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Médecins sans frontières (MSF) cultural mediator Amani Teklehaimanot giving instructions to migrants and refugees in a rubber boat during a rescue procedure by the SOS Mediterranee SAR (Search and Rescue) team
Anna Psaroudakis pour M Le magazine du Monde

Un réfugié au secours des migrants en Méditerranée

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Publié le 22 juillet 2016 à 12h21, modifié le 28 juillet 2016 à 10h58

Temps de Lecture 3 min.

Chaque fois qu’Amani Teklehaimanot se retrouve face à un canot de migrants, au large de la Libye, le présent et le passé se superposent dans sa tête. Il se revoit ballotté par les vagues, incertain ; il se souvient de cette peur de ne jamais pouvoir poser un pied en Europe.

Il y a quatorze ans, c’est lui qui flottait au milieu de la Méditerranée sur un esquif de fortune. Cet effroi, qu’il lit aujourd’hui dans les yeux des Africains entassés dans des canots pneumatiques, il l’a connu dix jours durant en 2002.

L’accueil d’une rescapée sur le bateau de SOS Méditerranée.

Mais le temps a passé, la roue a tourné et voilà qu’il est maintenant la première voix à s’adresser à eux en Europe en venant les sauver de la noyade. « J’apprécie énormément d’être là, de pouvoir les aider, même si, avant chaque sauvetage, je dois faire l’effort de refouler mes souvenirs », insiste le médiateur culturel de Médecins sans frontières (MSF) sur l’Aquarius.

Ce navire, affrété par l’association SOS Méditerranée, sillonne la mer depuis 2015 à la limite des eaux territoriales libyennes, grâce à l’argent de donateurs privés. Il a déjà porté assistance à plus de 4 000 migrants arrivés dans des embarcations précaires depuis les plages de Tripoli.

En colère

Amani Teklehaimanot a pour mission de rassurer les passagers de canots pneumatiques. Il doit leur délivrer le double message qu’ils ont bien affaire à des humanitaires – et non à des gardes-côtes libyens – et qu’ils doivent rester calmes, ne pas bouger, ne pas se lever (pour ne pas déstabiliser leur embarcation). L’anglais, l’arabe du Soudan, mais aussi le tigrigna – la langue majoritaire de l’Erythrée – sont ses outils de communication ; son expérience vécue, une pratique inestimable pour trouver les mots justes et aider les sauveteurs.

Britannique d’adoption, l’homme est né en 1980 à Asmara, la capitale de l’Erythrée. En 2001, il doit choisir entre la prison et la fuite pour avoir participé à une manifestation d’étudiants. L’odyssée que vivent les migrants et les réfugiés sur ce continent a été la sienne.

Il a connu la longue traversée du continent, d’abord ; les galères en Libye ensuite, puis l’embarquement sur un rafiot de fortune en direction de l’Italie. « Nous étions 182 passagers sur un petit bateau de pêcheurs où les passeurs n’hésiteraient pas aujourd’hui à en entasser 500. Et puis on avait des instruments de navigation et des vivres », poursuit celui qui, une nuit, a fini par accoster sur une plage du sud de l’Italie.

« S’il fallait le refaire, même dans les conditions d’aujourd’hui, je le referais », Amani Teklehaimanot

« Chaque fois que je suis face à un canot, ces différences me sautent aux yeux. En même temps, je me dis que s’il fallait le refaire, même dans les conditions d’aujourd’hui, je le referais », insiste l’humanitaire, en colère à force d’observer que, depuis vingt ans, rien n’est vraiment pensé par l’Europe pour limiter les morts en Méditerranée. Ils sont déjà plus de 10 000 à y avoir péri entre janvier 2014 et juillet 2016.

Aujourd’hui, l’homme se dit « fier de sa culture érythréenne et reconnaissant envers le Royaume-Uni qui [lui] a donné une seconde vie ». Durant les trois ans et huit mois d’attente de son titre de réfugié, l’ex-étudiant en mathématiques, qui va bientôt terminer un master en biochimie, a exercé un peu tous les métiers.

C’est avec l’argent de ses premiers emplois à Rome qu’il s’est offert des faux papiers italiens lui permettant de voler jusqu’à Londres, sa destination finale, langue oblige. Là, il détruit sa fausse carte d’identité dans les toilettes de l’aéroport d’Heathrow et demande l’asile en tant qu’Erythréen.

Un périple vers une nouvelle vie

La vie d’Amani aurait pu se cantonner à Manchester et à ses environs, où il est hébergé durant sa demande d’asile. Mais apprenant qu’Amanuel, une amie d’enfance, érythréenne, s’est installée en Suède, il lui rend visite. S’ensuivent une histoire d’amour et la naissance de trois garçons suédois, aujourd’hui âgés de 9, 7 et près de 2 ans.

Le médiateur culturel de Médecins sans frontières au sein d’un groupe d’Erythréens secourus par l’« Aquarius ».

Entre deux missions pour MSF, Amani vit désormais en Suède, où son épouse vient d’obtenir la citoyenneté. « C’est là-bas que je reprends l’université en septembre », précise celui qui, l’hiver, étudie et, l’été, partage son expérience avec ceux qui, quatorze ans après lui, vivent la même histoire.

Amani aime ce contact avec ses ex-compatriotes et les autres Africains, du Soudan, de Guinée, de Gambie, du Sénégal ou d’ailleurs. Avant MSF, il a travaillé pendant des années comme interprète pour les services sociaux et l’immigration britanniques, après avoir connu l’univers des usines, des restaurants ou celui de la vente de journaux.

Sur l’Aquarius, il passe beaucoup de temps sur les ponts, très entouré. Pour les migrants tout juste sauvés, il est un modèle, l’exemple à suivre et la preuve vivante qu’un avenir est possible. Même si, comme lui, les nouveaux venus doivent commencer par forcer les portes de l’Europe pour y entrer.

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