec la détérioration de la planète. « L’énergie fossile était sans limite, et on s’aperçoit aujourd’hui qu’il faut changer de modèle. Les réglementations environnementales nous y poussent aussi. Et avec le changement climatique, on entre dans une période très intéressante pour repenser une société beaucoup plus résiliente », espère Kalina Raskin.

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Sur les murs de la grande salle où se tenait la conférence, de superbes photos d’animaux et de végétaux de Sabine Bernert (recueillies dans Géniale nature, Biomimétisme, éditions Odyssée, 14,90 euros) présentent l’apport de ces acteurs naturels à la construction de systèmes intelligents. Tel l’éléphant qui, en tapant du pied et en utilisant les basses fréquences, peut prévenir d’un danger des congénères à une cinquantaine de kilomètres. Ou le dendrobate granuliferus, un petit amphibien vivant au Costa Rica, à qui la double couche de peau permet de sécréter un venin. Cette caractéristique intéresse les ingénieurs de l’aéronautique, qui imaginent une double membrane sur les ailes des avions pour y injecter un produit antigivre.

En étudiant les propriétés des fleurs de la bardane difficiles à décrocher des poils des animaux, un chercheur en a conçu le

Autant d’histoires qui ravissent les spectateurs… et les industriels présents. « L’intérêt explose pour le biomimétisme, conclut Kalina Raskin. Nombre d’industriels ne connaissent pas cette approche et sortent ébahis de nos conférences. Pour eux, la biologie, c’était des fleurs et des petits oiseaux. »

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