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«Je suis partie jeûner dans le Vercors»

Se priver presque totalement de nourriture pendant plusieurs jours dans l'année, c'est désormais le «fin du faim»... Qui s'adonne à cette pratique à laquelle le corps médical reste réfractaire en France? Pour quelles raisons? Notre journaliste a suivi une cure d'une semaine et raconte son expérience.

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Par Jessica Berthereau

Publié le 8 juil. 2016 à 01:01

TGV Paris-Valence, samedi 4 juin. Mon estomac gargouille alors que défile sous un lourd ciel gris le paysage inondé par endroits. Voilà une semaine que je réduis petit à petit mon alimentation en préparation du jeûne de cinq jours que je vais suivre à La Pensée sauvage, dans le sud-ouest du parc du Vercors. Arrivée à Valence, le soleil est enfin là. Une navette attend les curistes et moi-même pour nous emmener jusqu'à Plan-de-Baix, un village de la Drôme. Mon ventre, quelque peu apaisé par une compote avalée dans le train, est redevenu silencieux.

À La Pensée sauvage, nous sommes accueillis par Thomas Uhl, qui a ouvert ce centre de jeûne et de détox il y a dix ans pour «donner aux gens l'envie de prendre soin d'eux». Chacun des participants est reçu en entretien individuel par l'un des naturopathes de l'équipe. Au menu: bilan général de santé, antécédents médicaux et explication du déroulement de la semaine. Pour ceux qui ne veulent pas, ou ne peuvent pas, jeûner complètement, plusieurs options sont proposées. Une version plus douce du jeûne, avec jus de fruits et légumes frais matin, midi et soir, des monodiètes de pommes ou de riz ou encore une alimentation uniquement végétale. Car il existe des contre-indications au jeûne, en cas de grossesse, d'anorexie, d'insuffisance hépatique ou rénale avancée. L'avis d'un médecin est donc important avant de se lancer.

Pour ma part, une petite expérience du jeûne et une bonne santé m'ouvrent la voie à la privation de nourriture pendant une semaine. Il faut commencer par une purge, m'explique la naturopathe qui me reçoit en entretien. Je grimace. C'est très désagréable à avaler, mais mieux vaut commencer le jeûne les intestins réellement vides, cela ne le rend que plus aisé. Ce soir-là, nous sommes une petite vingtaine autour de la grande table de bois qui trône dans le salon, prêts pour le rituel qui se répétera tous les jours à 19h30: le bouillon, seule prise à laquelle sont autorisés les jeûneurs, avec le jus de fruits dilué le matin et trois litres environ de liquides (eau et tisanes) par jour. Chacun se présente, les motivations varient mais se rejoignent toutes sur l'idée de prendre du temps pour soi et de remettre les pendules à l'heure physiquement et mentalement.

«Je suis ici pour débrancher la prise une semaine», confie Patrick Royère, 64 ans, promoteur immobilier et aménageur foncier à Aix-en-Provence (Fields & Lands), qui entame là son troisième jeûne. «J'ai envie de retrouver la forme et de l'énergie, de perdre du poids et d'éliminer les toxines», explique de son côté Pierre Denis, la cinquantaine, cadre commercial dans une PME du secteur de la santé, qui a choisi la formule «avec jus» pour ce premier jeûne. Pour Audrey Pfirter, 34 ans, qui, voilà trois ans, a repris l'entreprise familiale et le stress qui va avec, il s'agit de se «recentrer sur soi», de «faire le vide, moins penser» et d'enrayer une perte d'énergie observée depuis quelque temps. «J'ai entendu dire que le jeûne pouvait redonner de l'énergie», souligne-t-elle. Quant à Nathalie Garcin, directrice générale du groupe Emile Garcin (immobilier de prestige), elle vient pour retrouver les bienfaits découverts l'an dernier lors de son premier jeûne: «C'est fou, on en ressort avec une pêche, une énergie!»

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Beaucoup sont venus sur recommandation d'amis. Et pour cause: le jeûne, autrefois regardé en France comme une pratique dangereuse, voire sectaire, séduit de plus en plus. Au départ majoritairement féminine, la clientèle de La Pensée Sauvage s'est beaucoup masculinisée ces dernières années, raconte Thomas Uhl. Actuellement, la quasi-totalité de ses clients, hommes et femmes confondus, sont des «personnes à leur compte, des cadres supérieurs, des gérants et des patrons dont beaucoup arrivent,avec un niveau de stress très élevé et sont parfois même proches du burn-out».

Le corps médical évolue

Jean-Pascal David, membre de la Commission FFJR, réseau officiel d'organisateurs de stages de jeûne et randonnée, et gérant de La Maison du jeûne (1), fait remonter cet engouement à la diffusion, en 2012, du documentaire de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade Le jeûne, une nouvelle thérapie? sur Arte. «Avant, le jeûne était quelque chose de très marginal. Le documentaire a réveillé certaines consciences et permis aux gens qui jeûnaient d'en parler; les langues se sont déliées», détaille-t-il. Si le corps médical français reste globalement réfractaire à cette pratique pourtant millénaire et présente dans toutes les grandes religions, là aussi, les choses bougent. «Nous avons beaucoup d'infirmières et de médecins qui jeûnent», assure Jean-Pascal David, qui dit recevoir de plus en plus de certificats médicaux autorisant des personnes présentant des pathologies à jeûner.

Car en France, comme il est impossible de jeûner dans un cadre médicalisé, il faut être en bonne santé pour suivre une cure dans l'un des centres labellisés par la FFJR. «Arrêter de manger n'est absolument pas anodin. Cela génère un stress pour l'organisme», rappelle Romain Vicente, naturopathe à La Pensée sauvage. Je confirme: le premier jour, je m'éveille aux aurores avec une sensation de nausée. Elle s'estompe avec les exercices d'éveil corporel, une heure de mouvements calmes et de méditation qui nous sont proposés pour remettre le corps en route, avant le départ en randonnée. Lorsqu'on jeûne, il ne faut pas faire d'effort physique intense; en revanche, un exercice doux, comme la marche, est recommandé pour faciliter l'adaptation du corps, qui passe par trois phases métaboliques.

Première phase: en l'absence d'apport extérieur de sucre, le foie et les muscles déstockent le glycogène pour le transformer en glucose au cours des 24 à 48 premières heures. Une fois les réserves de glycogène épuisées, le corps fabrique du sucre via les graisses et les muscles. C'est la deuxième phase, qui s'étend environ du deuxième au quatrième jour. «Cette étape nécessite une bonne oxygénation et de l'exercice. Si on ne mobilise pas les muscles, le corps va taper dedans», explique Romain Vicente. D'où la marche en pleine nature. Troisième étape, enfin. Au-delà du quatrième jour, le corps se met à fabriquer des corps cétoniques, utilisés comme combustible à la place du glucose. «C'est un carburant beaucoup plus performant que le sucre, l'énergie en est décuplée, on est plus à l'affût», assure-t-il. La doctoresse Françoise Wilhelmi de Toledo, qui tient avec son mari la célèbre clinique Buchinger, dans le sud de l'Allemagne, qualifie même ces corps cétoniques de «superfioul». Le corps entre alors dans une sorte de mode «auto réparation» avec divers effets directs: «La réparation cellulaire et moléculaire, la perte de poids, l'amélioration de la circulation sanguine et de la microcirculation, ainsi que l'harmonisation de l'humeur, qui entraînent l'augmentation de la longévité, de la qualité de vie et une vitalité accrue», liste Françoise Wilhelmi de Toledo dans son livre L'art de jeûner (2).

Mais avant de ressentir ces bénéfices, les jeûneurs passent par une période difficile, une crise curative dont les symptômes peuvent être maux de tête, frilosité, vertiges, haleine chargée, palpitations, boutons, nausées, vomissements... Je n'y échappe pas à mon réveil au deuxième jour de jeûne. Les autres curistes ne sont pas mieux et se plaignent de nausées, de sensations de faiblesse ou de coup de froid. Mais déjà beaucoup s'étonnent de l'absence de sensation de faim. «Je me surprends à ne pas avoir faim», souligne Patrick Royère, pour qui pourtant «manger est une vraie passion».«Je suis étonnée, je ne souffre pas du tout du manque de nourriture solide», confirme une autre jeûneuse.

Sens en éveil et échappées spirituelles

Il faut dire que nos journées sont bien remplies. Le temps d'ordinaire consacré à la préparation et la dégustation des repas est habilement utilisé en superbes balades bucoliques dans le Vercors, en séances d'étirements, en soins corporels, sauna et hammam, en ateliers de méditation ou de cuisine et en conférences. L'objectif? Stimuler les voies d'éliminations en aidant le foie, les poumons, les reins, la peau très sollicités par le jeûne, permettre ce retour sur soi et cette déconnexion que beaucoup sont venus chercher. «On prend le temps de se poser, de réfléchir. On prend le temps de tout», savoure Nathalie Garcin, qui mesure à sa juste valeur cette parenthèse dans sa vie si remplie.

Au troisième jour de jeûne, victoire, finies les nausées! Mon corps s'est mis en rythme de croisière. Je suis en forme et la journée se déroule sans encombre, comme les deux derniers jours. Mes sens sont en éveil, mon odorat est plus développé et les randonnées s'avèrent être des moments d'échappées spirituelles. Mes camarades atteignent eux aussi d'autres niveaux de conscience. «Je me sens très calme, comme sur un petit nuage, et j'ai bien l'intention d'y rester», témoigne l'une d'entre eux. Au terme de l'expérience, ce n'est pas la faim qui me tiraille mais l'envie de manger, deux choses bien différentes. Je ne suis d'ailleurs pas la seule, et la conversation avec les autres curistes se focalise souvent sur la nourriture. Nous salivons à l'idée de recommencer bientôt à manger et certains poussent même le vice jusqu'à aller visiter une chocolaterie artisanale bio-équitable réputée dans la région.

Vendredi matin, le jeûne prend fin. La veille au soir, une soupe un peu plus consistante nous a ouvert l'appétit et nous sommes prêts à cet émerveillement des sens et des papilles que constitue la reprise alimentaire. Au petit-déjeuner, nous avons le droit à un smoothie et une toute petite brochette de fruits. Notre premier véritable repas, à midi, se compose d'un délicieux taboulé de brocolis et chou-fleur, accompagné d'un tartare d'algues, puis de pommes mi-crues mi-cuites en dessert. Un silence religieux accompagne cette dégustation tout en lenteur. Nous mâchons longuement, pour remettre doucement en route nos systèmes digestifs à l'arrêt depuis cinq jours. Rassasiées par des quantités comparables à celles d'une entrée, les langues se délient sur les bienfaits de l'expérience. «Ça m'a fait plus de bien qu'un mois de vacances», constate avec joie Patrick Royère. «Mes différents objectifs sont atteints, ma perte de poids est entamée et j'ai l'envie de mettre en place une nouvelle hygiène de vie avec une alimentation diététique, saine, équilibrée et bonne», commente Pierre Denis, satisfait. «J'avais beaucoup d'énergie négative en arrivant et je repars avec beaucoup d'énergie positive», se réjouit Audrey Pfirter, dont l'objectif de «déconnexion» est atteint: «Je n'ai passé qu'un seul coup de fil au bureau!» Nathalie Garcin y a trouvé un «véritable bien-être pour le corps et l'esprit». Je ne dirais pas les choses autrement. Je me sens apaisée et ressourcée. Sur la balance, je me suis délestée d'environ un dixième de mon poids - perte globalement maintenue un mois plus tard, grâce à une reprise alimentaire progressive et une envie de sucre nettement diminuée. Ma gourmandise n'a toutefois pas disparu et c'est avec grand plaisir que j'ai enfin pu, une semaine après la fin du jeûne, me délecter du chocolat vaillamment acheté pendant l'expérience. Un carré, dégusté en pleine conscience, comme si c'était le premier de ma vie.

Les trois étapes

Un jeûne se décompose en trois étapes d'égale durée : la descente alimentaire, le jeûne en lui-même et la reprise alimentaire. 1. Pour un jeûne de cinq jours, la descente alimentaire commence à J-5 en supprimant les protéines animales et les excitants (café, thé, chocolat, alcool, tabac). À J-4, on retire les produits laitiers, les protéines végétales et les oeufs. À J-3, on supprime les céréales. À J-2, on ne consomme plus que des légumes et des fruits. La veille du jeûne, on mange le plus léger possible. 2. Le jeûne est souvent pratiqué selon la méthode Buchinger (eau, tisanes, bouillons filtrés et jus de fruits dilués). Elle tient son nom du docteur Otto Buchinger (1878-1966) qui s'est guérit lui-même d'une polyarthrite rhumatoïde par le jeûne à la fin des années 1910. 3. La reprise alimentaire graduelle est fondamentale. On réintègre les aliments au fur et à mesure, dans l'ordre inverse duquel on les avait enlevés lors de la descente alimentaire. C'est le moment idéal pour mettre en place de nouvelles habitudes alimentaires.

Le jeûne thérapeutique

Si cette pratique n'existe pas en France, elle est bien établie en Allemagne, où ce type de cure peut même être remboursé par l'assurance maladie. Les dernières recherches scientifiques sur le jeûne sont prometteuses. Il y a quelques années, le professeur Valter Longo, de l'université de Southern California (USC), a montré que le jeûne permettait d'atténuer les effets négatifs de la chimiothérapie sur les cellules saines. Ses dernières recherches, publiées fin mai 2016 dans le journal scientifique Cell Reports, montrent que chez les souris atteintes de sclérose en plaques «le jeûne réduit la sévérité de la maladie et l'élimine dans 20% des cas. Lors d'un test mené chez des humains atteints de la même maladie, en coopération avec l'hôpital de la Charité, à Berlin, nous avons pu montrer qu'un seul cycle de jeûne d'une semaine était suffisant pour améliorer la qualité de vie et réduire certains des symptômes », se félicite-t-il, indiquant préparer des études cliniques à plus grande échelle.

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Où jeûner?

La Commission FFJR décerne un label, gage de qualité et de respect d'une charte, qui stipule notamment que les stages de jeûne sont «libres de toute appartenance politique, partisane ou religieuse» et s'adressent «à des personnes en bonne santé». Pour l'instant, 36 organisateurs possèdent ce label en France.www.ffjr.comLa Pensée sauvage propose des cures de jeûne mais aussi des monodiètes, des cures végétales ou des cures gourmandes. À partir de 1400 euros la semaine. Des jeûnes sont également proposés certaines semaines de l'année à Ibiza (Villa Can Zama), sur l'île portugaise de Porto Santo ou en Corse (Domaine de Murtoli). www.lapenseesauvage.comLes deux cliniques Buchinger, à Überlingen, en Allemagne, et à Marbella, en Espagne permettent de jeûner dans un environnement médicalisé. On y pratique le jeûne préventif et le jeûne thérapeutique. A partir de 2390 euros pour la cure de dix jours, qui comprend les premiers jours de réalimentation.www.buchinger-wilhelmi.com

Par Jessica Berthereau

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