(Capture d'écran)

À New-York, une campagne anti-Airbnb à 3 millions de dollars
Hôteliers, politiciens et activistes du logement ont lancé une campagne vidéo et un site web pour dénigrer la plateforme de location immobilière entre particuliers, accusée de violer la loi et d’aggraver la crise du logement.

A New York, hôteliers, politiciens et activistes du logement, ont lancé une campagne vidéo et un site Web pour dénigrer la plateforme de location immobilière entre particuliers. (Capture d'écran).

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La grogne montait, cette fois, la guerre est déclarée. Les hôteliers entendent bien faire rentrer dans le rang les plateformes de location entre particuliers, qui grignotent une part croissante de leur clientèle. Le 23 juin dernier, l'Association pour un hébergement et un tourisme professionnels (Ahtop), représentant les professionnels français du tourisme, a déposé une plainte au parquet contre Airbnb et consorts pour concurrence déloyale.

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Elle exige que les internautes reçoivent une autorisation préalable de leur mairie avant de mettre un bien à la location et qu'ils déclarent systématiquement les revenus engendrés. Un coup dur de plus pour la célèbre entreprise californienne. En 2014, Airbnb avait déjà subi une sévère campagne de dénigrement à New York. Les hôteliers locaux avaient alors investi 3 millions de dollars pour diffuser des vidéos montrant des logements d'une saleté repoussante, histoire de rappeler que l'accueil du public était un vrai métier.

Après huit années d'ascension spectaculaire, la plateforme voit son image écornée une nouvelle fois. Mais pas sûr que cela suffise à faire douter le mastodonte, dont le chiffre d'affaires s'élève aujourd'hui à 25 milliards de dollars.

San Francisco: 8440 annonces, 190¤ la nuit

Le Golden Gate Bridge de San Francisco

La loi oblige Airbnb à s'assurer que ses loueurs sont enregistrés à la mairie, sous peine d'une amende de 1000¤ par jour de publication. Interdiction de louer un bien plus de 90 jours par an.

© / afp.com/Ezra Shaw

Son talent? Avoir réussi à donner l'image d'un site pratique et convivial, grâce auquel on pouvait arrondir ses fins de mois en hébergeant un inconnu dans la chambre d'ami ou pendant ses vacances. Sauf que les sommes en jeu (une nuitée à Paris s'y monnaie facilement 100 euros) ont aiguisé les appétits. Et ouvert la voie à un vrai business pour certains particuliers qui achètent des meublés afin de les louer à l'année. Les chiffres parlent d'eux-mêmes.

A Paris, sur les 50000 logements référencés par le site, 18500 sont loués plus de quatre mois par an (1). A Barcelone, 58% des annonces sont postées par des personnes qui proposent plusieurs logements. En réservant ainsi autant de surface aux touristes, les propriétaires ne font qu'aggraver la crise du logement dans les grandes villes.

A Paris, malgré l'amende encourue, la fraude est massive

Avec les résidents, les hôtels et groupes de location comme Pierre & Vacances sont les autres grandes victimes du phénomène. D'après une étude de l'université de Boston, Airbnb a provoqué une chute de 10% du chiffre d'affaires des hôtels dans certaines villes américaines. A Paris, la situation est tout aussi préoccupante. Sur la période janvier-avril, le revenu des hôteliers par chambre disponible a chuté de 15% par rapport à 2015 (2). Les attentats et les grèves ont évidemment pesé, mais l'effet Airbnb joue à plein.

New York: 36608 annonces, 113,50¤ la nuit

"Des milliers d'emplois sont menacés dès cette année", s'alarme Jean-Baptiste Pieri du groupement hôtelier GNI-Synhorcat. Si les gérants d'hôtels fustigent une concurrence déloyale, c'est qu'une infime minorité des hôtes sur Airbnb déclarent leur activité et les sommes qu'elle engendre (3).

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"En omettant de déclarer les revenus fonciers, les particuliers échappent à l'impôt sur le revenu, aux prélèvements sociaux, à la taxe de séjour, voire à la TVA si leur chiffre d'affaires dépasse 23000 euros par an, énumère Jean-Baptiste Pieri. Cela leur permet de proposer des prix inférieurs de 30% à 40%." Sans parler du manque à gagner pour l'Etat.

L'une après l'autre, les grandes villes ont pris des mesures. A New York, où un amendement de 2010 interdit de louer tout ou partie de son domicile pour moins de 30 jours si l'on en est absent, le procureur général a menacé Airbnb de poursuites, obligeant le site à supprimer en catastrophe 2000 annonces illégales.

Paris: 41476 annonces, 98¤ la nuit

En Espagne, le puissant lobby hôtelier a poussé Barcelone à instaurer une procédure d'enregistrement. La maire Ada Colau, égérie du mouvement des Indignés, a même mis en place un service de dénonciation par les voisins. Et depuis le 1er mai, Berlin interdit de mettre un appartement entier à la location sur ces plateformes, quelle que soit la durée.

Le France observe ces initiatives d'un oeil attentif. "Nous dialoguons avec les autres métropoles européennes, l'objectif étant de constituer une coalition pour modifier le rapport de force avec Airbnb", explique Ian Brossat, adjoint à la maire de Paris chargé du logement. La loi Alur de 2014 a certes clarifié le cadre en édictant qu'une résidence louée plus de 120 jours par an doit être convertie en local commercial, avec l'accord de la mairie. A Paris, cette "procédure de changement d'usage" est assortie d'une somme à verser, volontairement dissuasive. Or, sur les 14000 meublés touristiques loués à l'année sur Airbnb dans la capitale, seuls 106 ont obtenu une telle autorisation...

Pour calmer le jeu Airbnb joue la carte de la coopération

La fraude est massive, malgré l'amende encourue: 25000 euros par an et par logement loué. Et l'équipe chargée de traquer les contrevenants dispose de moyens bien trop limités. Vingt-cinq inspecteurs à Paris opèrent des "descentes" dans les quartiers prisés comme le Marais ou Montmartre, interrogent les occupants et les voisins et, en cas de présomption d'infraction, transmettent le dossier au parquet.

Londres: 42676 annonces, 121¤ la nuit

Vue de Londres en date du 16 janvier 2012

L'exception: le "deregulation act" adopté en 2015, autorise les Londoniens à louer leur logement jusqu'à 90 jours sans demander d'autorisation ni risquer d'amende.

© / afp.com/JUSTIN TALLIS

Le bilan reste maigre: l'an dernier, seulement 16 condamnations portant sur 25 logements ont été prononcées. Une goutte d'eau. "La mairie de Paris se bat contre un tank avec un arc et des flèches...", déplore Jean-Baptiste Pieri. L'Etat est toutefois venu prêter main-forte. Le projet de loi numérique voté fin juin oblige désormais les plateformes de location à bloquer les annonces illégales.

Le rapport du député PS Pascal Terrasse sur l'économie collaborative suggère quant à lui qu'Airbnb et ses acolytes télétransmettent au fisc les revenus des hôtes, de la même manière qu'un employeur télétransmet les salaires de ses employés. Une telle mesure pourrait dissuader nombre d'utilisateurs qui, pour l'instant, omettent de déclarer quoi que ce soit. Airbnb s'insurge, en se gardant bien de dire qu'elle pratique déjà la retenue d'impôt aux Etats-Unis...

Assailli de toutes parts, Airbnb tente de calmer le jeu et joue la carte de la coopération. A compter du 1er août, le site collectera directement la taxe de séjour dans les vingt villes qui représentent plus de 50% des réservations dans l'Hexagone. A Paris, il le fait déjà depuis le 1er octobre et a reversé à la mairie 1,2 million d'euros au titre du dernier trimestre 2015. "Airbnb a clairement adopté avec les pouvoirs publics une position plus conciliante qu'Uber", résume Antonin Léonard, spécialiste de l'économie collaborative chez OuiShare.

Le géant californien se défend bec et ongles

Pour répondre aux critiques, le géant présent dans 192 pays déroule par ailleurs une communication bien rodée sur les bienfaits économiques de son service. Selon Airbnb France, la moitié de ses loueurs perçoit un salaire inférieur au revenu médian. Grâce à la plateforme, ils toucheraient en moyenne 2000 euros par an, un revenu complémentaire sans lequel 40% d'entre eux ne pourraient pas se loger décemment.

Berlin: 15373 annonces, 60¤ la nuit

"Storytelling hypocrite et pernicieux, juge Jean-Baptiste Pieri. On nous vend un séjour chez un couple de hipsters vegans, mais la réalité c'est bien plus souvent l'épouse d'un dentiste qui fait de l'argent au black avec des appartements équipés de meubles Ikea", persifle l'hôtelier.

Afin de renverser la pression, Airbnb interpelle ses loueurs en leur rappelant qu'ils sont les premiers concernés en cas de durcissement réglementaire ou fiscal. A la suite du projet de loi numérique, la plateforme a lancé une pétition auprès de ses membres français, signée par plus de 37000 d'entre eux. "Tant qu'ils ont les clients dans la poche, ils remporteront la guerre d'image", pronostique Guillaume Cromer, directeur du cabinet ID-Tourism.

La communauté Airbnb ayant acquis une certaine taille, les maires réfléchissent à deux fois avant d'aller au clash. D'autant que le groupe californien place également ses pions dans les grands centres de décision pour faire valoir ses intérêts. Les effectifs mobilisés sont importants: tapez "public policy" (relations institutionnelles) sur LinkedIn, vous trouverez 315 personnes affectées à cette tâche chez Airbnb (plus de 10% des effectifs), contre 179 chez Monsanto et 36 chez le géant Airbus!

Intenses campagnes de lobbying

La firme basée à San Francisco a recruté des anciens du Medef et de la Maison Blanche et s'est offert les services de Boury, Tallon & Associés. Ce cabinet de lobbying aguerri, qui travaille aussi pour Monsanto, est connu pour avoir défendu bec et ongles les notaires de France lors du projet Macron. A Bruxelles, les intérêts d'Airbnb sont représentés par l'agence de lobbying Political Intelligence, dotée pour cela d'un budget de 600000 euros. Tous ces efforts portent leurs fruits. Au mois de juin, la Commission a appelé les Etats membres de l'UE à "lever certaines barrières" pesant sur les plateformes d'économie collaborative...

Barcelone: 14855 annonces, 76¤ la nuit

Paradoxalement, c'est dans son propre berceau, en Californie, qu'Airbnb se trouve dans la posture la plus fâcheuse. Devant la flambée des prix du logement à San Francisco, devenue la ville la plus chère des Etats-Unis, un référendum a proposé cet automne de réduire de 90 à 75 le nombre de nuitées autorisées chaque année à la location sur le site.

La firme a dépensé 8 millions de dollars dans une campagne intensive de lobbying qui a porté ses fruits: le non l'a emporté à 55%. Mais Airbnb n'a remporté qu'une bataille et pas la guerre. Depuis juin, une nouvelle loi locale oblige les plateformes d'hébergement à vérifier elles-mêmes que les annonces publiées sont conformes à la loi (pas plus de 90 nuits par an), faute de quoi elles risquent une amende de 1000 dollars par annonce par jour de publication. Nul n'est prophète en son pays...

Jusque-là tourné vers les vacanciers, Airbnb lorgne aussi désormais les hommes d'affaires en goguette. Pour attirer cette clientèle fortunée mais exigeante, le site met en avant les "superhosts", ses propriétaires les mieux notés. De quoi donner des sueurs froides aux chaînes d'hôtel haut de gamme.

Mais AccorHotels ne l'entend pas de cette oreille. Pour éviter de se faire doubler, le groupe français enchaîne investissements dans le numérique: Squarebreak, Oasis Collections et surtout Onefinestay, première plateforme de location de résidences de luxe au monde, acquise en avril. Ambition: étendre son réseau numérique dans 40 métropoles au cours des cinq prochaines années et multiplier son chiffre d'affaires par dix. Le bras de fer est entamé.

La loi Alur est claire: si vous êtes propriétaire de votre logement, vous pouvez le louer à une clientèle de passage sans effectuer de démarches particulières tant que cela n'excède pas 120 jours par an. Vous devrez déclarer les revenus associés, sachant que vous bénéficiez d'une franchise de 5000 euros et d'un abattement de 50%, dans la limite de 32600 euros par an.

(1) D'après une enquête TNS-BVA de 2014, seulement 15% des personnes interrogées déclarent ou comptent déclarer les revenus issus de l'économie collaborative.

(2) Source: Deloitte/In Extenso

(3) Source: InsideAirbnb.com.

Chiffres: insideairbnb.com

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