Joschka Fischer : «Après la tempête du Brexit, il faut stabiliser la zone euro»

L’UE survivra à la catastrophe du Brexit, mais elle devrait stabiliser la zone euro, a affirmé l’ancien ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier allemand, Joshka Fischer, ajoutant que la France et l’Allemagne devraient prendre la tête de la réforme.

Joshka Fischer était le ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier en Allemagne de 1998 à 2005. Il a fait ses premiers pas en politique avec les protestations antisystème des années 1960 et 1970 et a joué un rôle majeur dans la fondation du pari écologique allemand qu’il a mené pendant vingt ans.

Le Brexit est-il une catastrophe ?

Pour le Royaume-Uni, c’est un véritable ouragan, en Europe, c’est une tempête. L’UE survivra à la tempête, mais les perspectives sont sombres pour le Royaume-Uni.

Pensez-vous que ce choix aurait pu être évité ?

Je n’en ai aucune idée, je ne connais suffisamment pas la politique intérieure britannique. Cependant, j’étais convaincu dès le début qu’un référendum ne serait pas une bonne idée. J’avais critiqué David Cameron en 2013 pour avoir lancé un processus qu’il ne serait pas capable de contrôler sur le long terme. Vous voyez le résultat.

>> Lire : « Le Brexit aurait pu être évité »

Ce référendum prouve-t-il les limites, ou l’inefficacité actuelle, de la démocratie parlementaire ?

Je ne suis pas un fan des référendums et je suis reconnaissant envers les fondateurs de la constitution allemande qui ont appris de la république de Weimar et ont complètement exclu le référendum au niveau fédéral. C’est toujours une question d’affects et de dénigrer le gouvernement au pouvoir Les affects sont toujours imprévisibles. Aujourd’hui, nous avons vu l’une des économies les plus dynamiques et florissantes du monde foncer dans un mur sans aucune raison. Ceux qui en sont responsables ont mystérieusement disparu. C’est un drame politique. Accepter que la Grande-Bretagne ne soit plus un membre de l’UE est très difficile.

>> Lire : Pourquoi l’Allemagne ne veut plus de Juncker

La marche pour l’Europe à Londres dimanche dernier [2 juillet] vous a-t-elle donné espoir ? Les jeunes Britanniques peuvent-ils amorcer un nouveau mai 1968 ?

L’Europe ne devrait pas abandonner ces jeunes. Pas seulement pour les Britanniques, mais aussi pour tous les pays d’Europe occidentale. Je pense que s’il y a une génération qui adhère à l’idée d’une Europe unie, à ses valeurs démocratiques et à la paix à travers des lois communes et une culture de l’ouverture, nous ne devons pas l’abandonner et au contraire travailler avec elle. Nous devons leur garder la porte ouverte. Nous devons développer des programmes pour les accueillir en Europe.

Ces jeunes ont-ils la force pour organiser un mouvement en faveur de l’Europe, comme mai 1968 ?

Je ne sais pas. Je ne suis pas prophète. Mais quiconque espérait voir des jeunes à Westminster avec des drapeaux européens et des slogans « UE pour toujours » [serait déçu]. C’est un message sans équivoque.

Vous avez dit qu’il s’agira d’une « tempête pour l’Europe ». Quelles seront les conséquences pour l’Europe, d’après vous ?

L’Europe est un animal étrange. Généralement, en temps de crise, elle avance. J’imagine que, cette fois encore, elle avancera. Car nous ne sommes pas en train de discuter d’une construction idéologique. Il y a un gros malentendu à ce sujet : l’Europe a été la réponse à deux guerres mondiales, la réponse au besoin d’un nouveau système sur le continent.

Soyons clairs. Nous n’avons pas la possibilité de dire ce que nous voulons ou pas dans un contexte de mondialisation. La Grande-Bretagne a toujours été indécise.

Le Brexit a néanmoins mis en lumière la faiblesse de l’UE. Comment la renforcer ?

Nous devons commencer par stabiliser la zone euro. Pour l’heure, nous ne pouvons pas nous permettre l’instabilité. Nous avons besoin d’un nouveau départ. Il faut donc qu’il y ait un consensus entre le Nord et le Sud. Sans cela, elle demeurera faible.

Il n’y a pas besoin d’un nouveau traité. C’est une question politique. D’après moi, la France et l’Allemagne pourraient réconcilier leur point de vue économique.

Pensez-vous que le couple franco-allemand peut mener le bloc dans sa nouvelle phase de construction, malgré les différends entre Angela Merkel et François Hollande, alors qu’ils sont tous les deux occupés avec leur campagne électorale ?

Nous allons vivre une période éprouvante. L’Italie y représente l’un des défis à relever. La crise financière met l’UE en danger. Nous avons besoin d’être ouverts et trouver rapidement des solutions au problème italien. Je pense que Matteo Renzi fait un excellent travail, étant donné les conditions actuelles en Italie.

Nous devons être compréhensifs avec les autres, mais nous devrions commencer par une meilleure coopération entre l’Allemagne et la France.

Nous avons l’impression que la France et l’Allemagne ne parlent pas ouvertement. Or, si elles coopèrent mieux, les autres pays suivront.

>> Lire : Merkel, Hollande et Renzi tentent de faire preuve d’unité face au Brexit

Y a-t-il des difficultés à prévoir de la part des pays du Visegrad ?

Il faut avoir de la patience avec ces pays. Ils sont essentiellement pauvres, dépendent des fonds européens et possèdent une histoire complètement différente.

Il s’agit surtout de pays qui envoient leurs immigrants dans d’autres pays, mais ils n’acceptent pas d’immigrés. C’est une toute nouvelle expérience pour eux. Il faut aussi prendre du temps pour la question de l’identité nationale.

Quand j’étais jeune, la France et l’Allemagne étaient des pays très différents, avec un état d’esprit et des valeurs qui ne se ressemblaient pas du tout. C’était un autre monde. Les pays de l’Est ont besoin de temps, mais une discussion sera certainement nécessaire.

>> Lire : Les pays de Visegrád réclament une refonte de l’UE après le Brexit

Le nationalisme prend de l’ampleur et attire les électeurs. Comment pouvons-nous éviter de contribuer à cette tendance et y mettre un terme ?

Le Brexit est une occasion parfaite pour se confronter au problème. Ces hommes politiques ont menti aux électeurs en leur promettant que 350 millions livres sterling seraient investies dans la NHS. Ils ont menti. Le Brexit est une occasion parfaite pour se confronter à ces personnes. Si j’écoute Marine Le Pen, elle promet la lune. Il est temps de les affronter.

>> Lire : Le Brexit menacerait le système de santé britannique

Croyez-vous encore en une Europe fédérale ?

Oui. Quelle serait l’alternative pour une Europe fédérale ? Une Europe centralisée. Je n’y crois pas, cependant.

Si les États souverains se réunissent pacifiquement autour de lois communes et d’un intérêt commun, comment l’appellerions-nous ?

En Allemagne, « fédéral » n’est pas une injure. Il est temps de se rendre compte que le fédéralisme est la solution.

Inscrivez-vous à notre newsletter

S'inscrire