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Pourquoi Snapchat est en train de dévorer le Web

Aux États-Unis, 68% des 18-24 ans utilisent Snapchat. Donald Bowers/AFP

L'application de photos éphémères est utilisée par des internautes de tous âges, signe de sa popularité croissante et de la solidité de son modèle. Elle étend son emprise sur le Web, de Facebook aux iPhone.

Non, vous n'êtes pas trop vieux pour Snapchat. L'application américaine, longtemps royaume des adolescents, est désormais utilisée par des personnes de tous âges. Presque 38% des utilisateurs de smartphones aux États-Unis entre 25 et 34 ans utilisent Snapchat, d'après une étude de l'institut comScore commandée par le Wall Street Journal . Cette proportion est de 14% pour la tranche d'âge au-delà des 35 ans. C'est certes moins élevé que les 68% des Américains entre 18 et 24 ans qui déclarent utiliser l'application. Néanmoins, ces statistiques sont le signe indéniable que Snapchat, déjà valorisé à plus de 16 milliards de dollars, est en train de devenir un service grand public.

Cette étude porte uniquement sur le marché américain. En France, par exemple, Médiamétrie estime que 74% de l'audience de Snapchat est encore composée d'utilisateurs entre 15 et 34 ans. L'article du Wall Street Journal a tout de même provoqué une petite panique dans les médias et sur les réseaux sociaux. «C'est peut-être la fin de Snapchat, les vieux arrivent», «Désolé les gamins, les vieux sont en train d'envahir Snapchat», «Snapchat n'est plus un havre de paix sans parents», etc. La rengaine n'est pas nouvelle. Depuis ses débuts, Snapchat incarne malgré lui une rupture générationnelle, qui inquiète, amuse ou agace.

«Suis-je trop vieux?»

Du fait de son principe de base, l'autodestruction d'une image en quelques secondes, Snapchat a d'abord été décrite comme une plateforme dédiée au «sexting», où les étudiants s'échangent des photos dénudées. Le temps a donné tort aux sceptiques. Snapchat est aujourd'hui utilisé par plus de 150 millions d'utilisateurs dans le monde, qui y font bien d'autres choses que de l'effeuillage en ligne. L'application s'est enrichie en fonctionnalités au fil des ans, ajoutant une section dédiée aux contenus des médias, un service de messagerie, des filtres permettant de changer de visage. Le mépris s'est doucement transformé en panique des personnes ne comprenant pas une application complexe mais devenue résolument cool. Là encore, la faute est retombée sur les adolescents. «Snapchat est-il vraiment incompréhensible, ou suis-je tout simplement trop vieux?» s'alarmait un journaliste américain du site Slate, pourtant seulement âgé de 32 ans.

« L'électricité aussi, c'était cool avant. Est-ce qu'on a arrêté d'allumer la lumière pour autant? »

Mark Zuckerberg, PDG de Facebook.

La guerre des générations est un classique du Web. Facebook a subi il y a quelques années le même phénomène. Créé par des étudiants pour les étudiants, le réseau social a étendu son empire sur l'intégralité de la pyramide des âges. Facebook est passé du statut de site niche et cool à celui de normal et lucratif. Les observateurs ont alors commencé à s'alarmer: les jeunes, cette catégorie chérie par les annonceurs, allaient-ils fuir le réseau social maintenant que leurs parents pouvaient y être leurs amis?

L'exemple le plus fameux vient du site américain Mashable. En 2013, il publiait une tribune d'une adolescente intitulée «J'ai 13 ans et plus aucun de mes amis n'utilise Facebook.» Les chiffres, pourtant, racontent une tout autre histoire. Facebook revendique plus d'1,6 milliard d'utilisateurs dans le monde. D'après comScore, presque 100% des internautes américains entre 18 et 34 ans utilisent Facebook tous les mois. Même sur le mobile, le réseau social dépasse encore Snapchat chez les jeunes. Près 79% des propriétaires américains de smartphones entre 18 et 24 ans s'y sont connectés au moins une fois au mois de mai. Facebook n'est plus cool, mais n'en reste pas moins indispensable à beaucoup d'internautes. «L'électricité aussi, c'était cool avant. Puis on a arrêté d'en parler parce que ce n'était plus le nouveau truc à la mode», expliquait en 2014 Mark Zuckerberg. «Est-ce qu'on a arrêté d'allumer la lumière pour autant?»

L'influence croissante de Snapchat

Les adultes n'ont pas tué Facebook, et ne tueront pas Snapchat. Ils peuvent même l'aider à grandir. Snapchat est certes une application complexe, qui change souvent et dépourvue de mode d'emploi.Mais elle est aussi calibrée pour répondre au moindre besoin des internautes. Snapchat est l'un des services de messagerie les plus populaires en Occident. On l'utilise pour parler à ses amis, leur envoyer des photos de grimaces ou de voyage. On peut y ajouter des comptes de stars pour apercevoir un peu de leur quotidien, suivre des médias pour lire des articles ou documenter un évènement (comme un festival de musique) en y prenant des photos. Tout est fait pour qu'on se connecte à Snapchat plusieurs fois par jour. C'est un service drôle, rapide d'utilisation et terriblement addictif.

La force de Snapchat est sa capacité à changer, et ce à marche forcée. Chaque mois amène son lot de nouveautés. L'aspect messagerie de ses débuts est désormais accompagné d'un autre écran dédié à la découverte, qui mélange des contenus des médias, d'internautes du monde entier et de ses amis proches. Mercredi, Snapchat a annoncé la création d'un nouveau service permettant de sauvegarder ses meilleurs snaps dans un album photo hébergé au sein de l'application. Peu importe si l'application était d'abord réputée pour ses images éphémères. Cette nouvelle fonctionnalité répond à une certaine demande des utilisateurs, et marche au passage sur les platebandes de Facebook, qui est confronté à une baisse de la publication de photos personnelles chez ses membres. Cette frénésie de changement est le fait d'Evan Spiegel, cofondateur et PDG de l'entreprise, qui s'est entouré d'une équipe de spécialistes du Web, de la publicité et des médias. Snapchat a une vraie vision de son avenir, et a recruté des anciens employés de Facebook, de Google, de Pandora ou de CNN pour y parvenir. En 2013, l'entreprise provoquait la stupeur de ses pairs en refusant une proposition de rachat par Facebook à 3 milliards de dollars. Aujourd'hui, elle en vaut cinq fois plus.

«Le drame de la vie de Zuckerberg est de ne pas avoir su convaincre Evan [Spiegel] de vendre»

Si Snapchat peut maintenant parler à tous les âges, c'est aussi grâce à ses concurrents. Les plus grandes applications, dont certaines ont des audiences bien plus importantes que celle d'Evan Spiegel, ont copié ses codes. Les stickers, ces images que l'on peut coller sur des photos, sont devenus une norme sur les réseaux sociaux: Snapchat a été la première application occidentale à les utiliser, inspirée par leur succès en Asie. On les retrouve aujourd'hui sur Twitter ou Facebook. Les filtres, des petites animations qui viennent se superposer au visage de l'utilisateur, sont une autre trouvaille de Snapchat. Difficile d'aller sur Instagram, Facebook ou Twitter sans croiser un autoportrait d'une personne avec des oreilles de chiens ou une couronne de fleurs. Leur succès est tel que Facebook a fini par racheter une application aux effets similaires, MSQRD. Même Apple, dont les produits sont habituellement très policés et sobres, s'y est mis. La dernière version d'iMessage, la messagerie des iPhone, comporte quelques fonctionnalités ressemblant à Snapchat, dont une option de dessin et des stickers. Petit à petit, Snapchat dévore le Web et nos applications.

Internet se «snapchatise», comme il a pu se «facebookiser» il y a quelques années. Le fil d'actualité ou le «like» font maintenant partie de la norme en ligne. Snapchat n'est plus un passe-temps d'adolescents. Elle est une pierre du Web d'aujourd'hui, voire son avenir.

Pourquoi Snapchat est en train de dévorer le Web

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5 commentaires
  • noriko

    le

    Je rebondis sur un détail de l'article : si il y a des applis pour ajouter des animations un peu ridicules sur les photos, je suggère que les photos de terroristes dans la presse soient toujours "ornées" de becs de canard (et de balais de WC en guise d'arme) ou autre comme ont fait les Anonymous pour les tourner en dérision et non en faire des héros ou des martyrs. Qui a envie de suivre quelqu'un de ridicule ? En plus cela a un effet cathartique !

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