Un an après : les migrants sont toujours coincés à Vintimille
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Un an après : les migrants sont toujours coincés à Vintimille

Depuis juin 2015, des milliers de migrants se sont retrouvés bloqués à Vintimille. Sans l’aide des bénévoles de la région, la situation déjà critique pourrait devenir tragique.
Pierre Longeray
Paris, FR

« Bonjour. Police aux frontières, passeport ou carte d'identité s'il-vous-plait. » Sur le quai de la gare de Vintimille, en Italie, un policier français en chemisette bleu ciel accueille les touristes et les locaux qui veulent monter dans le TER qui traverse la frontière et relie Nice, en France. Ceux qui n'ont pas de papiers d'identité sont invités à quitter le quai et à rester en Italie.

Bien que située à l'intérieur de l'espace Schengen, la frontière franco-italienne est fermée depuis juin 2015 et les contrôles ont été encore renforcés suite aux attentats de novembre 2015 à Paris et Saint-Denis. La frontière avait une chance de s'ouvrir à nouveau le 27 juillet prochain, date prévue de la fin de l'état d'urgence en France. Mais suite à l'attentat de Nice, le 14 juillet dernier, l'état d'urgence devrait être prolongéjusqu'au début de l'année 2017 et la frontière devrait rester close.

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Depuis plus d'un an, des milliers de migrants qui souhaitent demander l'asile en France ou rejoindre Calais pour rallier l'Angleterre ont échoué à Vintimille, dans divers camps de fortune. Certains ont réussi à passer en France par divers moyens, d'autres ont fait demi-tour ou ont été transférés dans des camps disséminés sur le territoire italien.

À lire : Coincés à Vintimille : Avant Calais, il faut atteindre Nice

En mai dernier, le camp géré par la Croix-Rouge, qui accueillait la plupart des migrants à deux pas de la gare de Vintimille, était presque vide. La plupart des migrants ne souhaitaient plus y aller parce qu'il fallait déposer ses empreintes — donc être enregistré en Italie, empêchant toute demande d'asile ultérieure dans un autre pays de l'Union européenne. Le ministre de l'Intérieur italien, Angelino Alfano, avait alors décidé de le fermer.

Près de 300 migrants se sont alors installés le long de la Roya, la rivière qui coupe la ville de Vintimille, où ils vivaient dans des conditions sanitaires déplorables — certains ayant contracté la gale selon certains associatifs. Le 30 mai, l'évêque de Vintimille, Mgr Suetta, a alors décidé d'ouvrir l'église Sant'Antonio aux migrants coincés dans la petite ville italienne.

La façade de l'église Sant'Antonio.

« Au début, il y avait environ 200 personnes installées dans la cour de l'église. Aujourd'hui on approche les 1 000 personnes et la situation devient vraiment limite, » explique Dino, un des responsables de Caritas, une association chrétienne qui gère le camp de l'église de Sant'Antonio. « En tout, on a eu environ 5 000 personnes qui sont passées au camp — il y en a donc 4 000 qui ont réussi à passer en France ou qui ont rebroussé chemin. »

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Caritas, épaulée par des associations musulmanes et laïques de la région, distribue des repas et des vêtements aux migrants installés dans la cour de l'église et sur les rives de la Roya, qui coule devant la petite église Sant'Antonio. À part quelques douches et toilettes, le confort est plus que sommaire. La plupart des migrants dorment à même le sol, les plus chanceux ont réussi à récupérer une tente.

« La nuit dernière j'ai essayé de passer par la montagne, » dit Anas, un jeune Soudanais, en pointant la colline verdoyante qui fait face à l'église. « C'était vraiment dur, on a marché pendant bien 8 heures dans le noir complet. Mais en arrivant du côté français on a été dénoncé par des gens et la police nous a ramenés en Italie, » explique d'une voix de celui qui en a vu d'autres le jeune homme de 17 ans qui rêve de devenir journaliste pour la BBC.

Dans la cour de l'église Sant'Antonio.

La plupart des migrants stationnés à Vintimille sont majoritairement originaires du Soudan ou d'Érythrée, mais on y croise aussi des ressortissants du Pakistan ou même d'Algérie. Pour faire fonctionner le camp, les migrants sont nombreux à donner des coups de main aux bénévoles. Parmi eux, il y a Nour, un ancien policier soudanais qui gère la cuisine d'une main de fer, mais aussi Adil, un ingénieur informaticien soudanais de 19 ans qui s'occupe d'enregistrer sur un ordinateur l'identité de tous ceux qui viennent manger au camp.

Passage par la Libye

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Après avoir travaillé au Soudan et en Égypte, Adil a décidé il y a 3 mois de partir en Europe et de rejoindre son oncle qui habite en Angleterre. « Je veux juste qu'on nous donne une chance. Si vous [les Européens] estimez que l'on ne fait pas l'affaire, vous pourrez nous renvoyer chez nous. On demande simplement une chance — pour prouver notre valeur. »

Comme la plupart des migrants présents à Vintimille, Adil est passé par la Libye d'où il a embarqué sur un petit canot gonflable, en direction de l'Italie.

« Les passeurs libyens nous ont dit "Montez sur ces canots, on va rejoindre un grand bateau qui va en Italie," » raconte Adil, les yeux rivés sur un clip de musique égyptienne qu'il a lancé sur l'ordinateur de l'association. « Après quelques minutes de bateau, on est arrivés devant une embarcation à peine plus grande et déjà bondée, » poursuit-il. « Puis les passeurs nous ont retiré nos gilets de sauvetage. Certains ont alors demandé à retourner à terre, ce à quoi les passeurs ont répondu "Soit vous montez sur le bateau, soit on vous met une balle dans la tête." Tout le monde est monté sur le bateau. »

Du haut de ses 17 ans, Mohamed a lui aussi emprunté la route libyenne pour rejoindre l'Europe depuis son Tchad natal. Il pensait avoir fait le plus dur en traversant la Méditerranée. « Hier soir, j'ai essayé de passer par la montagne pour rentrer en France, mais ça n'a pas marché. Je vais me poser quelques jours avant de recommencer, c'était vraiment dur physiquement, » explique-t-il en regardant du coin de l'oeil des chèvres qui viennent s'abreuver dans la Roya.

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Pour rentrer en France, la plupart des migrants tentent de passer par la montagne, puisque c'est impossible par le train, où les contrôles sont fréquents en gare de Vintimille et permanents dans la gare de Menton-Garavan — la première gare française après la frontière. Pour ceux qui ont encore un peu d'argent, il est possible de payer des passeurs qui les conduisent en France moyennant une centaine d'euros.

Alors que l'heure du dîner approche au camp de Sant'Antonio plusieurs voitures arrivent avec de la nourriture, des légumes et des vêtements. Les vivres ont été apportés par des Français originaires de la vallée de la Roya, où plusieurs villages sont perchés de part et d'autre de la frontière.

« Est-ce que tu as de la place ce soir ? J'en prends déjà cinq, » lance au téléphone une habitante de la vallée qui vient plusieurs soirs par semaine apporter son aide aux migrants du camp de l'église Sant'Antonio.

Depuis plusieurs mois, cette habitante de la vallée (qui tient à rester anonyme) et une vingtaine d'autres personnes font passer illégalement en voiture — bénévolement — les migrants qui le souhaitent. D'autres personnes aident les migrants qu'ils croisent dans la vallée, en leur donnant à manger. Certains les hébergent chez eux pendant quelques jours, le temps qu'ils reprennent des forces, avant de repartir vers Paris, Calais ou encore l'Allemagne.

« On se fait appeler les passeurs-citoyens. Pour moi je ne fais que mon devoir humanitaire en aidant ces gens — peu importent les conséquences judiciaires, » lâche cette habitante de la vallée. « Nous voulons que cela se sache, que les autorités sachent que des Français font cela pour aider des migrants qu'on abandonne, » dit cette dame. Ce soir, elle embarquera encore plusieurs migrants vers la France.

Pour ceux que les habitants de la vallée ne pourront pas faire passer, l'avenir à Vintimille risque de s'obscurcir encore un peu. Un nouveau camp de conteneurs géré par la Croix-Rouge a ouvert la semaine dernière à quelques kilomètres au nord dans la vallée de la Roya. À ce jour, il peut accueillir une centaine de personnes et sa capacité devrait passer au maximum à 380 personnes.

Caritas va alors progressivement arrêter son action à l'église de Sant'Antonio. Ce mercredi 20 juillet, il n'y a plus que les familles dans l'église. Reste désormais à savoir ce qu'il va arriver à tous les migrants que le camp de la Croix-Rouge ne pourra pas accueillir. Leur situation risque de devenir très rapidement critique.

Toutes les photos sont de l'auteur.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray