Après l'attentat de Nice, le gouvernement rabote discrètement le secret des sources

Un amendement introduit au dernier moment dans la loi sur l'indépendance des médias pourrait élargir les cas où la justice serait susceptible de porter atteinte au secret des sources des journalistes. Un tour de vis sécuritaire de plus.

Par Olivier Tesquet

Publié le 18 juillet 2016 à 17h01

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h53

C'était une promesse de campagne du candidat François Hollande, la 51e sur 60 : « Renforcer la loi sur la protection des sources des journalistes ». Censé moderniser un cadre législatif en forme de gruyère et fragilisé par l'affaire des fadettes du Monde, un texte avait même été adopté en Conseil des ministres en juin 2013. Et depuis... plus rien, ou presque. De report en reculade, le secret des sources avait fini par devenir une arlésienne ou une bouteille à la mer. Jusqu'à la proposition de loi sur la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, déposée par les députés socialistes Patrick Bloche et Bruno Le Roux en février dernier. L'objectif : « renforcer la liberté, préserver l'indépendance des journalistes et la pluralité des médias ». Et donc bétonner – au moins un peu – le secret des sources.

Après un désaccord en commission mixte paritaire au mois de juin, le texte repasse devant l'Assemblée nationale ce lundi 18 juillet pour une nouvelle discussion en séance (si le Sénat objecte, l'Assemblée nationale aura le dernier mot). Et à quelques heures du vote, le gouvernement a concocté une surprise de dernière minute, en introduisant un amendement à la hussarde, taillé sur mesure pour les ministères de l'Intérieur et de la Défense.

Comme le précise le projet de loi, « il ne peut être porté atteinte au secret des sources au cours d’une procédure pénale qu’à titre exceptionnel », selon des modalités précises. Dans sa dernière version, le texte prévoyait la possibilité de contourner le secret des sources pour tous les délits prévus par le Titre I du Livre IV du Code Pénal [soit les atteintes aux intérêt fondamentaux de la Nation, NDLR] et punis de dix ans de prison au moins : entretien d'intelligences avec une puissance ou une organisation étrangère, recueil d'information en vue de les livrer à une puissance étrangère, complot, et évidemment, délits terroristes.

Déposé le 15 juillet, au lendemain de l'attentat meurtrier de Nice, l'amendement de l'exécutif ressemble à une concomitance de temps malheureuse. Il montre surtout que le gouvernement veut serrer la vis (ou élargir le spectre, question de perception), estimant qu'il est nécessaire de « fixer à sept ans le seuil d’emprisonnement retenu pour définir la gravité des délits dont la prévention ou la répression est susceptible de justifier une atteinte au secret des sources ». Ce faisant, de nouvelles incriminations permettraient de le violer : divulgation de l’identité d’un agent des services de renseignement, destruction, reproduction ou divulgation d'une information couverte par le secret de la défense nationale, fourniture de fausses informations aux autorités françaises de nature à les induire en erreur et de porter atteinte aux intérêt fondamentaux de la Nation.

Derrière le sabir juridico-parlementaire, cela signifie qu'un journaliste publiant une information classifiée peut légitimement craindre pour la sécurité de sa source. De quoi transformer une avancée législative en recul démocratique, à rebours de l'objectif initial ? « L’extension résultant de l’amendement est limitée », se défend le gouvernement dans son exposé sommaire. Et d'insister, lapidaire : « mais elle est indispensable, notamment dans le contexte actuel ». Les députés présents dans l'hémicycle ce lundi soir vont-ils objecter ?

Sur le même thème

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus