Face au pessimisme ambiant, ils agissent, font bouger la société à petite ou grande échelle.
Le Monde est allé à leur rencontre.

  • Domdom,

    les films de la « jungle »

Ex-informaticien pour Eurotunnel aujourd’hui à la retraite, Domdom a mis en place mille petites choses pour adoucir la vie des migrants échoués dans la « jungle » de Calais.

« Nous sommes un », dit ce couple indissociable, connu dans la « jungle » comme « Domdom et Nana ». S’y rendre en leur compagnie, c’est croiser des hommes, des femmes et des enfants, un sourire aux lèvres – « pourquoi on ne te voyait plus Nana ? », « Domdom, on danse ? » –, venus faire un plein d’humanité au contact des gestes et des paroles de réconfort, de la joie que Dominique et Nadine ont de les retrouver. « On avait toujours dit “on va partir dans le monde”, c’est le monde qui est venu chez nous. »

Dominique a été informaticien chez Eurotunnel pendant vingt-cinq ans. Vingt-cinq années pendant lesquelles il a travaillé pour la société qui gère un des points de passage stratégiques vers l’Angleterre pour les migrants massés à Calais. Mais à ce moment de son existence, Dominique ne se sentait pas concerné. « Je travaillais, lance-t-il dans un sourire. On ne connaissait pas, on pensait que ça roulait. » Lorsqu’il était encore en activité, jusqu’en 2011, 200 à 300 migrants seulement se répartissaient dans de petits camps essaimés çà et là dans la ville.

« Que fait la France ? »

Tout change en 2014, avec l’afflux de plus d’un millier de migrants au printemps, et plus de temps disponible pour le récent retraité. Sa femme, Nadine, artiste graphiste, commence en juin à être bénévole pour Médecins du monde (MDM), qui n’avait pas encore d’antenne fixe à Calais. « Ce n’est pas possible. Qu’est-ce qui se passe ? Que fait la France pour ces gens-là ? »,interroge-t-elle. Elle prévient son mari que MDM recherche un chauffeur pour des tournées de douches effectuées en camping-car deux jours par semaine sur trois sites. « Au départ, je l’ai fait pour l’ONG », explique Dominique.

C’est la demande d’une infirmière, à la fin d’octobre, d’accueillir un Erythréen d’une cinquantaine d’années pris dans une bagarre et qui se retrouve avec la mâchoire fracturée, qui déclenche chez Dominique l’envie de s’engager auprès des migrants. « Il fallait lui préparer de la nourriture liquide. » Ti, un de ses amis musiciens qui vient faire l’interprète, demande alors à Dominique et Nadine de trouver un moyen pour leur permettre d’écouter leur musique, stockée dans leurs téléphones, dans les camps de Tioxide et du bois Dubrulle, tous deux fermés aujourd’hui, et qui n’avaient ni eau ni électricité.

« C’était la joie »

L’idée lancée, Dominique s’en empare et entre en action. « Quand j’ai commencé avec MDM, il faisait beau. A partir d’octobre, avec la pluie et le froid, quand on voyait les conditions de vie, la boue, c’était terrible », dit-il, la voix toujours voilée d’indignation. Il débute avec un générateur qu’il a bricolé pour apporter l’électricité et « une vieille chaîne hi-fi récupérée à la cave », afin que les réfugiés puissent « faire leur musique » et « oublier la merde dans laquelle ils sont ». Quatre jours par semaine, « c’était la joie ». Quand Dominique s’aperçoit que le « besoin vital est celui de recharger les téléphones et de communiquer », il connecte au générateur une centaine de prises électriques fournies par l’association l’Auberge des migrants.

A la fin de décembre, un journaliste rencontré dans un des camps l’interroge sur la possibilité de fournir un accès Internet aux migrants. Encore une idée que Dominique, pour qui faire est une vertu cardinale, décide de concrétiser. Il s’y attelle aussitôt, dénichant de petits routeurs Wi-Fi adéquats. Il monte dès janvier un financement participatif sur la plate-forme Ulule, pour l’achat des routeurs et d’un deuxième groupe électrogène, et couvrir les frais de fonctionnement (essence, abonnement Free, etc.). Le projet est relayé par le journaliste Jean-Marc Manach sur arretsurimages.net et dans un reportage de « L’Autre JT » sur France 4 ; ce qui dope les dons. Il se souvient avec émotion du moment où les murs Facebook se sont allumés dans la « jungle », reliant les exilés à leurs proches. « C’est parce que tu es informaticien que ça t’a particulièrement ému », glisse malicieusement Nadine.

« Salle comble »

En juillet 2015, Dominique hérite d’un vidéoprojecteur auprès d’une association chrétienne, qui lui demande de diffuser la « parole ». Il refuse, estimant que la « jungle » est « un lieu laïque ». Mais il va trouver un autre office pour le précieux cadeau… Il l’installe au camp Jules-Ferry qui accueille les femmes et les enfants, et se mue en projectionniste. Son premier film, la diffusion de Schreck en arabe, fait « salle comble ». « Tous les enfants voulaient être maquillés en vert », sourit Nadine. Depuis, il organise chaque jour de la semaine ou presque des séances de cinéma pour les quelque 4 600 personnes, selon la préfecture du Pas-de-Calais, plus de 6 000, selon les associations, qui vivent dans le plus vaste bidonville d’Europe. Indiana Jones ou la série des Star Wars ont offert un court moment de répit aux réfugiés.

Mettre en œuvre des activités que les associations présentes auprès des migrants n’offrent pas, afin de leur apporter « de la détente », « leur faire du bien », est le credo du couple. Pourquoi ? « Bah, parce qu’on est chrétiens ! » « Quand le Front national s’insurge “et nos SDF français qu’est-ce que vous en faites ?”, eh bien, la même chose ! », s’amuse Dominique. « En 2003, un jeune SDF cherchait à s’abriter en face de la maison. Il est arrivé plusieurs fois qu’on l’invite à venir partager la soupe ou un repas à Noël. » Mais il ne parle pas de ce qu’il fait si on ne le questionne pas, il préfère de loin « l’amour [du prochain] en action ». Car à quoi bon continuer de disserter sur ce qui pour lui relève de l’évidence : agir.

La troisième édition du Monde Festival se tient à Paris du 16 au 19 septembre 2016 sur le thème « Agir ». Retrouvez le programme du Monde Festival et envoyez-nous vos idées de portraits et d'initiatives à agir@lemonde.fr.

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