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Attentats de 2015: «Notre pays n’était pas préparé, maintenant il faut se préparer»

par LIBERATION, avec AFP
publié le 5 juillet 2016 à 8h47
(mis à jour le 5 juillet 2016 à 9h49)

Près de huit mois après les attaques jihadistes les plus meurtrières jamais perpétrées en France, et au terme de quelque 200 heures d’auditions, la commission d’enquête parlementaire sur les attentats rend ses conclusions ce mardi. En voici les principaux points :

• Le Bataclan et les terrasses du 13 novembre

L'attaque contre le Bataclan n'aurait pas pu être évitée, estime le rapporteur de la commission d'enquête parlementaire sur les attentats Sébastien Pietrasanta, alors que des menaces avaient été proférées en 2009 et 2015 et étaient connues du renseignement. «Contrecarrer les attaques aurait supposé que les magistrats instructeurs et les agents des services de renseignement aient gardé, personnellement, en mémoire toutes les cibles mentionnées par les terroristes lors de leurs auditions», selon le député socialiste.

En 2009, selon la commission, une Française d’origine albanaise, Dude Hohxa, arrêtée en Egypte après l’attentat du Caire qui avait fait un mort - une lycéenne française - et 24 blessés, a déclaré aux service égyptiens qu’un Belge, Farouk Ben Abbes, projetait d’attaquer la salle de spectacle. Soupçonné d’appartenir à une filière d’envoi de combattants en Irak, Farouk Ben Abbes avait été arrêté une première fois en Belgique. Bénéficiant d’un non-lieu, il avait alors pu se rendre en Egypte en 2009 où, interrogé par les services égyptiens après les attentats au Caire, il aurait avoué avoir un projet d’attentat au Bataclan. Remis en liberté, il est de nouveau interrogé par les Belges, puis par les autorités françaises lors de son arrivée sur le territoire en 2010. Il sera alors mis en examen et placé en détention.

«Lors de son audition, le chef de la Sécurité intérieure M. (Patrick) Calvar nous a expliqué que toutes les investigations réalisées à partir de là n'ont pas permis de le relier à ce pseudo-projet dont on ignore toujours s'il a existé ou non», précise le rapporteur Sébastien Pietrasanta. Le député socialiste ajoute que «pendant son audition, le procureur de Paris François Molins, a mis en cause un défaut de coopération avec les autorités égyptiennes». «Faute d'éléments probants, cette information judiciaire s'est donc conclue par un non-lieu», explique Sébastien Pietrasanta. «Dès lors qu'un juge d'instruction a conclu après enquête que la menace n'était pas avérée, il est difficile d'engager une protection qui aurait dû s'étendre sur plusieurs années», ajoute-t-il.

Le soir du 13 novembre, «l'intervention des forces d'intervention a été rapide, efficace et a démontré qu'elles étaient capables de collaborer», ajoute Sébastien Pietrasanta.

• La gestion des attentats

Il n'y a «pas eu de gros ratés» dans la gestion des attentats de 2015, mais la France n'était «pas prête» à affronter des attaques jihadistes de cette ampleur. «Notre pays n'était pas préparé, maintenant il faut se préparer», a déclaré à l'AFP le député Les Républicains Georges Fenech, qui a présidé la commission d'enquête sur «les moyens mis en oeuvre par l'Etat pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015», jour de l'attaque contre Charlie Hebdo.

Si Sébastien Pietrasanta avoue avoir d'abord été «très critique» sur la prise en charge des victimes dans la salle de spectacles du Bataclan et aux terrasses de cafés et restaurants parisiens visés par les attaques, il dit avoir été «convaincu» par les auditions notamment du directeur général de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris Martin Hirsch. «Les secours ont été gérés dans les meilleures conditions possibles suivant les circonstances», approuve aussi Georges Fenech.

Le principal problème, selon la commission, a été l’évacuation des victimes, qui a pu être retardée par le fait que les secours d’urgence n’avaient pas accès au périmètre des forces d’intervention. Dans ses 39 propositions, qui devaient être formellement adoptées ce matin, la commission préconise ainsi l’instauration de «colonnes d’extraction» des victimes.

• Le renseignement français

«Les deux grands patrons du renseignement ont reconnu pendant leurs auditions que les attentats de 2015 représentent un "échec global du renseignement"», révèle Sébastien Pietrasanta. «C'est un échec quand il y a un attentat», confirme Georges Fenech, «Face au défi du terrorisme international, il faut des ambitions beaucoup plus élevées que ce qu'a mis en oeuvre jusqu'à maintenant le ministère de l'Intérieur en termes de renseignement et créer une agence nationale de lutte contre le terrorisme».

La commission d'enquête préconise donc une réorganisation du renseignement autour d'une agence nationale placée directement sous l'autorité du Premier ministre, sur le modèle américain du Centre national antiterroriste (NTC) créé après le 11 septembre 2001. «Les frontières entre services de renseignement ont permis la levée de la surveillance de Saïd Kouachi dès lors qu'il a quitté Paris pour Reims», donne en exemple Georges Fenech. Saïd Kouachi a alors disparu des radars, pour ne réapparaître que le 7 janvier 2015 en attaquant Charlie Hebdo.

• L'état d'urgence et l'opération Sentinelle

L'état d'urgence décrété dans la foulée des attaques jihadistes du 13 novembre à Paris et l'opération militaire Sentinelle n'ont qu'«une portée limitée sur la sécurité nationale», estime le rapporteur de la commission d'enquête. «L'état d'urgence a eu un effet mais il semble s'être rapidement amenuisé. Et dix-huit mois après le début de l'opération Sentinelle, alors que cette contribution qui a été jusqu'à 10 000 hommes est encore aujourd'hui de 6 000 à 7 000 soldats, je m'interroge sur la valeur ajoutée réelle dans la sécurisation du territoire national», déclare Sébastien Pietrasanta, qui s'interroge également sur «le bien-fondé du maintien de plusieurs forces d'intervention spécialisées» et préconise, à terme, «la fusion des trois forces d'élite» (GIGN, Raid et BRI).

• Sur l'aspect carcéral, «tout reste à faire»

Le cas d'Amédy Coulibaly, tueur de l'Hyper Cacher en janvier 2015, est emblématique des failles du renseignement, cette fois-ci pénitentiaire, domaine dans lequel «tout est à faire» a reconnu le ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas lors de son audition. Condamné plusieurs fois, notamment lors du procès d'un projet d'évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem, l'un des auteurs des attentats de 1995, Coulibaly est sorti de prison sans que l'information ne soit transmise, ni qu'aucune surveillance ne soit prévue alors même que sa radicalisation ne faisait plus de doute.

• Les défaillances du contrôle judiciaire

Quant au cas de Samy Amimour, assaillant du Bataclan qui a pu aller en Syrie en 2013 malgré une interdiction de sortie du territoire, «il est emblématique des défaillances du contrôle judiciaire», estime Sébastien Pietrasanta. «L'ancien juge d'instruction antiterroriste Marc Trévidic, pendant son audition, nous a expliqué que trafiquants de shit et terroristes font l'objet du même traitement, les seconds n'étant pas plus surveillés que les autres», explique le rapporteur.

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