Le premier sommet de l’OTAN dans une capitale de l’ancien bloc soviétique depuis la crise ukrainienne promettait d’être un exercice difficile. La réunion des vingt-huit chefs d’Etat et de gouvernement de l’Alliance atlantique à Varsovie, les vendredi 8 et samedi 9 juillet, est aimantée par la Russie comme le fut, dans un climat de grande tension, le sommet précédent de 2014, au Pays de Galles, après l’annexion de la Crimée. Varsovie, tout un symbole pour une organisation qui est revenue à son rôle historique fondamental, la défense collective face à la menace russe.
Principal enjeu de cette réunion : afficher l’unité de l’OTAN. La dernière surprise stratégique n’est pas venue d’un accrochage militaire en mer Baltique, mais du Brexit. Sera-t-il porteur de nouveaux équilibres quand le Royaume-Uni aura finalisé sa sortie de l’Union européenne ? Londres est la seule puissance nucléaire européenne de l’OTAN avec la France, et la nation qui assure, en tandem avec les Etats-Unis, le commandement opérationnel suprême de l’Alliance en Europe. Nul ne sait jusqu’où ira l’onde de choc. Le président tchèque, Milos Zeman, a ainsi déclaré, le 1er juillet, qu’il soutiendrait un référendum sur l’appartenance de son pays tant à l’OTAN qu’à l’UE. Une hypothèse exclue par son premier ministre.
Les Vingt-Huit veulent écarter le débat sur les conséquences du Brexit, mais le renforcement de la coopération avec l’UE est à l’ordre du jour. Le secrétaire général, le Norvégien Jens Stoltenberg, décrit celle-ci comme « un partenaire essentiel » et, dit-il, « le moment est venu de faire évoluer la relation » entre les deux organisations. Invités surprises du sommet, les présidents du Conseil européen et de la Commission, Donald Tusk et Jean-Claude Juncker, devaient rencontrer le président américain, Barack Obama, vendredi matin, et livrer une déclaration conjointe sur la sécurité.
Face aux tensions sans précédent nées de la crise ukrainienne, les décisions, elles, sont prises. Un conseil OTAN-Russie aura lieu le 13 juillet juste après le sommet : une séance d’explication.
« Solidarité tranquille »
Les alliés de l’est de l’Europe, stressés par les démonstrations de puissance russe à leurs frontières, et tentés de se replacer dans une posture de guerre froide, ont eu tendance à jouer la surenchère – Baltes et Polonais mettent en avant les analyses de la Rand Corporation, think tank américain affirmant que des troupes russes mettraient moins de trois jours pour envahir la Lettonie ou l’Estonie, sauf si l’OTAN déployait sept brigades armées.
De leur côté, les grands pays, Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne, insistent sur le dialogue, nécessaire et jamais rompu, avec Moscou. A Paris, les officiels évoquent la « solidarité tranquille que donne la force », avec un objectif principal, éviter que le sommet ne vienne polluer la difficile négociation sur l’application des accords de Minsk en Ukraine.
Mais le secrétaire général peut évoquer un moment « décisif » avec, martèle-t-il, une OTAN « plus rapide, plus forte, plus réactive ». Un sommet de l’OTAN « est, par définition, toujours un succès », ironise un diplomate européen de haut rang. L’Alliance s’est effectivement musclée à la faveur de la crise ukrainienne – la réunion de Varsovie sera d’ailleurs l’occasion de réaffirmer un soutien « indéfectible » à Kiev et au président Petro Porochenko, qui sera présent.
Le sommet s’affiche comme celui de la mise en œuvre des choix faits depuis deux ans. Des nouveaux plans de défense secrets ont été élaborés (seul le premier, en direction de la Pologne, sera prêt à Varsovie). En juin, les ministres de la défense ont décidé une « présence avancée renforcée » en Pologne, en Estonie, en Lituanie et en Lettonie, avec le déploiement par rotation de quatre bataillons multinationaux, comptant chacun 1 000 soldats.
Le dispositif comprendra un état-major en Pologne. La Roumanie et la Bulgarie bénéficieront, elles, d’effectifs « taillés sur mesure », soit une brigade de quelques centaines d’hommes. Des unités logistiques sont également prévues à l’est, ainsi que des blindés dans le cadre d’une aide directe américaine.
« Les Polonais ont été invités à éviter tout dérapage »
Un diplomate
Des forces avant tout symboliques, censées inciter Moscou à la prudence sans lui offrir de prétexte à l’escalade. « Raisonnables » pour Paris, « satisfaisantes » pour Berlin – où le ministre des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, a cependant jugé « bellicistes » les dernières manœuvres d’exercice otaniennes à l’est –, ces mesures sont acceptées du bout des lèvres par la Pologne et les pays proches. Les Alliés éviteront toute déclaration divergente. « Les Polonais ont été invités à éviter tout dérapage », sourit un diplomate.
Ambiguïté de Moscou
Dans la même idée d’éviter toute division, la France s’est rangée à la volonté américaine de déclarer opérationnelle la première brique du bouclier antimissile de l’OTAN, alors qu’il repose encore uniquement sur les moyens du Pentagone. Les Alliés sont à l’unisson pour dire à la Russie que le parapluie n’est pas tourné contre elle, mais contre une frappe sporadique venue du Moyen-Orient, de l’Iran pour ne pas le nommer. Par ailleurs, le sujet de l’élargissement sera soigneusement écarté. L’accession du Monténégro a été décidée en décembre 2015. Il ne sera pas fait mention des demandes de l’Ukraine et de la Géorgie.
D’autres décisions, prises en 2014, deviennent concrètes. Le triplement des effectifs de la Force de réaction rapide d’abord, jusqu’à 40 000 hommes. Ensuite, la constitution d’une composante « Fer de lance » de 5 000 fantassins, bénéficiant d’un soutien aérien, naval, et de forces spéciales, le tout pouvant être déployé en quarante-huit heures. L’OTAN poursuit aussi sa mission de police du ciel des pays baltes et développe ses patrouilles en mer Noire et dans la Baltique.
Les experts sont convaincus que Moscou ne s’attaquera pas aux frontières de l’OTAN, mais s’inquiètent de son attitude
Les experts militaires de l’OTAN restent convaincus que Vladimir Poutine n’a pas l’intention de s’attaquer aux frontières de l’Alliance. Mais l’inquiétude concerne l’attitude plus imprévisible de Moscou. De nombreux experts soulignent que M. Poutine a introduit de l’ambiguïté dans tous les domaines militaires, qu’il s’agisse des scénarios en cas d’escalade, du seuil d’emploi des armes nucléaires, des exercices.
Or, la Russie déploie hommes et matériels – y compris des systèmes de défense antiaérienne et des missiles – à Kaliningrad, l’enclave russe aux confins de la Pologne et de la Lituanie. L’armée russe mène de gros investissements dans les armes de précision et les équipements de déni d’accès, tels ses S400, qui créent une « bulle » au-dessus de la Syrie. Ces capacités, souvent duales (conventionnelles et nucléaires), reviennent pour les Occidentaux à une « sanctuarisation agressive ».
M. Stoltenberg entend éviter à tout prix la rupture de l’Acte fondateur OTAN-Russie de 1997, qui prohibe la présence de forces permanentes et en grand nombre aux frontières de l’Est. A Varsovie, il insistera d’ailleurs beaucoup, à la demande de Paris notamment, sur la nécessité d’une approche « à 360 degrés » pour la sécurité des Alliés. C’est-à-dire qui ne soit pas uniquement focalisée sur la menace russe. Il évoquera « la projection de stabilité » au sud, avec une extension de l’opération « Active Endeavour » en Méditerranée, ou l’augmentation du soutien aux forces irakiennes.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu