Un étiquetage clair sur ses produits ? L’industrie agroalimentaire n’en veut pas. Depuis dix ans, elle lutte contre la mise en place de logos colorés, inspirés des feux de circulation, qui révéleraient la vraie nature de certains aliments transformés : trop gras, trop salés, trop sucrés. Que tous les consommateurs puissent faire leurs courses de manière éclairée sans pour autant être diplômés en nutrition, telle est l’idée. Cet outil pourrait être ajouté à la panoplie des mesures de santé publique destinées à enrayer l’augmentation des maladies cardio-vasculaires, de l’obésité ou du diabète.
Quand la ministre de la santé, Marisol Touraine, se met à envisager sérieusement un logo à cinq couleurs, réalisé par la recherche publique, les industriels de l’agroalimentaire et la grande distribution scellent une alliance. Quitte à avoir un système d’étiquetage en France, même facultatif, ils préféreraient que ce soit l’un des leurs. Ils obtiennent qu’une étude en « conditions réelles d’achat » soit réalisée par le ministère pour comparer quatre systèmes existants : celui de la grande distribution, celui de l’agroalimentaire, les feux tricolores appliqués au Royaume-Uni et le système à cinq couleurs.
Deux comités ont été mis en place pour superviser, pendant plusieurs mois, l’organisation et la réalisation de cette étude. Mais l’enquête du Monde montre que l’accumulation des conflits d’intérêts en leur sein jette le doute sur l’impartialité de l’évaluation.
Lobbying scientifique de l’agroalimentaire
Le directeur général de la santé, Benoît Vallet, préside le comité de pilotage. Il partage le fauteuil avec Christian Babusiaux, qui se trouve être depuis avril 2015 président du Fonds français pour l’alimentation et la santé (FFAS), organisation financée par l’industrie agroalimentaire. Parmi les quinze membres du comité, on trouve quatre représentants de la grande distribution et des industriels de l’agroalimentaire. Faut-il alors s’en étonner : la ministre de la santé a confié au FFAS la mise en œuvre de l’étude… qui doit donc évaluer des systèmes proposés par l’industrie elle-même.
Le comité scientifique, ensuite, doit superviser la rigueur des opérations. Trois de ses memebres ont démissionné en avril. De plus, non seulement six de ses dix membres collaborent avec les industriels (Danone, Nestlé, industrie du sucre, etc.), mais tous n’ont pas signalé au ministère l’intégralité de leurs collaborations, notamment leur participation aux activités du FFAS. Benoît Vallet, joint par Le Monde, réfute une quelconque situation de conflits d’intérêts.
Vendredi 8 juillet, le comité de pilotage devait annoncer le nom de l’agence chargée de réaliser l’étude, LinkUp, à la fois donatrice et prestataire du FFAS, membre de deux de ses groupes et bénéficiaire d’un financement de 24 900 euros. Une accumulation de conflits d’intérêts qui laisse perplexe sur l’objectif de l’étude : identifier la meilleure solution pour la santé publique.
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