Madeleine Louarn, syndicaliste et metteur en scène engagée

Taraudée par la question de la liberté, elle s’attelle à la rechercher particulièrement pour les artistes et pour les personnes handicapées. Madeleine Louarn présentera durant ce festival “Ludwig, un roi sur la Lune”. Portrait.

Par Joëlle Gayot

Publié le 08 juillet 2016 à 11h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h51

Lorsqu'elle prend, en 2013, la présidence du très puissant Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles), Madeleine Louarn sait que l'attend une cascade de problèmes ; les intermittents ou la réforme territoriale n'étant que les parties émergées de l'iceberg. Première femme à occuper ce poste, la metteur en scène n'a alors qu'un désir : « Sortir le spectacle vivant du merdier. » Trois ans après, elle se félicite de l'accord établi en avril 2016 sur le régime d'assurance chômage – « Il est exceptionnel. On ne pouvait pas avoir mieux. » –, s'inquiète d'un possible rejet du Medef – « S'il n'est pas agréé ça va être catastrophique. » –, et s'alarme de la désintégration de la culture service public – « Tout est en train de s'effriter par pans entiers, avec des élus qui se lavent les mains des scénarios de démolition. »

Madeleine Louarn ne joue pas les Cassandre, ce n'est pas son genre. Cette Bretonne de naissance a les pieds sur terre et la tête solidement arrimée aux épaules. Elle que rien ne prédisposait à la mise en scène – « Je viens d'un milieu paysan qui n'avait ni les codes ni les références. » – est entrée dans le théâtre par une porte dérobée. A 22 ans, elle doit travailler pour gagner sa vie, devient éducatrice spécialisée aux Genêts d'Or, un centre d'aide par le travail situé à Morlaix. Elle s'y occupe de personnes handicapées mentales, rencontre des équipes médicales qui pensent que l'art a toute sa place dans ces institutions : « J'ai dit spontanément “Essayons le théâtre, la mythologie grecque, les grands récits structurants.” »

Son premier spectacle est consacré à Sisyphe. Depuis, elle n'a cessé de travailler avec des adultes handicapés mentaux dont la plupart, membres de l'atelier Catalyse, qui dépend des Genêts d'Or, sont encore avec elle. En 1992, elle fonde le Théâtre de l'Entresort, compagnie subventionnée qui professionnalise ce qui jusque-là était amateur et affine son approche du plateau auprès des plus grands. Les artistes polonais Tadeusz Kantor et Jerzy Grotowski, son voisin breton François Tanguy, les dadaïstes élargissent ses horizons. « Je suis allée dans les mondes à l'envers de ces décapsuleurs de sens. Je tenais à ce que les comédiens parlent. Donc j'ai toujours utilisé des textes. Les handicapés et nous sommes dans la même humanité. Ne pas leur donner voix au chapitre est une vraie discrimination. »

Les complexités du réel

Militante de la cause des handicapés ? « J'ai personnellement trop de retour sur investissement pour que ce soit militant. » Façon élégante de dire que, dans leur fragilité, leurs ratés et leur authenticité, les comédiens ne cessent de lui ouvrir les yeux sur les complexités du réel : « Ils m'apprennent l'inattendu. Avec eux, rien n'est jamais acquis. Tout peut se perdre à chaque instant. Il faut de la patience et de l'obstination. Ils m'apprennent aussi la puissance de l'inconscient. On est habité par quelque chose qui nous travaille de l'intérieur et qu'on ne maîtrise pas à 100 %. Ils m'apprennent enfin mes limites, ce que je n'ai pas compris, ne vois pas, ne sais pas. C'est une leçon d'humilité. »

Entre les mains de ces interprètes qui ne savent ni lire ni écrire, Madeleine Louarn pose pourtant les mots de Beckett, Tchekhov, Shakespeare, Ibsen, Novarina. Elle place la barre haut. Sur le plateau, il y a des souffleurs à vue qui pallient les pertes de mémoire. Une sorte de marque de fabrique de la troupe du Théâtre de l'Entresort dont, à Avignon, salle Vedène, le public sera témoin.

Cette fois, c'est un texte de Frédéric Vossier qui se joue. Inspiré de la vie de Louis II de Bavière, il pose à Madeleine Louarn une question essentielle, celle de la liberté. « Ce type délirant, passionné par Wagner, taraudé par la culpabilité de son homosexualité, avait tout et il s'est effondré, renonçant à toute autorité sur sa vie. Les acteurs de Catalyse n'ont pas la totale autorité sur leur vie. Quelle est leur part de choix ? Quand ils sont en scène, eux seuls décident, pourtant. Si j'ai compris quelque chose, c'est ma responsabilité face à leur liberté. »

En boomerang, l'interrogation ne manquera pas d'atteindre les spectateurs, dont il faut nettoyer le regard des préjugés ou des craintes. C'est aussi pour cela que Madeleine Louarn et ses acteurs ont toute leur place dans le plus grand festival de théâtre du monde.

A voir :

Ludwig, un roi sur la Lune, texte de Frédéric Vossier, mise en scène de Madeleine Louarn, du 8 au 13 juillet à 15h, salle Vedène (1h30).

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