Dépêche

Salvador: effacer ses tatouages pour oublier les gangs

San Salvador (AFP) - Après vingt-sept minutes et 3.966 impulsions au laser, José Antonio commence enfin à voir disparaître son tatouage sur la poitrine, marque d'appartenance aux gangs du Salvador dont il souhaite aujourd'hui se débarrasser pour tourner la page.

"Par sécurité, je fais effacer mes tatouages", confie cet homme, dont le prénom a été modifié pour raisons de sécurité.

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Elément de coquetterie dans de nombreux pays du monde, au Salvador "les tatouages apportent beaucoup de problèmes et même la mort", assure José Antonio, ancien membre de la redoutable Mara Salvatrucha (MS-13), l'une des deux bandes criminelles les plus puissantes de la région.

Dans le pays d'Amérique centrale, se tatouer est le passage obligé pour les membres de gangs : on y affiche son appartenance à telle ou telle bande, on y inscrit un meurtre - représenté généralement par une larme - ou le deuil d'un proche - symbolisé par une croix -.

De peau mate et de corpulence robuste, José Antonio, 38 ans, a passé 14 ans derrière les barreaux pour homicide et vol.

Désormais, il est l'un des 828 patients d'une clinique créée en 2003 par le gouvernement dans la capitale San Salvador pour enlever gratuitement les tatouages d'anciens membres de gangs ou de prostituées et les aider ainsi à se réinsérer dans l'un des pays les plus violents au monde.

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Immergé parmi les bandes criminelles depuis l'âge de 10 ans, José Antonio s'était tatoué les bras avec différents prénoms et figures, dont la plus significative était le fameux "MS" identifiant les fidèles de la Mara Salvatrucha, son gang pendant 12 ans.

Sorti de prison en 2012, il a été confronté aux guerres de territoire entre gangs. Dans son groupe de 40 'pandilleros', comme on appelle les membres de bandes criminelles au Salvador, ils ne sont que quatre à avoir survécu.

Pour s'en sortir, José Antonio a d'abord essayé de dissimuler, avec d'autres tatouages, les lettres "MS" sur son corps.

Puis il a commencé à effacer au laser les marques sur ses bras, pour pouvoir remettre des manches courtes, avant de s'attaquer maintenant aux tatouages sur sa poitrine.

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"Discrimination"

A la clinique, la docteure Mayde Ramirez, 40 ans, s'équipe de gants et de lunettes spéciales avant de refroidir la zone du tatouage puis d'y travailler, millimètre par millimètre, à l'aide d'un pistolet laser.

Une fois le traitement terminé, elle applique de la vaseline et un bandage, avant la prochaine session programmée dans un mois.

Ce programme gouvernemental, financé en partie par Taïwan, a bénéficié à plus de 17.200 Salvadoriens entre 2003 et 2012. Mais il a dû s'interrompre fin 2014 car les lasers utilisés étaient devenus obsolètes.

Une subvention de 210.000 dollars du pays asiatique a permis de le relancer en avril, une mesure bienvenue car beaucoup de personnes tatouées souffrent de "discrimination et de stigmatisation", explique la médecin à l'AFP.

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Au Salvador, raconte une psychologue chargée de s'entretenir avec les patients et ne souhaite pas être identifiée, le tatouage lié à un gang marque "la frontière entre la vie et la mort, la prison et la liberté, l'emploi et le chômage".

"Le tatouage est mal vu", confirme à l'AFP Miguel Montenegro, coordinateur de la Commission des droits de l'homme.

"Même les personnes qui n'ont rien à voir avec les gangas courent un risque pour le simple fait d'avoir un tatouage et en raison de l'ignorance des autorités qui les associent avec des groupes de délinquants", ajoute-t-il.

La clinique accueille ainsi de simples citoyens, comme José Valencia, 51 ans : cet ex-soldat raconte que pendant la guerre civile (1980-1992) et alors qu'il n'avait que 17 ans, un supérieur l'a obligé à se faire tatouer un puma sur le torse.

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"Celui qui ne porte pas un puma sur la poitrine ne peut sortir en opérations", répétait ce lieutenant, se souvient José, donc "tous les camarades avec qui j'étais se sont fait faire des tatouages, sans savoir vraiment ce qu'ils faisaient à ce moment-là".

Selon les estimations officielles, le Salvador compte encore 70.000 membres de gangs, dont 13.000 sont en prison.

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