TRAVAIL - Clap de fin. Ce 20 juillet marque, avec le troisième 49-3 annoncé par Manuel Valls, la fin du débat sur la loi Travail à l'Assemblée nationale. Cette date marque la fin de plus 120 jours de luttes syndicales et politiques pour faire capoter ce projet phare de la fin du mandat de François Hollande.
Si elle restera sans aucun doute comme l'un des pires souvenirs de la gauche durant ce quinquennat, cette loi est devenue à peu près illisible tant elle a été maniée et remaniée pour déplaire le moins possible.
Concessions en mars, revirements sur les TPE-PME, innombrables amendements... Le gouvernement a réussi contre toute probabilité à préserver le "cœur du réacteur nucléaire", l'article 2 qui porte sur l'inversion des normes de la négociation collective, où les accords d'entreprises prendront désormais le pas sur ceux de branches.
En clair, la loi El Khomri a réussi à préserver l'essentiel, quitte à sacrifier les apparences. Cette ténacité dans la durée a eu raison des mouvements Nuit Debout et autres manifestations syndicales.
Pour clore ce chapitre législatif, voici le résumé du contenu définitif de la loi Travail... et de ce que le gouvernement a lâché, malgré le recours au 49-3.
- ...sur le temps de travail
La durée légale du travail reste de 35 heures. Pour la modifier, le texte permet que l'accord d'entreprise prime dans la plupart des cas sur l'accord de branche, comme prévu dès le début.
La durée maximale quotidienne de travail (10 heures) peut être portée à 12 heures maximum, en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l'organisation de l’entreprise. Il est possible de porter la moyenne hebdomadaire de travail à 46 heures, au lieu de 44, sur 12 semaines.
L'accord d'entreprise fixera le taux de majoration des heures supplémentaires qui ne pourra être inférieur à 10%, au lieu des 25% généralement pratiqués par les branches.
- ...sur le référendum d'entreprise
Un accord d'entreprise devra être "majoritaire" (signé par des syndicats représentant plus de 50% des salariés). Faute de majorité, les syndicats minoritaires (représentant plus de 30%) pourront demander un référendum interne pour le valider.
- ... sur les accords "offensifs"
Le projet de loi permet aux entreprises d'ajuster leur organisation pour "préserver ou développer l'emploi". L'accord majoritaire signé primera sur le contrat de travail, y compris en matière de rémunération et durée du travail. La rémunération mensuelle du salarié ne pourra être diminuée, mais des primes par exemple pourront être supprimées.
Les salariés refusant de tels accords feront l'objet d'un licenciement individuel pour motif économique. Ces salariés bénéficieront d'un "parcours d’accompagnement personnalisé", assuré par Pôle Emploi et financé pour l'essentiel par l'Etat.
- ... sur le licenciement économique
Les critères des licenciements économiques sont précisés et différenciés selon la taille des entreprises. Il sera possible en cas de "baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires", en comparaison avec la même période de l’année précédente.
Il faudra que cette baisse soit d'au moins un trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés, deux trimestres consécutifs pour une entreprise de 11 à moins de 50 salariés, trois trimestres pour une entreprise de 50 à moins de 300 salariés, quatre trimestres pour une entreprise de 300 salariés et plus.
- ... sur les PME-TPE
Création d'un "service public territorial de l’accès au droit" pour aider notamment les entreprises de moins de 300 salariés. Une entreprise ayant suivi les procédures prescrites par l'administration pourra attester de sa bonne foi.
Les branches pourront négocier des accords-types applicables unilatéralement par les employeurs d'entreprises de moins de 50 salariés.
Dans les entreprises sans représentation syndicale, les employeurs pourront négocier avec des salariés mandatés par un syndicat sur tout sujet pouvant faire l'objet d'un accord.
- ...sur les accords de branches professionnelles
Les branches dresseront chaque année un bilan des accords d'entreprise et pourront formuler des "recommandations", veillant notamment aux conditions de concurrence intra branche.
Chaque branche devra engager une négociation dans les deux ans pour définir les thèmes sur lesquels les accords d'entreprise ne pourront pas être moins favorables que les accords de branche (sauf quand la loi prévoit la primauté de l'accord d'entreprise).
Pour l'égalité professionnelle entre femmes et hommes ainsi que pénibilité, l'entreprise ne pourra pas faire moins bien que la branche.
- ... sur le Compte personnel d'activité
Présenté comme une grande réforme sociale du quinquennat, le CPA regroupera, à partir de 2017, le compte personnel de formation (CPF), le compte pénibilité (C3P) et un nouveau "compte d'engagement citoyen". Il sera ouvert aux retraités.
Le plafond du CPF monte de 150 à 400 heures pour les salariés sans diplôme. Une concertation sera engagée avec les partenaires sociaux avant octobre 2016 sur d'autres dispositifs pouvant y être intégrés.
- sur la Garantie jeunes
Pour les jeunes ni en emploi, ni en étude, ni en formation, généralisation dès 2017 du "droit" à la garantie jeunes, sous condition de ressources: accompagnement renforcé vers l'emploi et allocation mensuelle de 461 euros, pendant un an.
Pour les moins de 28 ans diplômés depuis moins de trois mois, création d'une aide à la recherche du premier emploi, accordée pour une durée de quatre mois.
- ... sur les congés
Le congé exceptionnel d'un salarié en cas de décès d'un enfant sera porté de deux à cinq jours, celui pour la mort des parents et beaux-parents, d'un frère ou d'une sœur, passera d'un à deux jours.
La période d’interdiction du licenciement pour les mères revenant de congé maternité sera allongée de 4 à 10 semaines.
A partir du transfert de la loi au Conseil d'Etat, tout s'est emballé. Le texte provisoire s'est retrouvé le 18 février dans la presse. L'essentiel a été négocié avec les partenaires sociaux, mais des dispositions ont surpris. Le texte devait être présenté en Conseil des ministres le 9 mars, ce sera finalement une journée de manifestation qui débouchera sur plusieurs concessions.
- ... sur le plafonnement des indemnités prud'homales
Evoqué par le Premier ministre à la remise du rapport Badinter en janvier, il figure bien dans le pré-projet de loi. Trois mois de salaire pour un salarié dont l'ancienneté est inférieure à deux ans, six mois entre deux et cinq ans, neuf mois entre cinq et dix ans. Le maximum est de 15 mois pour une ancienneté de plus de 20 ans.
Un déni de justice scandaleux pour les syndicats. Le gouvernement cède, les barèmes seront seulement indicatifs.
- ... sur la simplification du licenciement économique
Alors qu'il appartient aujourd'hui au juge de définir un licenciement économique, le projet de loi établit des critères plus objectifs. En cas de baisse des ventes ou des commandes sur un temps donné, l'employeur pourra se séparer de salariés. Quant aux filiales de groupes internationaux, elles n'auront plus à justifier des difficultés globale, mais seulement de la filiale française.
Après le 9 mars, dans ce dernier cas, le gouvernement a accepté des pouvoirs d'investigation comptable accrus pour les juges. Une nouveauté conçue pour débusquer les groupes qui organiseraient les difficultés d'une filiale, à l'aide de jeux comptables entre pays. Insuffisant pour les frondeurs. Le 10 mai, le gouvernement a purement et simplement abadonné l'idée.
- ... sur la taxation des CDD
Evoquée après les manifestations du mois de mars, la surtaxation des CDD pour encourager les embauches en CDI est abandonnée, au grand soulagement des syndicats patronaux. Envisagée via un amendement gouvernemental, la question est renvoyée aux partenaires sociaux dans le cadre des négociations sur l'assurance chômage.
- Quant à la cure d'amaigrissement du Code du travail...
Elle a à peu près disparu des discussions depuis fin 2015. Une commission a été chargée de proposer au gouvernement d'ici deux ans une refondation du Code du travail. Le Haut Conseil du dialogue social y sera associé. Bref, on n'est pas près d'en entendre parler à nouveau.
La réforme du code du travail est le fruit d'une longue réflexion en amont. Il y a eu le rapport de Jean-Denis Combrexel le 9 septembre 2015, puis le rapport Badinter le 25 janvier 2016. Fin 2015, deux grandes lignes font consensus.
- Une sévère cure d'amaigrissement du Code du travail
Il y a tout simplement trop d'articles! "Quand éclate la vraie première grande crise, celle de 74, nous avions un code du travail d'environ 800 articles. Aujourd'hui, nous avons atteint plus de 8000 articles", a dénoncé Robert Badinter en mai 2015, sur France Inter. A droite, Bruno Le Maire ne dit pas autre chose aux Echos. Il veut le faire passer de 3700 à 150 pages.
- Moins de lois, plus de négociations en entreprise
Si l'accumulation des réformes et contre-réformettes nuit à l'emploi, autant retirer les clés à l'Assemblée nationale. Pour obtenir un droit du travail plus adapté aux besoins du terrain, l'Institut Montaigne préconise de "recentrer la négociation sociale autour de l'entreprise". Une idée pas toute neuve reprise par le rapport Combrexel.
L'exemple du référendum sur le dépassement des 35 heures au sein de l'usine Smart de Hambach devient le symbole de cette nouvelle liberté dont les entreprises auraient besoin.