
« Aucun film ne reste pour toujours dans les tiroirs. Sans doute, il sera un jour, quelque part, montré », disait l'un des protagonistes du film iranien Ghesseha (« Les Histoires »), réalisé en 2011 et interdit de projection en Iran pendant deux ans. Il avait raison.
Six mois après l'arrivée au pouvoir du président modéré Hassan Rohani, en août 2013, le film de la réalisatrice iranienne Rakhshan Bani-Etemad a été projeté pour la première fois, le 3 février, lors du 32e Festival du film de Fajr à Téhéran, qui s'est achevé le 12 février. « Je suis contente que Ghesseha sorte enfin sur grand écran, a lancé Rakhshan Bani-Etemad devant une salle comble de journalistes. Lorsque je tournais ce film, il y a deux ans, vu la situation, je pensais que ça serait mon dernier. Mais aujourd'hui, je suis toujours debout et déterminée. »
Rakhshan Bani-Etemad, au centre d'attaques virulentes de la presse conservatrice en raison de son soutien au mouvement de contestation né à la suite de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad, en juin 2009, explique qu'elle a « auto-boycotté » le cinéma entre 2009 et 2011. En 2011, elle a décidé de revenir, dans un long-métrage de fiction, sur certains personnages de ses films précédents et de raconter comment leur vie avait changé, notamment après les événements de 2009.
LA CENSURE CONTOURNÉE
Afin d'éviter de passer par le labyrinthe du ministère de la culture pour obtenir l'autorisation de production, elle a prétendu tourner sept courts-métrages documentaires, pour lesquels suffisait une autorisation de l'Association des documentaristes iraniens.
Cette manière de contourner la censure n'a guère plu au gouvernement de Mahmoud Ahmadinejad, ni à la presse conservatrice, qui ont multiplié menaces et mises en garde contre l'équipe de production. Les attaques ont été d'autant plus explicites qu'un des héros de Ghesseha était un étudiant, exclu de l'université à cause de ses activités politiques.
Abordant également le sujet jadis tabou des événements de 2009, le film Asabani Nistam (« Je ne suis pas en colère »), de Reza Dormishian, autorisé et réalisé après l'arrivée au pouvoir de M. Rohani, a également été diffusé lors du Festival de Fajr. Il traite des calvaires et de la dépression d'un jeune étudiant, lui aussi renvoyé de son établissement pour des raisons politiques.
Ces signaux d'ouverture relative de le part des autorités concernent-ils les autres grands noms du cinéma iranien ? Tandis qu'Abbas Kiarostami (Copie conforme) a fait savoir à son entourage qu'il n'avait pas de projet de film en Iran, Asghar Farhadi, auteur d'Une séparation et du Passé, a annoncé, dans un entretien accordé à l'hebdomadaire américain Hollywood Reporter, qu'il pourrait à tout moment « avoir une histoire qui se passe en Iran ». « [Dans ce cas], je le ferais à coup sûr en Iran », précisait-il.
« RÉCONCILIER LE PEUPLE ET LE CINÉMA »
Quant à Jafar Panahi, réalisateur de Ceci n'est pas un film et Hors jeu, il est libre de ses mouvements, même si sa condamnation à six ans de prison et vingt ans d'interdiction d'exercer son métier n'a toujours pas été annulée. Dans une lettre ouverte à Hassan Rohani, publiée le 3 février sur Internet, lui rappelant ses promesses électorales pour davantage de liberté, Panahi a accusé le chef d'Etat d'être « populiste » et de chercher à instaurer davantage de censure dans le cinéma.
Dans un discours prononcé lors de l'ouverture du Festival de Fajr, Hassan Rohani avait appelé les cinéastes à ne pas se focaliser sur les côtés négatifs et à montrer « les aspects clairs de la vérité ». « Si M. Rohani cherche la réconciliation entre le peuple et le cinéma, il devrait permettre que l'artiste fasse comme bon lui semble », riposte Jafar Panahi dans sa lettre.
Cette amertume n'est pas partagée par Rakhshan Bani-Etemad, qui préfère rester optimiste et « réaliste ». « Les hauts fonctionnaires en charge du cinéma nommés par Rohani sont issus du monde culturel, souligne-t-elle. Leur vision est plus équilibrée. Cela rend l'avenir plus supportable. »
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