Je n’ai pas l’intention de faire le jeu de la barbarie djihadiste, je ne compte pas renoncer aux valeurs de liberté, égalité et fraternité. Parce que c’est exactement ce qu’ils cherchent. Ils veulent nous rabaisser à leur niveau, nous faire oublier le Siècle des Lumières, nous amener à renoncer à défendre l’universalité de la raison, de la tolérance, des droits de l’homme et de la démocratie. Ils veulent que nous nous laissions entraîner comme des moutons apeurés sur les sentiers d’une guerre de civilisation sans trêve. Les djihadistes sont des nihilistes : ils attendent la fin des temps et cherchent à déclencher la bataille du Jugement dernier.

J’étais [jeudi] à la fête de l’ambassade de la France à Madrid pour le 14 juillet, jour où le peuple de Paris a fait tomber ce symbole de la tyrannie qu’était la Bastille et ainsi voulu le début d’une nouvelle ère où la liberté, l’égalité et la fraternité régiraient les relations entre êtres humains. Le dispositif de sécurité autour de la résidence de l’ambassadeur français était impressionnant.

Un message très clair

Mais personne ne s’en plaignait. Nous étions tous conscients que la France était dans la ligne de mire des djihadistes. Qu’ils s’agissent de loups solitaires, de groupuscules locaux ou de combattants qui suivent des instructions de Daech, un seul enragé avec un couteau de cuisine peut désormais blesser ou tuer un grand nombre d’innocents avant d’être abattu par la police.

En entendant la Marseillaise, nombre d’entre nous eurent le sentiment que cet hymne national était avant tout un chant de rébellion contre l’oppression et l’injustice.

Les djihadistes ne sont pas des gens très fins et par cette vague de terrorisme en France, ils expriment leur message très clairement. Tout le monde a compris qu’ils ont en horreur la liberté d’expression, qu’ils exècrent l’humour et qu’ils ne supportent pas qu’on se moque des traditions et du sacré.
Ils ont en horreur le Siècle des Lumières, la guerre d’indépendance américaine, la Révolution française, la séparation du religieux et de l’Etat, les idéaux démocratiques. Et c’est pour cette raison qu’ils ont choisi de frapper précisément un 14 juillet.

Ne pas confondre

Le djihadisme est une peste brune, qui comme les précédentes, a des racines idéologiques, politiques et socio-économiques. Ses premières victimes, ne l’oublions pas, sont les Arabes et les musulmans. Si New York, Madrid, Londres, Paris, Bruxelles et d’autres villes occidentales ont été durement éprouvées par des attentats épouvantables ces quinze dernières années, Beyrouth, Marrakech, Istanbul, Le Caire, Dacca et Bagdad l’ont été tout autant. Confondre le tout (c’est-à-dire le monde musulman) avec la partie (le djihadisme) est une erreur aussi monumentale que de confondre les Allemands avec les Nazis. L’immense majorité de nos voisins du sud et de l’est de la Méditerranée sont des alliés potentiels dans notre lutte contre cette peste, que ce soit sur terre, sur mer et dans les airs. Et il convient d’en tirer parti intelligemment.

Faut-il renforcer les mesures de sécurité ? Evidemment. Il faut améliorer l’efficacité des services de police et de renseignement sans pour autant céder sur nos droits et nos libertés individuelles. Nous n’avons pas besoin de conférences de presse spectaculaires, de débats institutionnels, de pactes anti-djihadiste et autres sommets extraordinaires qu’affectionnent tant nos dirigeants pour se montrer au journal télévisé. Nous avons besoin au contraire du travail silencieux et inlassable de la police qui détecte les djihadistes avant qu’ils ne passent à l’action.

Le combat contre le djihadisme doit être mondial : pas seulement politique et militaire, mais aussi idéologique et culturel, politique et socio-économique. Il faut assécher les marais où se cache et prospère la peste. Il faut faire pression sur les dirigeants fondamentalistes du Golfe pour qu’ils cessent de diffuser et de financer leur interprétation salafiste de l’islam. Il faut améliorer l’intégration des enfants de l’immigration.

L’erreur de la guerre d’Irak

Et surtout, il y a beaucoup de choses qu’il ne faut surtout pas faire. Il ne faut surtout pas répéter l’erreur criminelle du trio Aznar-Blair-Bush quand ils ont décidé d’envahir et de détruire l’Irak et ont fini par transformer le pays en un
vivier et un camp d’entraînement du djihadisme.

Aucune souffrance ne justifie de faire souffrir les autres. La douleur des Syriens et des Irakiens ne pourra jamais justifier qu’un homme cherche à écraser des innocents au volant d’un camion. En tant que descendants des révolutionnaires du 14 juillet, nous ne pouvons pas nous comporter comme cet assassin.