ATTENTAT DE NICE - Il aura fallu attendre 36 heures pour que Daech, via son agence Amaq, dégaine la revendication à laquelle plus personne ne voulait croire. "L'auteur de l'opération d'écrasement à Nice, en France, est un des soldats de l'État islamique", explique le communiqué de l'organisation jihadiste, qui précise que Mohamed Lahouaiej Bouhlel a agi "en répondant à l'appel à viser les citoyens des États de la coalition".
Pourtant, dès cette annonce, la tentation est grande chez certains de considérer que Daech fait de la récupération, que ce n'est pas vraiment l'organisation jihadiste qui est derrière ce massacre et que ce communiqué s'inscrit dans une logique opportuniste. Sur Twitter, le hashtag #DaeshRevendique, tournant en dérision le sérieux de cette information, s'est hissé en début d'après-midi en tête des tendances Twitter.
"La revendication peut être opportuniste", a déclaré à France Info la sénatrice UDI, Nathalie Goulet, présidente de la commission d'enquête sur les réseaux jihadistes, préférant attendre "les résultats de l'enquête" avant d'y croire pleinement. Pourtant, il faudra bien s'y faire : c'est bien l'État islamique qui est derrière cette tuerie, comme le suggérait d'ailleurs le mode opératoire adopté par Mohamed Lahouaiej Bouhlel.
Voici pourquoi.
"L’EI n'a encore jamais fait une revendication opportuniste"
Premier élément à prendre en compte, et martelé depuis ce matin par le spécialiste David Thomson (ici ou là), "l'Etat islamique n'a encore jamais fait une revendication opportuniste". À tire d'exemple, l'organisation jihadiste n'a jamais revendiqué le crash de l'avion EgyptAir, alors qu'elle en aurait tiré un bénéfice énorme en termes d'impact sur les opinions publiques occidentales.
Autre exemple, lorsqu'un attentat est commis par proximité idéologique avec Daech, l'organisation se contente de "saluer" l'action mais pas de la revendiquer, même si elle peut qualifier ses auteurs de "soldats du califat", comme on a pu le voir pour la tuerie de San Bernardino. Dans le cas de Nice, il s'agit bien d'une attaque en bonne et due forme, diffusée via Amaq et en plusieurs langues. Ce qui montre qu'il y a bien un lien (si ténu soit-il) entre Mohamed Lahouaiej Bouhlel et Raqqa. "Il y a sûrement des liens et s’ils revendiquent, ça veut dire qu’ils ont des preuves de ces liens et qu’ils vont les feuilletonner", a d'ailleurs prévenu David Thomson cité par Le Monde.
Pourquoi ne pas revendiquer plus tôt ?
Avant Nice, deux attentats estampillés EI ont récemment considérablement frappé les opinions publiques occidentales : Orlando et Magnanville. Dans ces deux cas, il n'avait fallu attendre que quelques heures pour que l'acte soit revendiqué. Alors, pourquoi Daech a-t-il cette fois attendu plus longtemps pour signer l'attentat? Avant de tirer du silence de l'EI des conclusions hâtives, il faut d'abord souligner qu'il n'y a pas de timing "habituel" propre à l'EI, qui agit et communique, comme toujours, selon son propre agenda.
Et à l'égard de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, "il semble" qu'il se soit "radicalisé très rapidement", a indiqué Bernard Cazeneuve (ce qui explique qu'il était complètement hors des radars des services anti-terroristes). Du point de vue de l'EI, il a donc fallu s'assurer qu'il s'agissait bien d'un profil compatible avec sa propagande, note Wassim Nasr, auteur de Etat islamique, le fait accompli (éd. Plon). "Je pense que c'était (le délai ndlr) pour valider le personnage", a indiqué le spécialiste sur France 24 (vidéo ci-dessous).
"Daech insuffle cet esprit terroriste"
Enfin, ce n'est pas parce que l'on assiste à un acte isolé (c'est à dire sans une chaîne de commandement gérée depuis Raqqa) que cette attaque ne porte pas le sceau de l'État islamique. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, l'a encore rappelé ce samedi 16 juillet. "L'idéologue de Daech, Mohammed Al Adnani a, depuis plusieurs semaines, répété qu'il fallait attaquer directement, voire individuellement, les Français et singulièrement les Américains, là où ils se trouvaient, de quelque moyen que ce soit", a-t-il souligné.
"Daech n'organise pas, Daech insuffle un esprit terroriste contre lequel nous combattons", a encore précisé le ministre, ce qui correspond aux hypothèses émises par différents spécialistes. "Il faut qu'on essaie de sortir de nos grilles de lecture. Le lien n'est pas forcément direct, mais la personne a été validée par les instances de l'EI pour que la revendication tombe de cette manière", a ajouté Wassim Nasr, qui précise que "ces liens distendus", entre un aspirant jihadiste et Daech, constituent "un nouveau mode d'action", permettant de "ratisser très large".
C'est donc bien l'organisation terroriste qui a les cartes en main et qui est responsable de l'attentat survenu à Nice et ce, malgré la déconnexion apparente entre le profil de Mohamed Lahouaiej Bouhlel et les théâtres syrien et irakien.