En attendant les JO : à Rio, une appli recense les fusillades

En attendant les JO : à Rio, une appli recense les fusillades

Face à une recrudescence de la violence à Rio de Janeiro, une application répertorie les coups de feu échangés à travers la ville. En sept jours, 265 fusillades ont eu lieu dans la « cidade maravilhosa ».

Par Jean-Mathieu Albertini, journaliste
· Publié le · Mis à jour le
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(De Rio de Janeiro) Le baile funk bat son plein dans la favela de Vila Aliança, dans la zone ouest de Rio de Janeiro. Ce dimanche, Vanderson picole depuis 21 heures avec ces amis. A deux heures du matin, il a besoin de vider sa poche de plastique pleine d’urine et s’éloigne de la foule, faisant rouler son fauteuil à la force de ses bras.

Vanderson est paraplégique depuis que deux bandits lui ont tiré dessus après l’avoir dépouillé. Mais le temps a passé ; cinq ans après, Vanderson veut profiter de la vie avec ses amis.

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Tout à coup, le caveirão, le fourgon blindé de la police, débarque en plein milieu du bal. Des coups de feu sont échangés entre les trafiquants présents sur place et les policiers. Tout le monde se jette à terre, mais Vanderson n’a pas le temps de se mettre à l’abri. Une balle perdue lui rentre dans l’épaule. Il ne résistera pas et décèdera quelques heures plus tard à l’hôpital.

Une carte des coups de feu
Une carte des coups de feu - Fogocruzado.org

Vanderson est une victime de plus des balles perdues. La deuxième en 48 heures à Rio de Janeiro.

En pleine ville, les échanges de tirs nourris, souvent à l’arme lourde, font régulièrement des victimes innocentes. Or ces fusillades sont nombreuses. Dans l’immense et turbulent quartier du complexo do Alemão, dans le nord de la ville, Fernanda, qui y habite depuis toujours, témoigne  :

« Tous les jours il y a des tirs. C’est déjà la deuxième fusillade aujourd’hui. En ce moment, c’est pire que jamais.  »

Cette même semaine, 265 notifications de coups de feu ont été reportées par Fogo Cruzado (« tir croisé »). Lancée le 5 juillet, l’application entend répertorier tous les échanges de tirs de Rio de Janeiro.

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Une appli avec Amnesty International

La journaliste Cecilia Oliveira, qui est à l’origine du projet, est surprise par l’ampleur du problème.

«  Je n’imaginais pas que nous allions en comptabiliser autant. Avant, je tenais les comptes toute seule et j’en comptais deux ou trois par jour maximum. Là ça fait plutôt 10 fois plus.  » 

L’idée lui est venue en cherchant des données sur les balles perdues et les échanges de tirs.

«  Impossible d’en trouver. J’ai donc décidé de les recenser toute seule.  »

Devant l’ampleur de la tâche, elle décide de développer une application avec Amnesty International. Le succès est au rendez-vous : en une semaine, 15 000 personnes l’ont téléchargée.

« Bienvenue en enfer »

Dans certains quartiers, les Cariocas (habitant de Rio) savent qu’ils peuvent être témoins d’une fusillade à n’importe quel moment.

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La violence a toujours été présente à Rio, mais après une longue période d’accalmie, elle fait un retour fracassant à l’approche des Jeux olympiques – qui doivent s’ouvrir le 5 août. En témoigne la banderole « Welcome to hell » (bienvenue en enfer) brandie par des policiers en grève le 27 juin à l’aéroport international.


« Welcome to hell » - reportage BBC - capture d’écran

Ce jour-là, ils protestaient contre des retards dans le paiement des salaires et des conditions de travail déplorables. La crise économique qui touche l’Etat de Rio a entraîné une réduction de 30% du budget alloué à la sécurité publique. Les voitures ne patrouillent plus, les agents doivent rationner l’essence et parfois, acheter la nourriture pour les prisonniers...

« Catastrophe budgétaire »

Face à «  l’état de catastrophe budgétaire  » déclaré par Rio de Janeiro, l’Etat fédéral a libéré 2,9 milliards de reais (81 millions d’euros) pour la sécurité pendant les JO. Mais sur le terrain, la violence ne baisse pas, bien au contraire. 15 guerres de gangs ont lieu dans 21 quartiers de la ville. 

Et puis, avant les Jeux, les opérations policières se multiplient et le nombre de victimes augmente. En mai 2015, la police a tué 16 personnes, en mai 2016, 40. Les agents meurent aussi  : 47 ont perdu la vie depuis le début de l’année.

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Mais Cecilia Oliveira en est sûre :

« Le problème principal n’est pas le manque d’argent, cela vient de la politique de sécurité publique qui est mal pensée, en partie par méconnaissance de la réalité du terrain.  »

Le but premier de Fogo Cruzado n’est pas de prévenir en temps réel les habitants des zones concernées lorsque des tirs sont entendus. Les habitants se débrouillent déjà avec les moyens du bord. Fernanda m’explique  :

« Dès qu’il y a des coups de feu, on se prévient par Whatsapp. Il faut aussi rester attentif aux signaux. Par exemple, si le téléphérique de la favela est à l’arrêt, il y a sûrement des tirs quelque part.  »
 Le tlphrique du complexe d'Alemo  Rio de Janeiro (2014)
Le téléphérique du complexe d’Alemão à Rio de Janeiro (2014) - Mariordo/Wikimedia Commons/CC

Cecilia insiste :

«  Nous ne sommes pas le “ Waze des coups de feu ”, on croise nos données pour pouvoir produire une carte collaborative exploitable chaque semaine. Toutes les fusillades ne font pas de victimes mais toutes ont un impact sur notre vie. »

Les fusillades paralysent les services publics

Les 265 échanges de tirs de la semaine ont fait 24 morts et 20 blessés. Mais même sans victime, la vie quotidienne est perturbée. Fernanda, l’habitante du complexo do Alemão, raconte :

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« Mes enfants n’arrêtent pas de louper les cours. Quand les profs parviennent jusqu’à l’école malgré les fusillades, ce sont les enfants qui ne peuvent pas sortir de la maison.  »

Cecilia reprend :

«  En paralysant les services publics, les fusillades ont un coup social énorme. Il faut que cela cesse. Or sans statistique, impossible de planifier une bonne politique publique. J’espère que les autorités feront bon usage de notre travail parce que pour l’instant, leur politique de répression ne fait qu’empirer les choses. »

En attendant, ce matin-là, les habitants du complexo do Alemão ont une nouvelle fois été réveillés par le son des armes automatiques.

Jean-Mathieu Albertini, journaliste
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