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« Pour moi, être née sous X et avoir grandi dans ma famille, c’est une grande chance »

Murielle Monclair a 36 ans. Née sous le secret, elle a été adoptée à l’âge de six mois. Témoignage.

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Publié le 28 juin 2016 à 15h38, modifié le 03 juillet 2016 à 11h13

Temps de Lecture 5 min.

Murielle Monclair, 36 ans.

« Mon histoire d’enfant adoptée m’a apporté une forme d’optimisme face à la vie. Une gaieté, un sentiment fort de reconnaissance. Mon père et ma mère m’ont aimée et donné énormément. Je suis née à Nanterre et, après quelque temps en pouponnière, je suis arrivée à l’âge de 6 mois chez mes parents en région parisienne. Cela faisait huit ans qu’ils avaient pris la décision, alors je peux dire que j’ai été plus voulue que la plupart des enfants !

Je me suis mariée l’an dernier et, devant 250 invités, mon père a raconté que, quand ils ont compris qu’ils ne pourraient pas avoir d’enfants et ont ­décidé d’adopter, ils ont acheté une peluche, un petit mouton, pour leur ­futur bébé. C’est avec cette peluche que, depuis toute petite, ma mère me raconte mon histoire sous forme de conte. Je sais donc depuis toujours que j’ai été à la fois abandonnée et très désirée. Cela fait partie de mon identité.

Je me suis construite toute ma vie avec une forme de reconnaissance, à la fois envers mes parents et, d’une certaine manière, envers le système de l’adoption, même si pour eux les démarches ont été longues. Ce vécu différent des autres m’apporte de la force. Mes parents sont des gens très généreux. Ce qu’ils ont fait, c’est assez beau. Quelque part, cela a longtemps provoqué chez moi une pression, même inconsciente. Depuis toute jeune, et dans une certaine mesure ­encore aujourd’hui, j’ai ce sentiment de n’avoir pas droit à l’erreur. A l’école, puis lors de mes études supérieures, je me ­disais que je devais réussir. Pendant longtemps, faire le mieux possible pour mes parents a été un moteur dans ma vie.

« Je préférerais évidemment connaître mon arbre généalogique et avoir des informations sur mes antécédents familiaux. C’est la seule chose qui me tracasse »

« Origines génétiques »

Au moment de l’adolescence, je me suis peut-être posé davantage de questions que d’autres. J’ai peut-être plus que d’autres une peur de l’abandon. Mais, globalement, je m’en sors bien. Ce qui m’a parfois perturbée, ce sont des interrogations assez classiques pour des enfants adoptés, auxquelles je ne pourrai jamais répondre : pourquoi ai-je ces yeux, ces cheveux ? De qui je tiens mon visage, mes particularités physiques ? Je préférerais évidemment connaître mon arbre généalogique et avoir des informations sur mes antécédents familiaux. C’est la seule chose qui me tracasse vraiment aujourd’hui.

C’est d’ailleurs ces questionnements sur mes origines génétiques qui m’ont motivée à entreprendre des recherches, très brèves, il y a une quinzaine d’années. J’étais en couple et on envisageait de faire un bébé. Mon compagnon de l’époque était très jaloux et j’avais peur, comme je ne sais rien de mon patrimoine génétique, de ce à quoi pourrait ressembler notre enfant. Cela peut paraître fou, mais j’étais obsédée par l’idée de donner naissance à un bébé noir !

Je faisais des cauchemars où j’accouchais et mon compagnon me disait que ça ne pouvait pas être son enfant. C’est la seule fois où j’ai commencé des recherches. Je suis allée sur Internet et je suis tombée sur un site qui proposait de rentrer son nom, son lieu et sa date de naissance. Un moteur de recherche moulinait tout ça et vérifiait si cela correspondait à des éléments déjà ­entrés dans la base de données. Pour moi, il n’y avait rien.

Une photo de Murielle enfant.

« Sous le secret »

J’en suis restée là, même si je sais que des institutions existent pour aider à la recherche des origines, notamment, depuis 2002, le Conseil national d’accès aux origines personnelles (CNAOP). Je n’ai tout simplement pas envie de me lancer là-dedans. J’ai rencontré d’autres enfants nés sous X, et il arrive souvent, soit que les recherches entreprises n’aboutissent pas, soit qu’elles soient source de souffrances. Dans la plupart des cas, les femmes qui décident d’accoucher sous le secret le font pour de bonnes raisons et, en général, ce n’est pas très gai.

Je n’éprouve pas de difficulté à parler de mon histoire, mais, évidemment, ce n’est pas un sujet de conversation tous les jours. Une des rares fois où j’ai pris la parole de manière publique à ce propos, c’était lors des manifestations contre le mariage pour tous. Les opposants à la gestation pour autrui et à la procréation médicalement assistée prétendaient que si des homosexuels adoptaient un enfant, sans qu’on sache qui était le géniteur, cela reviendrait à lui ­voler son identité, ce qu’ils jugeaient inacceptable. Mais c’est déjà le cas pour les ­enfants nés sous X, ça n’a rien à voir avec l’homosexualité… Ça m’a ulcérée d’entendre ça, du coup j’ai publié un texte sur mon profil Facebook, où je racontais mon histoire. Mes amis proches sont tous au courant, mais plusieurs de mes contacts ont découvert de cette manière que j’étais née « sous le secret », comme on dit.

« En tant que femme, je respecte le choix que ma mère naturelle a fait lors de ma naissance, qui était sans doute un choix difficile »

« Un choix difficile »

J’ai grandi chez des parents qui exerçaient la profession de famille d’accueil. Beaucoup d’enfants sont ainsi passés chez nous, quelques semaines, quelques mois, parfois davantage. La plupart de leurs histoires étaient compliquées, douloureuses. Cela m’a permis de constater que connaître ses parents naturels n’est pas forcément un bienfait quand on est placé, momentanément ou en ­attente d’une adoption. C’est même souvent le contraire. J’ai une sœur qui a été adoptée à l’âge de 3 ou 4 ans et un frère – enfin, je le considère comme tel –, qui est resté dix-huit ans chez nous. Il revoyait ponctuellement sa mère, mais cela se passait très mal.

J’ai très peu d’informations sur ma mère naturelle. Je sais simplement qu’elle était très jeune quand je suis née, autour de 15 ans, et qu’elle m’a confiée aux services de la DDASS. Quand je suis arrivée chez mes parents, j’avais trois prénoms, qu’elle m’a sans doute donnés : ­Sophie Graciane Murielle. Comme je réagissais déjà à ce dernier – probablement celui qui était utilisé à la pouponnière –, mes parents l’ont gardé. Voilà. En tant que femme, je respecte le choix que ma mère naturelle a fait lors de ma naissance, qui était sans doute un choix difficile. Si j’entreprenais de vraies recherches, j’ai le sentiment que, d’une certaine manière, je trahirais sa décision. Je ne le souhaite pas. » 

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