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Libération
2017

Les dépités de l’Assemblée

A moins d’un an des législatives, de nombreux députés envisagent de ne pas se représenter. Par lassitude de la politique nationale, par déception ou parce qu’ils sont cumulards.
par Christophe Forcari
publié le 24 juillet 2016 à 19h31

Pour un grand nombre de députés, la session extraordinaire du Parlement qui s’est achevée jeudi était leur dernière. S’il leur reste près d’un an de mandat en session ordinaire, aux prochaines élections législatives, en juin, près de la moitié d’entre eux vont devoir choisir entre leur poste de député et leur ancrage local : maire d’une grande ville, président de conseil régional ou de conseil départemental. De quoi faire entrer un grand souffle d’air frais dans l’hémicycle en 2017. Un renouvellement sans précédent précipité par la loi sur le non-cumul des mandats. Mais pas seulement.

Pour de nombreux parlementaires, c'est l'heure du bilan avec cette fin de législature qui approche. Beaucoup accusent le coup. Particulièrement à gauche. «Certains invoqueront l'âge pour ne pas briguer un nouveau mandat. L'argument est sincère pour une partie d'entre nous», commente un député socialiste. C'est le cas notamment de Guy Delcourt, 69 ans, député (PS) du Pas-de-Calais. «Ce n'est une surprise pour personne. Je fais partie de cette génération qui s'est toujours battue pour une limitation de l'âge des élus. Donc je me l'applique à moi-même. Je l'ai fait savoir et j'ai préparé ma succession», explique l'élu, qui aura accompli deux mandats.

L'argument de l'âge est d'ailleurs aussi invoqué par certains à droite. «A 74 ans, vous ne croyez pas qu'il faut savoir passer la main ?» interroge le centriste Michel Piron (UDI, Maine-et-Loire), qui se retire après quinze années passées sur les bancs de l'Assemblée nationale.

«Je ne vois pas trop ce que j’aurais à défendre»

Mais à gauche le prétexte de l'âge a souvent bon dos. Le malaise est profond. A l'image du mandat de François Hollande. Et la déception s'est encore accrue en «cette fin de quinquennat», analyse un député PS qui, lui, se représente sans état d'âme. «Il y a l'impression que le Parlement n'a plus le rôle qu'il devrait avoir. Et le passage en force de la loi travail avec le 49.3 a été un peu la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.» Au sein du groupe socialiste, ils sont au moins une quarantaine à ne pas repartir en campagne. «Bien sûr qu'ils ne le disent pas tous ! Vous avez envie, vous, de régler les querelles de succession alors que vous êtes encore vivant ?» confie un député PS qui se tâte encore avant de faire connaître quel mandat il va lâcher.

Certains n'ont pas envie de se représenter de crainte d'essuyer une défaite cinglante. «De toute façon, je ne vois pas trop ce que j'aurais à défendre devant mes électeurs», observe un vétéran du groupe socialiste. A cela s'ajoute la désolation de voir dans quel état se trouve aujourd'hui «la vieille maison». A l'instar de la députée du Puy-de-Dôme Odile Saugues, qui avoue «quitter tristement l'Assemblée après avoir vu pour la première fois un gouvernement désavoué par sa majorité. Je suis dégoûtée par la tournure que prend cette fin de mandat. Je ne me reconnais plus dans un groupe agité de tant de tensions». Non pas à cause de l'action du gouvernement, mais bien pour l'ambiance délétère qui règne parmi les socialistes. A 74 ans, après cinquante-six années de travail dont trente-six passées sur les chaînes de l'usine Michelin et vingt ans de députation, Odile Saugues prend sa retraite, triste de voir ce que son parti est devenu.

«Potiches»

Elu en 2012, le député PS du Gard Patrice Prat ne cache pas non plus son désappointement. Au point de se demander s'il n'a pas fait le mauvais choix en renonçant, il y a quatre ans, à ses mandats locaux pour privilégier celui de parlementaire. Pour lui, le verdict est sans appel. L'Assemblée travaille mal et de manière superficielle, «et les députés sont des potiches qui ne servent pas à grand-chose». Il en veut pour preuve, lui aussi, l'utilisation répétée «du 49.3 sur la loi travail, qui n'était pas utile à ce stade de la discussion». Prat hésite encore à briguer un nouveau mandat. Sinon, il réactivera son activité de conseil dans la vie civile. «Je suis à chaque fois un peu plus étonné du fossé entre le citoyen et la classe politique, et encore plus entre la poignée de dirigeants et le reste du pays», médite-t-il . Ce proche de Montebourg attend la présidentielle pour prendre sa décision. «Il faut absolument que l'on change les choses. Je renouvellerai l'expérience si je sens une volonté de changer les choses.» Mais il ne cache pas son scepticisme.

Siéger au palais-Bourbon n’est plus synonyme de réussite

Et si le mandat de député avec son écharpe, sa cocarde et le prestige qui y était jusqu'à présent associé avait perdu de son lustre ? Siéger à l'Assemblée n'apparaît plus aux yeux de bon nombre d'élus comme le couronnement d'une carrière politique initiée à l'échelon local. Au point que deux jeunes représentants de la nation élus pour la première fois en 2012 envisagent très sérieusement de ne pas se représenter. Pour des raisons différentes, mais qui traduisent chacune à leur manière un certain désintérêt à l'égard du Palais-Bourbon. Emeric Brehier et Patrice Prat, tous deux socialistes, ont gagné leurs fauteuils de député lors des dernières législatives, portés par la vague rose. Pour Brehier, député socialiste de Seine-et-Marne, la décision est prise et bien arrêtée. Il ne se représentera pas. «Un choix de vie personnel, argue-t-il en toute sincérité. Je veux juste plus de temps pour moi, afin de faire autre chose et pour en consacrer à mes enfants et à ma vie privée.» Fermez le ban.

Strauss-khanien dès ses 20 printemps, il passe la main et tire un trait sur une carrière politique naissante «ni par insatisfaction ni par désillusion ou déception. On peut critiquer les méthodes du travail parlementaire, mais pas le fond. J'ai pris mon pied en tant que député mais je fais aujourd'hui un autre choix de vie». Pas de regrets pour ce quadra qui ne considère plus la fonction comme «l'aboutissement d'une vie sociale» contrairement à ses aînés qui faisaient carrière en politique «accrochés à leurs mandats pour conserver une sociabilité et la reconnaissance de leurs mandants».

Les députés ont moins de pouvoir

Député centriste de la Côte-d'Or et candidat malheureux à la présidence de la région Bourgogne-Franche-Comté, François Sauvadet a tranché. Il abandonne la cocarde tricolore d'élu de la nation pour son fauteuil de président du département de Côte-d'Or. «Parce que depuis la défaite, en 2012, de Nicolas Sarkozy, j'ai toujours dit que la reconquête du pouvoir au niveau national passait par celle des territoires. Et je pense qu'aujourd'hui, c'est à ce niveau que l'on impose un rythme, que l'on impulse les choses et que l'on voit leur concrétisation.»

Une page tournée sans regrets pour Sauvadet tant il considère que l'Assemblée nationale a perdu de son prestige. «Le quinquennat a profondément modifié les relations entre la majorité et le Président», souligne l'élu, qui aura passé tout de même vingt-quatre ans au Palais-Bourbon. «Désormais, les débats n'ont plus lieu qu'au sein de la majorité. La pratique de François Hollande a contribué encore un peu plus à affaiblir le rôle du Parlement. Et celui de l'opposition se réduit au seul témoignage. C'est devenu trop souvent : "Circulez, il n'y a rien à voir"», poursuit le député bourguignon. «Aujourd'hui, la loi ne s'élabore plus au sein de l'hémicycle dans la confrontation des idées, mais rue de Solférino ou salle Colbert, là où se réunit le groupe socialiste.»

A droite s'y ajoute une petite ritournelle à la tonalité souverainiste consistant à considérer que l'Assemblée n'est plus que «la chambre d'enregistrement des décisions prises à Bruxelles». Francis Vercamer, député centriste du Nord et maire de Hem, considère lui aussi que le quinquennat a profondément «réduit le rôle du Parlement». Va-t-il rempiler en 2017 ou se replier sur son mandat local ? «Ma décision n'est pas prise. Elle dépendra pour beaucoup de l'exécutif que nous aurons en face et de celui qui, à l'issue des primaires», portera les couleurs de la droite. Mais je peux également considérer que seize ans à la tête de ma ville, cela suffit», prévient-il.

Il faut respecter la loi sur le non-cumul des mandats

Laurent Degallaix, qui siège au sein du groupe centriste à l'Assemblée nationale, en plaisanterait presque. «J'aurai fait moins d'un mandat entier… et par intérim», souligne-t-il. Déjà maire de Valenciennes depuis 2012, il est élu député (UDI) de la 21e circonscription du Nord lors d'une élection législative partielle en juin 2014.

Il siège dans le fauteuil de Jean-louis Borloo après la démission de ce dernier pour raisons de santé. Mais en 2017, Laurent Degallaix, qui n’aura passé que trois années à la Chambre basse, ne briguera pas un nouveau mandat.

Touché par la nouvelle loi sur le cumul des mandats, qui interdit à partir de l'année prochaine à un parlementaire de présider un exécutif local, l'élu nordiste a décidé de privilégier ses fonctions de maire de Valenciennes, qu'il préfère aux ors du Palais-Bourbon. «Je vais me conformer à ce que j'ai toujours dit à mes électeurs valenciennois et me consacrer pleinement à ma ville.»

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