Chine : les nouveaux hybrides
Rencontre du troisième type
La première fois que j’ai pris conscience de cette nouvelle tendance il y a environ 3 ans, c’était au Dada, Mecque pékinoise de la culture dance alternative. Tout à coup, je réalisais que les jeunes autour de moi ne ressemblaient ni à des hommes, ni à des femmes, mais au deux en même temps. Cheveux mi- longs mi- rasés, pantalons amples, t-shirts XXS. Le corps fluet des Chinois aidant, il fallait vraiment y regarder à deux fois pour comprendre le genre de chacun. En levant les yeux vers le dj booth, je vois un jeune Chinois aux platines. Il joue un mélange de hip hop et d’électronique avec des voix modifiées tantôt « girly » tantôt « gangster », le tout posé sur des basses énormes qui font vibrer les gobelets posés sur les enceintes.
« Je ne suis pas gay. Mais mes tenues peuvent prêter à confusion, admet-il. Depuis tout petit, j’ai vécu toutes sortes de changements : du village du Shandong où je suis né jusqu’à Pékin, de la Chine de mon enfance à celle d’aujourd’hui, tout a changé autour de moi et j’ai toujours puisé des choses intéressantes dans ces mutations. En plus, je suis issu d’une génération où toutes sortes d’infos sont accessibles : tout circule, tout se mélange. »
Il n’est pas le seul à vouloir créer des « expériences » plutôt que de simples soirées. Les jeunes urbains sont en effet des clients de plus en plus capricieux. « Le gouvernement contrôle tout ; le jeu, la drogue, et la pornographie sont interdits, donc que reste-t-il pour s’amuser ? Les choses déviantes ! » commente Song Zhiqi, organisateur des événements Shadow PLay. Cet engouement pour le subversif et le grotesque est l’équivalent du phénomène « queer » en anglais, terme qui à l’origine veut dire : différent, anormal, et qui de nos jours, s’applique plus généralement au mouvement transgenre.
Chen Tianzhuo, le neo gourou
Beio, House Of Drama, Grebnellaw, Han Yu, Dope Girls… voilà les noms des performers de Adaha II, membres également du collectif Asian Dope Boys initié par Chen Tianzhuo. Le premier de la liste, Beio, est le bras droit de Chen : il intervient dans la direction artistique de certaines pièces. Figure centrale de Adaha II, il y apparait comme une sorte de shiva pop hardcore. C’est son corps unisexe qui intéresse particulièrement Chen Tianzhuo car il peut facilement se muer en un corps divin.
« Mes performances reflètent mon angoisse face aux faiblesses de notre être physique et physiologique. Ce que je veux faire ressentir au public, c’est le concept bouddhiste de vacuité. Nos corps sont faibles et vains. Tout ceci est retranscrit par la danse butoh dans mes performances. Cette danse japonaise met vraiment en scène les turpitudes du corps, c’est très fort. »
ISHVARA – full length from Tianzhuo Chen on Vimeo.
La performance de 44 minutes se déroule en plusieurs chapitres à la manière d’une épopée mystique qui n’est pas sans rappeler le Baghavad Gita hindou. C’est d’ailleurs en Inde que Chen Tianzhuo a décidé de créer ces performances multiformes. Certes il détourne allègrement les codes de la mythologie indienne, remplace les dieux par des poupées gonflables et les sitars par de la bass music futuriste. Mais on a tout de même l’impression que derrière ce patchwork déviant, Chen Tianzhuo est dans une véritable quête spirituelle. L’artiste se dit d’ailleurs adepte du bouddhisme tantrique tibétain, ce qui peut paraître déroutant quand on pense que ses parents ont été des athées matérialistes, comme le voulait leur époque. L’intérêt renouvelé pour le bouddhisme est un trait intéressant de la génération Balinghou, cette doctrine semble en effet bien correspondre au mode de vie de ces jeunes à la fois égocentrés et syncrétiques.
« Avec le collectif Asian Dope Boys, nous voulons créer notre musique, nos évènements, gérer nous-même nos publications. Nous voulons être une entité autonome ».
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En effet, le collectif est très connecté à la scène clubbing et à un certain son que tous les producteurs et le public aiment à qualifier de « son du futur ».
Une nouvelle cartographie
Londres, Berlin, voilà des villes qui reviennent beaucoup dans le parcours artistique des jeunes artistes chinois. Londres pour le prestige des grandes écoles, Berlin pour la liberté de création et d’expression et les loyers pas chers. D’autres artistes comme Pan Daijing (à Berlin) ou Howie Lee (Londres) ont aussi suivi ce parcours. Ils ont étudié, habité à l’étranger dont ils ont absorbé différents aspects : la technologie (synthétiseurs, logiciels), la culture populaire (Britney Spears, South Park) ou les avant-gardes (sound art, culture queer, etc.). Après quelques années, certains à l’instar de Chen Tianzhuo choisissent de rentrer en Chine pour développer leur art comme d’autres jeunes rentrent au pays après un MBA à Harvard ou une autre grande université. De retour en Chine, ils inoculent leur nouvelle culture à leur entourage, brouillent les pistes de l’identité locale et réinventent les genres. Mais à la différence des jeunes diplômés de Harvard, les parents de ces nouveaux hybrides ne sont pas toujours au courant ou en accord avec le chemin de vie de leurs rejetons.
« Mes parents ont vu mes travaux en surfant en cachette sur le Net; Ils ont eu du mal à digérer, mais c’est normal », commente Chen Tianzhuo. Et Song Zhiqi d’ajouter : Il y a toujours eu des marginaux en Chine, mais ils n’avaient pas de porte de sortie, pas de moyen de s’exprimer. Maintenant au moins, ils peuvent sortir la nuit ! »
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