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L’Ouganda est-il l’« ami » des réfugiés ?

Situé au cœur d’une zone de conflits, le pays est cité en exemple par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

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Publié le 05 juillet 2016 à 14h13, modifié le 06 juillet 2016 à 07h24

Temps de Lecture 3 min.

Des Rwandais à Nakivale, le plus ancien regroupement de villages de réfugiés en Ouganda.

« Nous nous occupons des réfugiés. Pourquoi ? Car ils sont nos frères et nos sœurs. » Cette déclaration, plutôt rare de la part d’un chef d’Etat, sort pourtant de la bouche d’un président africain et non des moindres : Yoweri Museveni, continuellement réélu à la tête de l’Ouganda depuis 1986. Depuis les années 1950, ce pays d’Afrique de l’Est accueille les réfugiés fuyant les conflits voisins. Rwandais, Somaliens, Burundais, Congolais ou Sud-Soudanais, ils sont près de 540 000 à demeurer en ville ou dans les zones rurales.

Depuis 2009 et l’application d’une nouvelle politique d’accueil généreuse, l’Ouganda est régulièrement cité comme un exemple à suivre par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Petit examen critique des raisons qui ont valu au pays le qualificatif d’« ami » des réfugiés.

Pas de camps et la liberté de mouvement

Mis en place en milieu rural dès la fin des années 1950, les terrains d’accueil pour les réfugiés échappent à la structure rigide des camps que l’on connaît aujourd’hui. Ici, pas de rangées resserrées où les abris s’alignent à l’infini, mais des settlements, qui occupent de vastes étendues sans organisation prédéfinie. Le plus vieux, Nakivale, s’étend sur 185 km2 et regroupe près de 80 « villages ».

La loi sur les réfugiés, votée en 2006 et appliquée dès 2009, insiste sur la nécessité de réduire la dépendance des réfugiés à l’aide internationale. Depuis, des parcelles de terre ont donc été allouées à ceux qui savent cultiver – du jamais-vu sur le continent africain. Ecoles et dispensaires ont été ouverts à tous afin de favoriser l’intégration aux communautés locales et diminuer les tensions nées du partage parfois contesté des ressources.

L’Ouganda reconnaît dans sa loi de 2006 la liberté de mouvement comme droit fondamental des réfugiés, les autorisant de fait à quitter les campagnes isolées et à s’installer dans les villes. Mais cette liberté a un coût, celle de renoncer à presque toute forme d’assistance, les agences humanitaires étant encore peu présentes hors des « villages ». « Les réfugiés urbains sont abandonnés », se désole Douglas*, originaire de la République démocratique du Congo (RDC) et directeur d’une association d’entraide pour réfugiés francophones. La pauvreté et l’absence de perspectives d’avenir poussent certains à fuir une seconde fois, au péril de leur vie. Kampala est aujourd’hui l’une des plaques tournantes des flux migratoires irréguliers vers l’Europe.

Du travail pour tous ?

Le droit au travail, pourtant garanti par la Convention de 1951 relative au statut de réfugié, est rarement appliqué par les pays hôtes. Mais, en Ouganda, tous les réfugiés sont libres de travailler et de créer leur entreprise… en théorie. Car ils débarquent sur un marché du travail saturé, où la discrimination à l’embauche est courante. « Les réfugiés sont perçus comme des incapables », s’offusque Joyeux. Originaire de la RDC, il raconte comment son ancien patron, lorsqu’il a découvert son statut de réfugié, a subitement arrêté de lui verser son salaire.

Les obstacles à l’emploi sont nombreux : qualifications non reconnues, barrière de la langue, absence de réseau professionnel… L’accès au travail est encore loin d’être assuré.

Pour accompagner la loi de 2006, le gouvernement s’est doté d’une nouvelle stratégie, ReHope, qui mise sur la participation du secteur privé, autrefois persona non grata, à l’économie des settlements. Le but : réduire l’implication des bailleurs internationaux et assurer des retombées positives sur l’économie locale.

« Nous n’étions pas à l’écoute des voix des réfugiés », confie une employée de l’UNHCR à Nakivale en détaillant les projets de l’agence pour les années à venir. Au programme : diversification des cultures agricoles, amélioration de l’accès au microcrédit et création d’activités entrepreneuriales… Mais toujours rien de prévu dans les villes.

Besoins non satisfaits

Selon Chris Dolan, directeur du Refugee Law Project, l’importance accordée par le gouvernement ougandais et l’UNHCR sur l’autonomie des réfugiés cache un manque crucial de programmes répondant à d’autres besoins. « Une grande partie d’entre eux ne peuvent pas devenir autonomes, analyse-t-il. Les gens deviennent réfugiés alors qu’ils ont vécu des expériences extrêmement traumatisantes et souvent invalidantes. »

Parmi les individus qui poussent la porte de son organisation, deux femmes sur trois et un homme sur deux ont été victimes d’agressions sexuelles, dont les conséquences physiques et psychologiques ne sont pas prises en charge par les services de santé offerts aux réfugiés.

Ce reportage a été financé par le Centre européen du journalisme via son programme Innovation in Development Reporting.

* Les noms de famille ont été supprimés.

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