La promenade des Anglais n’est plus qu’un ruban de douleur et d’horreur. Le jour se lève sur Nice et le lobby de l’Hôtel Negresco, transformé en camp de première urgence, est toujours encombré de centaines de personnes choquées, assommées par le spectacle dont elles ont été témoins. Au moins 80 morts et des dizaines de blessés en “état d’urgence absolue”.

Presqu’en face, sur cette avenue côtière connue du monde entier comme la perle de la Côte d’Azur française, un camion blanc échoué est resté, tout au long de la nuit, entouré par les équipes de la police scientifique. Sa photo, le pare-brise criblé de balles, a fait le tour de la planète vers minuit lorsque la nouvelle du deuxième attentat terroriste le plus meurtrier jamais perpétré en France a commencé à circuler.

Etat de panique absolu

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Le 13 novembre 2015, Paris avait été sauvagement agressé par trois commandos kamikazes venus semer la mort au Stade de France, au Bataclan, et sur les terrasses de plusieurs cafés-restaurants proches de la place de la République. Bilan : 130 morts et plus de 400 blessés. Nice semble, pour l’heure, avoir été pris pour cible par un homme seul, identifié par le parquet antiterroriste saisi de l’affaire comme un franco-tunisien domicilié dans la ville, abattu par la police. Sa photo et son identité ne circulent pas encore à l’heure d’écrire ces lignes.

Sur plus de deux kilomètres, au volant de ce camion blanc de 15 mètres de long pourvu d’une large caisse de déménagement, le conducteur a semé la mort, zigzaguant à pleine allure sur la promenade selon les témoins et les images diffusées sur internet, pour tuer et blesser le maximum de monde. Etat de panique absolue. Des policiers niçois affolés qui mettent en joue plusieurs cibles qui s’avèrent fausses, comme cela fut le cas à Paris en novembre. Le chaos. Des scènes que la France, en état d’urgence depuis la nuit parisienne fatale, espérait ne plus jamais vivre après le miracle d’un “Eurofoot” organisé sans accroc, y compris à Nice où plusieurs matches ont eu lieu à l’Allianz Arena.

Une attaque à “caractère terroriste”

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Comment ce véhicule a-t-il pu arriver là, au cœur de cette foule massée à l’épicentre de la promenade, jusqu’au Palais de la Méditerranée et à l’hôtel Lancaster, alors que le feu d’artifice du 14 juillet venait de se terminer ? La question qui hante aujourd’hui la France pèse à l’évidence d’un poids énorme lorsque François Hollande, vers quatre heures du matin, prend la parole depuis le Palais de l’Elysée. Les premiers mots du président français, revenu en urgence du festival d’Avignon, disent tout : “L’horreur, de nouveau… Le caractère terroriste de l’attaque…”.

Quelques heures plus tôt, après avoir présidé le dernier défilé militaire de son quinquennat aux côtés du Gouverneur Général de l’Australie et du premier ministre de Nouvelle-Zélande, le chef de l’Etat français avait annoncé la levée prochaine de l’Etat d’urgence, et le déploiement de forces spéciales françaises pour participer à la préparation de la libération de Mossoul, la grande ville irakienne sous le contrôle de Daech en juin 2014. “L’horreur, à nouveau…” bouleverse complètement la donne. L’Etat d’urgence est à nouveau prorogé de trois mois. Ce quinquennat reste à jamais, depuis les attaques de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, marqué du sceau de la terreur aveugle. On pense aussi aux attentats de Bruxelles, le 22 mars dernier.

Pas encore de revendication

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Il a fallu moins de deux heures pour que, vers minuit, les forces de l’ordre confirment ce qui semblait une évidence, après avoir dans un premier temps parlé “d’attaque criminelle”. Les modalités de ce carnage sont bien celles d’un attentat terroriste, peut être pas directement commandité par Daech, mais probablement inspiré par l’organisation extrémiste islamiste. Cette méthode, ce massacre à la voiture ou au camion, a été plusieurs fois théorisée par les maitres-assassins de Daech qui, au moment d’écrire ces lignes, n’avaient pas encore revendiqué la tuerie de Nice.

Tragique ironie, de nouvelles révélations policières affirmaient, quelques heures avant l’attentat de Nice, que le coordinateur présumé des attentats parisiens tué le 18 novembre 2015 à Saint-Denis, Abdelhamid Abaaoud, n’était probablement pas le commanditaire de l’opération, sans doute téléguidée de l’extérieur.

La crainte de répliques

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Alors que la place Masséna, au cœur de Nice, se réveille à l’aube dans un silence digne d’un cimetière, les faits ne sont pas encore complètement éclaircis. La Promenade des Anglais, véritable autoroute côtière, n’était pas totalement fermée pour cette nuit de fête, mais elle est ce vendredi, hermétiquement verrouillée. Tous les témoignages, dont celui publié en pleine nuit par Le Temps d’un journaliste de Nice-Matin, racontent les corps jetés comme des quilles par le véhicule lancé à plus de 90 kilomètres heures.

Plus que l’effroi, le sentiment d’un tunnel dont la France ne parvient pas à sortir. Toute la nuit, sur les chaînes de télévision, les tentatives d’attentats déjoués ces derniers mois ont été égrenées, dont plusieurs perpétrées de la même façon, par un conducteur-meurtrier, notamment à Dijon et à Nantes. Des armes ont été retrouvées dans le camion niçois. L’inquiétude de répliques, d’une filière islamiste planquée au cœur de la ville ou prête à passer à l’action ailleurs, terrorise Nice et l’ensemble du pays. Depuis des heures déjà, décalage horaire aidant, le vaste continent asiatique, pourvoyeur de millions de touristes sur cette Côte d’Azur si fantasmée, scrute les images incompréhensibles. Nice, ville préférée des Russes, des Chinois, des Japonais. Nice, ville mythique de la “Riviera”, symbole de la douceur et du luxe, n’est ce matin que douleur.

Et cette question à laquelle plus personne n’ose répondre mais que tout le monde a en tête ? A quand le prochain attentat ? A Paris cette nuit, la place du Trocadéro s’est transformée en chaos humain et routier après le splendide feu d’artifice tiré à partir de la Tour Eiffel. Une cohue ingérable, malgré les impressionnantes mesures de sécurité et les fouilles systématiques au sein d’un large périmètre.

Le président François Hollande s’était félicité, à raison, lors de son intervention télévisée jeudi, de l’absence d’incidents majeurs dans les fans-zones lors de l’Eurofoot. Mais comment prévenir une folie dans les métropoles, en plein été, alors que festivals et animations sont partout à l’honneur. Il est six heures. Paris, comme Nice, ne voudrait pas s’éveiller. Et personne ne croit plus, comme toutes les mairies de l’Hexagone l’avaient promis, que le 14 juillet 2016 est “une fête”.