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En Afrique du Sud, des femmes rangers contre les braconniers

Les Black Mambas patrouillent dans la réserve du parc Kruger. Grâce à ces 26 femmes, le braconnage de la faune a diminué de 78 % et celui des rhinocéros de 67 %.

Le Monde

Publié le 29 juin 2016 à 19h04, modifié le 08 juillet 2016 à 21h55

Temps de Lecture 6 min.

Les rangers Black Mambas Nkateko Mzimba et Cute Mhlongo.

Quatre jeunes femmes en tenue de camouflage verte et rangers noires marchent parmi les épaisses broussailles de la réserve de Balule, en bordure du célèbre parc national Kruger. Elles balayent le sol du regard, à la recherche de pièges et de traces de braconniers. « Beaucoup de gens pensent que c’est un travail d’homme, mais nous pouvons le faire tout aussi bien », souligne Cute Mhlongo. Agée de 27 ans, cette grande femme mince aux cheveux courts s’arrête devant deux arbres étroits et pointe du doigt une boucle en métal qui les relie. « Un piège », explique-t-elle en le retirant avec l’aide d’une collègue.

La Black Mamba Anti-Poaching Unit (unité anti-braconnage des Black Mambas) a été créée par Craig Spencer en 2013. Le chef des rangers de la réserve nationale de Balule est convaincu qu’une approche militaire seule ne suffira pas pour résoudre le problème du braconnage. « Actuellement, chaque année, plusieurs centaines de braconniers sont tuées dans le parc Kruger. La première conséquence est un nombre cruellement élevé d’orphelins. Et puis, quand un braconnier est tué, deux autres le remplacent. Ensuite, beaucoup de rangers habitent les mêmes villages que les braconniers qu’ils ont tués. Comment ces gars pourront-ils rentrer chez eux sans danger ? Cette situation crée une guerre entre les gens qui se trouvent à l’intérieur de la réserve et ceux qui sont à l’extérieur. Une guerre que nous pourrons ne pas gagner », soupire-t-il.

Demande croissante du Vietnam et de la Chine

Il faut que la population locale soit mise à contribution pour trouver une solution plus durable, estime le défenseur de l’environnement. Pour lui, les femmes font partie de cette solution. Il loue leur patience et les trouve plus concernées par la protection des animaux que les hommes, davantage enclins « à jouer au soldat. Ils ont la gâchette trop facile et sympathisent avec les braconniers ».

Les Black Mambas Cute Mhlongo et Nkatelo Mzimba en patrouille démontent un piège de braconniers.

Les 26 Black Mambas logent dans des camps rudimentaires et sortent quotidiennement en petits groupes pour couvrir la réserve de 50 000 hectares qui communique avec le parc national Kruger (2,8 millions d’hectares). Lorsqu’elles trouvent des traces de braconniers, elles préviennent une équipe armée qui vient les assister. En deux ans, elles ont arrêté six braconniers, fermé 19 campements de braconnage et retiré plus d’un millier de pièges. Le braconnage de l’ensemble de la faune du bush a diminué de 78 % et celui des rhinocéros de 67 %. Une évolution à contre-courant de la très forte augmentation du nombre de rhinocéros tués en Afrique du Sud ces dernières années (de 13 en 2007 à 1 175 en 2015), liée à une demande croissante, principalement venue du Vietnam et de la Chine, où l’on croit aux vertus curatives de la poudre de cornes de rhinocéros.

Mais les Black Mambas ne sont pas satisfaites de patrouiller sans arme. « Nous tombons fréquemment sur des braconniers portant des kalachnikovs qui pensent que nous sommes armées car nous portons des uniformes militaires », note Cute Mhlongo. Une situation d’autant plus difficile qu’il leur arrive aussi de croiser des éléphants agressifs. « Ils s’introduisent jusque dans notre camp et détruisent des affaires sur leur passage », raconte Nkateko Mzimba, 24 ans, en montrant leur réservoir d’eau endommagé. « Toutes les Black Mambas ont été formées à l’usage des armes à feu, mais il n’y a pas assez d’argent pour les équiper », déplore Johan Grobler, chef des rangers de la partie nord de Balule.

Le responsable de 65 ans vient d’apprendre par radio que le cadavre d’un rhinocéros a été découvert dans l’est de la réserve. « Le quatrième ce mois-ci, soupire-t-il. Quelqu’un divulgue sûrement des informations de l’intérieur. Un jour, nous devrons peut-être aller jusqu’à obliger les employés, y compris nous-mêmes, à se soumettre au détecteur de mensonges pour trouver d’où vient la fuite. »

« Nous avons aussi des problèmes avec nos drones, qui sont loin d’être infaillibles », poursuit-il. La végétation dense du parc Kruger les empêche de détecter les mouvements suspects et leur autonomie, limitée à trois kilomètres, est un vrai handicap. Pour pouvoir repérer des braconniers, il faudrait pouvoir les suivre sur des dizaines de kilomètres. « Il nous faudrait des drones militaires comme ceux utilisés en Afghanistan par exemple. Mais ils coûtent plusieurs millions de dollars. Nous n’avons pas cet argent. »

Parvenir à faire juger les braconniers est un autre combat. « Récemment, nous en avons pris un sur le fait. Nous avions largement assez de preuves, mais en l’espace de deux heures il était relâché, regrette Johan Grobler, qui considère que la justice sud-africaine est extrêmement corrompue. Et puis, ces braconniers ont énormément d’argent, ce qui leur permet d’engager les meilleurs avocats du pays. »

« Nouvelle génération réceptive »

Etant donné la difficulté d’appréhender et de traduire en justice les braconniers, les Black Mambas sont chargées d’une autre mission : faire changer les mentalités. Elles effectuent donc un travail de sensibilisation à la protection de la nature et à la lutte contre le braconnage auprès des enfants.

La Black Mamba Nkatelo Mzimba fait de la sensibilisation sur l’environnement auprès des écoliers.

A l’école St. Patrick, dans le village de Namakgale, des dizaines d’élèves écoutent attentivement Lewyn Maefala, qui leur parle de la pollution de l’eau et de ses conséquences sur les animaux. « La protection de la nature semble encore préoccuper principalement les Sud-Africains blancs, alors que nous, les Sud-Africains noirs, devrions nous sentir tout aussi concernés », insiste-t-elle. Lorsque deux Black Mambas en uniforme apparaissent devant la classe, les regards s’illuminent. « Que faire quand on rencontre un lion ? », demande un élève, ce à quoi l’une des femmes répond qu’il faut continuer à regarder l’animal dans les yeux tout en reculant lentement. Elles expliquent ce qu’elles font pour lutter contre le braconnage des rhinocéros. « Presque tous les élèves de cette école ont un père ou un oncle braconnier, remarque Lewyn Maefala. Nous espérons que la recommandation de se tenir à l’écart de Balule parviendra jusqu’à ces hommes par leur biais. » Les Black Mambas s’efforcent aussi d’apprendre aux enfants combien il est important de préserver la nature. « Cette nouvelle génération est réceptive. Les enfants nous admirent et aimeraient avoir un métier comme le nôtre. Cela peut les inciter à faire attention à la nature et, surtout, à ne pas devenir braconniers », espère Nkateko Mzimba à l’issue du cours.

De nombreuses Black Mambas expliquent la difficulté de faire de la prévention et de la sensibilisation auprès des adultes. « Les braconniers nous feraient du mal, s’alarme Nkateko Mzimba, qui évite de se rendre dans les villages voisins en uniforme. Dernièrement, lorsque je suis allée faire des courses non loin d’ici, un homme s’est approché de moi en hurlant que je l’avais arrêté quelque temps auparavant. J’étais terrifiée. »

Craig Spencer admet qu’il faudra probablement encore une décennie pour changer les mentalités. « Il est facile pour les Européens de dire que les Africains ne doivent plus braconner mais les gens d’ici souffrent du chômage massif et sont dans la survie : trouver à manger, gagner un peu d’argent pour acheter des médicaments pour un enfant malade, s’occuper des anciens dont la retraite fait vivre toute la famille. Beaucoup d’hommes boivent et se droguent pour oublier leurs soucis alors, quand un puissant réseau de braconnage leur propose de tuer un rhinocéros pour quelques milliers de dollars, le choix est vite fait. »

La Black Mamba Belinda Mzimba. Les femmes rangers alternent mission de patrouille de trois semaines loin de leur famille et pause de dix jours à la maison.

Par ailleurs, précise-t-il, le braconnage est un problème mondial nécessitant des solutions mondiales. « Notre initiative est un bon début, car, sans nos Black Mambas, plus aucun animal sauvage ne vivrait dans la réserve de Balule. Mais ce n’est qu’un palliatif. » Selon lui, le seul moyen de sauver les rhinocéros est de faire baisser la demande en Asie en informant les populations sur les conséquences désastreuses du braconnage et sur le fait qu’aucune étude scientifique n’a apporté la moindre preuve que la poudre de corne de rhinocéros est bénéfique pour la santé.

Les Black Mambas travaillent trois semaines d’affilée, avant de rentrer chez elles pour dix jours. Ce sont souvent leurs mères qui s’occupent souvent de leurs enfants pendant leur absence. « Bien sûr que nos enfants nous manquent, confie Belinda Mzimba, 27 ans. Mais si nous n’agissons pas, le rhinocéros deviendra un animal que nous ne connaîtrons plus que par les livres, comme les dinosaures. J’espère que, grâce à mon travail, ma fille de 5 ans pourra encore les voir longtemps dans la nature. »

Andrea Dijkstra est une journaliste indépendante néerlandaise. Elle travaille avec son compariote photographe Jeroen van Loon.

Traduit de l’anglais par Virginie Bordeaux.

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