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Les médias dans l’ère « de la politique post-vérité »

La rédactrice en chef du « Guardian » revient sur la campagne du « Brexit », où dire la vérité était devenu un handicap et les médias étaient noyés dans le bruit des réseaux sociaux.

Publié le 12 juillet 2016 à 17h32, modifié le 13 juillet 2016 à 12h31 Temps de Lecture 4 min.

Si chacun a « sa » vérité, la discussion devient automatiquement impossible.

« Est-ce que la vérité compte encore ? »

Katharine Viner, rédactrice en chef du Guardian, a longuement pensé à cette question, et à celles qui en découlent, pendant les semaines qui ont suivi le vote sur le « Brexit », la débâcle de la classe politique britannique et le rôle qu’ont eu les médias dans la diffusion et le décryptage d’informations pendant la campagne.

Le résultat est une très longue analyse qui part du constat que « si les faits étaient une devise, ils viendraient de subir une sévère dévaluation » après ce référendum, le « premier vote majeur dans l’ère de la politique post-vérité », un monde où l’idéologie l’emporte sur la réalité.

La presse eurosceptique britannique a reconnu ses erreurs et ses exagérations, les politiciens pro-« Leave » ont reconnu leurs mensonges et l’absence de toute stratégie en cas de victoire. Mais ils l’ont fait une fois le résultat du vote connu. Comme dit Katharine Viner, ce n’est pas la première fois que le monde politique et celui de la presse se trompent lourdement ou mentent éhontément, mais c’est la première fois qu’ils le reconnaissent si rapidement et si facilement. Comme si la vérité ne pesait plus beaucoup.

Les faits et « les faits »

La Vérité, avec un grand V, n’existe pas. Il est impossible d’expliquer les tenants et les aboutissements d’un monde complexe avec des phrases simples, qui seront de toutes façons toujours teintées de subjectivité. Mais il existe quand même une série de faits, démontrables par A+B, à partir desquels un débat contradictoire peut se créer. Pour la rédactrice en chef du Guardian, la campagne du Brexit a montré que c’est de moins en moins le cas. Chacun a « sa » vérité et la discussion devient automatiquement impossible.

« Quand un fait commence à ressembler à ce que vous pensez être vrai, c’est très difficile pour quiconque de faire la différence entre les faits qui sont vrais et les faits qui ne le sont pas. »

Le rôle des médias dans cette situation – dire pourquoi cela est vrai ou faux, contextualiser, illustrer – est rendu difficile, voir impossible à la fois par la confiance en chute libre que leur accordent les lecteurs, et par des responsables politiques qui ne se sentent plus obligés de jouer le jeu. Le Guardian rappelle ce que lui a confié Arron Banks, un des principaux financiers du « Leave » après les résultats. En substance : en politique, une campagne politique se gagne par l’émotion et non plus par la démonstration.

« Il s’agissait d’avoir une approche médiatique sur le mode américain. Très tôt, ils ont dit : “Les faits, ça ne fonctionne pas”, et voilà. Le camp du Remain ne pensait qu’aux faits, aux faits, aux faits, aux faits, aux faits. Ca ne fonctionne tout simplement pas. Vous devez vous connecter émotionnellement avec les électeurs. C’est le succès de Trump. »

Boris Johnson, chef de file de la campagne du « Leave ».

Pour Katharine Viner, l’avènement de « l’ère de la politique post-vérité » a été alimenté par celui des réseaux sociaux, là où de plus en plus de personnes, surtout ceux âgés de 18-24 ans, s’informent en priorité.

« De plus en plus, ce qui passe pour des faits n’est qu’un point de vue de quelqu’un qui pense que c’est vrai – et la technologie a permis à ces faits” de circuler facilement. »

Algorithmes ou systèmes de curation automatique, c’est-à-dire qui sélectionnent l’information que nous consultons et dont on ignore tout, finissent par « nous présenter une vision du monde qui renforce les croyances que nous avions déjà. »

« Cela veut dire que nous avons moins de chances d’être exposés à une information qui nous stimulerait ou élargirait notre vision du monde, et donc moins de chance de tomber sur des faits qui réfuterait des informations fausses partagées par d’autres. »

L’attirance gravitationnelle du clic

Rejeter toute la faute sur le Web et les réseaux sociaux serait un peu facile. La presse traditionnelle est aussi en faute et l’autocritique de Katharine Viner vise à la fois son propre média et tous les autres, attirés, presque gravitationnellement, par le trou noir du clic.

« La révolution numérique a fait que les journalistes doivent rendre plus de comptes aux lecteurs – ce qui est une bonne chose (…) Mais si les développements numériques de ces dernières années ont donné de nouvelles possibilités au journalisme, notre business model est très menacé, parce que peu importe le nombre de clics que vous avez, ça ne sera jamais assez (…) En chassant le clic facile au détriment de l’exactitude et la véracité, les médias sapent les raisons mêmes de leurs existences. »

La question qui est posée ici est la même que Samuel Laurent des Décodeurs abordait il y a quelques semaines dans Le Monde :

« Face à cette démocratie post-factuelle, la presse est désarmée : que faire, lorsque son lectorat croira plus facilement une information militante, mais partagée par une personne de confiance, que la vérification détaillée effectuée par un média qu’on soupçonne en permanence de toutes les manipulations ?

Comment informer dans ce maelström où tout un chacun est devenu média, puisqu’il peut, lui aussi, partager et diffuser les informations qu’il souhaite ? Comment opposer de la complexité à des visions manichéennes et simplistes du monde ? Et comment faire, par son bulletin de vote, des choix essentiels pour tout un pays lorsque l’on n’est pas informé correctement des conséquences ? »

La réponse ? Aller chercher les informations fausses là où elles existent et sont partagées, et les « débunker », écrit Katharine Viner. C’est ce qu’on attend des « médias fiables ». Les Décodeurs sont sur la même ligne :

« On peut, et nous le faisons chaque jour, expliquer, vérifier, préciser, démentir les rumeurs. Encore faut-il que ces analyses soient lues et relayées auprès du plus grand nombre, ce qui n’est pas toujours le cas. On doit, on devra, à l’avenir, éduquer aux médias, à l’information, pour mieux armer les citoyens contre la manipulation d’où qu’elle provienne. »

Lire l’analyse : Article réservé à nos abonnés Quand le débat démocratique se passe de faits
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