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Sécurité

En Israël, le tout-sécuritaire comme une seconde nature

La menace constante des attentats a poussé le pays à prendre des mesures extrêmes, encourageant la violence et la délation.
par Nissim Behar, (à Tel-Aviv)
publié le 19 juillet 2016 à 20h21

L'attaque de Nice et ses suites bénéficient d'une couverture maximale en Israël. Mais les commentateurs de la presse locale ne comprennent pas comment un tel attentat a pu avoir lieu. «Chez nous, ça n'aurait pas été possible, affirment-ils. Du moins, pas dans cette proportion-là.» Car, depuis la création du pays en 1948 et, surtout, depuis la guerre des Six Jours et l'occupation des Territoires palestiniens (juin 1967), un mantra rythme la vie quotidienne des Israéliens : «bitakhon» (sécurité). Plus qu'une expression, bitakhon est un véritable credo. Une philosophie qui transcende les classes sociales et les opinions politiques sans rencontrer d'opposition majeure.

De Nahariya (frontière libanaise) à Eilat (mer Rouge) en passant par Haïfa, Jérusalem et Tel-Aviv, il n’y a pas un lieu public qui ne soit pas sécurisé. Impossible de pénétrer dans la moindre administration, hôpital, cinéma, centre commercial ou encore supermarché sans subir un contrôle. Parfois, l’établissement se contente de la fouille du sac et d’un examen au magnétomètre, mais, dans certaines gares et centres médicaux, le passage sous un portique magnétique est de rigueur. Même surveillance pointilleuse dans les trains, les tramways et les autobus où des gardes armés - des anciens des unités spéciales de l’armée recrutés par le ministère des Transports - effectuent régulièrement des patrouilles, contrôlent les identités et procèdent à des interpellations si nécessaire.

Snipers sur les toits

Dimanche matin, à Jérusalem, un jeune Palestinien a ainsi été arrêté alors qu’il allait monter à bord d’un tramway avec un engin explosif dans son sac. Lorsque se déroule un événement d’ampleur comparable à celui de Nice, la police, les gardes-frontières (l’équivalent local de la gendarmerie) et la garde civile (des auxiliaires volontaires) sont évidemment sur les dents. Mais pas uniquement, puisque des vigiles privés sont aussi recrutés pour boucler le quartier avec des barrières de police, des blocs de béton ou des véhicules lourds censés empêcher une voiture ou un camion-bélier de foncer dans la foule. Un dispositif de sécurité auquel s’ajoute au moins un hélicoptère, une montgolfière statique truffée de caméras haute définition et, enfin, des snipers sur les toits.

Les vigiles postés à l’entrée des centres commerciaux et des bâtiments publics sont autorisés à ouvrir le feu dès lors qu’ils estiment que la situation est critique, sans que ces interventions armées ne provoquent la moindre récrimination judiciaire. Cette tolérance est également valable pour les 350 000 civils détenteurs d’un permis de port d’armes et qui se promènent dans les rues avec un 9 mm à la ceinture. Un exemple ? Depuis les premiers jours de «l’intifada des couteaux», en octobre 2015, plusieurs «poignardeurs» palestiniens ont été abattus en pleine rue par des civils israéliens. En guise de récompense, la police leur a décerné un diplôme d’excellence.

«Habitués au danger»

«Vu d'Europe, ça fait penser au Far West. Mais il faut comprendre que, à lui seul, l'Etat ne peut pas assurer la sécurité de tout un pays : il a besoin de l'engagement de la population», affirme Doron Avital, ancien commandant d'une unité spéciale de Tsahal (l'armée). Et d'ajouter : «Chez nous, cela se fait de la manière la plus naturelle qui soit, car les gens sont habitués au danger. Ils n'hésitent donc pas à contacter les autorités pour signaler des comportements suspects. Cela ne leur pose aucun problème de conscience. En fait, ils se sentiraient mal s'ils ne l'avaient pas fait.»

Cette seconde nature soupçonneuse s’est développée à partir du début des années 70, lorsque les enfants des classes maternelles ont appris à raisonner en termes sécuritaires. Parmi les nombreux enseignements de l’époque : ne pas accepter de bonbons (susceptibles d’être empoisonnés) ou ne pas ramasser un jouet qu’ils pourraient trouver. Il est vrai que le Front populaire de libération de la Palestine - Commandement général (FPLP-CG), une organisation palestinienne aujourd’hui disparue, laissait traîner sur les trottoirs des peluches truffées de mines chinoises de la taille d’un bouton.

Au fil des ans, cette éducation s'est développée au point que n'importe quel écolier connaît les mesures de sécurité à prendre en cas de bombardement ou d'explosion. «On croit que c'est pesant, mais ce n'est pas le cas car les Israéliens ont les pieds sur terre, ils savent dans quelle région ils vivent. D'ailleurs, à chaque fois qu'un attentat se produit chez nous, ils exigent davantage de mesures de sécurité, rappelle le chroniqueur radio israélien Razi Barkaï. Souvent, c'est lorsqu'ils voyagent à l'étranger que mes compatriotes ne se sentent pas à l'aise. Lorsqu'ils se rendent compte qu'à Paris, à Barcelone ou ailleurs, n'importe qui peut pénétrer dans une grande surface sans être fouillé ou dans une gare avec un colis susceptible de cacher une bombe. Ils se disent alors que les mesures prises dans leur pays sont lourdes mais qu'elles en valent la peine.»

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