Neurosciences

Pourquoi n'avons-nous plus conscience du monde extérieur quand nous dormons ?

Pendant la majeure partie du sommeil, le cerveau s’isole presque complètement de l’extérieur. Une équipe de neuroscientifiques vient de préciser comment et pourquoi.

Des passagers dorment dans un aéroport

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Souvenez-vous de la dernière fois que vous vous êtes endormi sur la plage. Vous aviez vaguement conscience du bruit des vagues, du léger souffle de vent sur votre dos, de la lumière de l’été qui perçait vos paupières. Mais à mesure que vous plongiez dans les bras de Morphée, ces sensations se sont affaiblies. Et puis, plus rien. Sans que le moindre changement ne survienne autour de vous, vous avez perdu le contact – du moins le contact conscient – avec ce qui vous entourait…

Pourquoi le cerveau se déconnecte-t-il ainsi de l’environnement pendant le sommeil ? C’est ce qu’ont étudié Thomas Andrillon, de l’ENS, à Paris, et ses collègues, non pas pendant une sieste sur la plage, mais lors d’une nuit complète. Leurs résultats suggèrent qu’après une courte phase où il reste capable de percevoir le sens des mots, le cerveau éteint une zone essentielle aux analyses complexes le temps de renforcer les souvenirs, puis mobilise ses ressources pour les rêves.

Dans leur expérience, les chercheurs ont enregistré l’activité cérébrale de 23 volontaires par électroencéphalographie, tandis qu’ils diffusaient des listes de mots désignant tantôt un objet et tantôt un animal. Les sujets devaient appuyer sur un bouton situé à leur gauche dans le premier cas, à leur droite dans le second. La liste des mots continuait pendant leur assoupissement et leur sommeil.

Bien sûr, à ce stade, les participants n'appuyaient plus sur les boutons. Mais à quel point leur cerveau analysait-il encore les informations reçues ? Les mots heurtaient-ils leurs tympans sans déclencher la moindre activité cérébrale ? Leurs propriétés acoustiques étaient-elles décortiquées ? Le cerveau allait-il jusqu’à se livrer à une analyse sémantique, décryptant leur catégorie (objet ou animal), même s’il s’arrêtait ensuite avant de déclencher le mouvement attendu (l’appui sur le bouton de droite ou de gauche) ?

L’étude de l'activité cérébrale des participants a révélé que cela dépendait du stade de sommeil. Pendant le stade qui suit l’endormissement, qualifié de sommeil lent léger, le tracé électroencéphalographique présentait un pic caractéristique d’une préparation à l’action dans la zone du cortex moteur qui commandait la main adéquate. Autrement dit, le cerveau analysait le sens du mot et décidait d’appuyer sur le bon bouton, même s’il n’allait pas jusqu’à émettre les commandes motrices. Dans les deux phases suivantes, le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal, le pic n’était plus observé, signe que l’analyse des informations extérieures n’était plus aussi sophistiquée.

Pourtant, les zones décortiquant les propriétés physiques du signal (intensité, fréquence…) s’allumaient toujours. Simplement, leur activité ne se propageait plus au reste du cerveau. Deux mécanismes très différents semblaient en cause. Lors du sommeil lent profond, le cortex paraissait réagir aux sons en inhibant un peu plus sa partie frontale (déjà très peu active) ; or cette zone est essentielle aux traitements complexes de l’information, en particulier à la compréhension et l'application d'une consigne. C’est un peu comme si le cerveau cherchait à préserver son isolement pendant cette phase. Le sommeil lent profond est en effet capital pour la consolidation des souvenirs, comme l’ont montré de nombreux travaux scientifiques. Et si des informations sensorielles venaient bombarder d’influx nerveux les zones plastiques du cerveau, elles risqueraient de s’y graver en lieu et place des acquis à renforcer.

Pendant le sommeil paradoxal, en revanche, l’activité cérébrale est voisine de celle de l’éveil. Thomas Andrillon et ses collègues pensent alors que les influx nerveux provoqués par les informations extérieures ne dépassent pas les zones effectuant des analyses rudimentaires (autrement dit le cortex auditif) car les ressources cérébrales sont déjà mobilisées par les rêves, plus fréquents lors de cette phase. Et sacrifier un peu de vigilance et de réactivité n’aurait rien d’inutile : les rêves rempliraient de multiples fonctions, comme simuler les menaces, anticiper le futur ou développer la compréhension des autres.

Si le cerveau se déconnecte de l’environnement pendant le sommeil, ce n’est donc pas parce qu’il s’éteint complètement. Au contraire, il est le siège d’une compétition sévère pour ses ressources. Il reste capable de se réveiller en cas de danger, tout en préservant au maximum le temps du souvenir et le temps du rêve…

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Guillaume Jacquemont

Guillaume Jacquemont est rédacteur à Cerveau & Psycho.

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Références

T. Andrillon et al., Neural markers of responsiveness to the environment in human sleep, The Journal of Neuroscience, 15 juin 2016.

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