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Politique

Taubira, le retour : superbe et... inutile !

Après le massacre de Nice, face à la démagogie dérivante de la droite ultra, Christiane Taubira a choisi de faire la leçon à ses pairs, via Facebook. Mais ce discours mobilisateur n'intervient-il pas trop tard ?

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Christiane Taubira le 29 janvier 2016

Face à la dérive des élus politiques après l'attentat de Nice, Christiane Taubira choisi de sortir de son silence

Jewel Samad / A.F.P.

Au crépuscule de ce débat aussi que vain que débile, aussi débile que vain, portant sur la déchéance de nationalité de terroristes binationaux, elle s'en était allée avec fracas, et non sans majesté. Le mot et le verbe qui devraient régner en politique, cet exercice démocratique qui relève aussi de l'Histoire et de la littérature. Dans l'esprit de Christiane Taubira, cette gauche là, cette gauche au pouvoir n'avait plus grand-chose en commun avec "sa” gauche, celle des révoltes anticolonialistes, celle du combat acharné - et sans fin - pour l'égalité des sexes.  Elle ne s'y reconnaissait plus, elle ne la reconnaissait pas. Elle avait d'ailleurs constaté que, ministre de la Justice, cette gauche de pouvoir - à laquelle elle appartenait de plein droit et avec d'éminentes responsabilités - ne la soutenait guère, ou avec quelques prudentes minauderies, quand elle subit d'ignominieuses attaques, parfois insidieusement racistes, notamment d'une presse de droite à chaque instant au bord du dérapage. Elle en fut affectée et s'en ouvrit au président qui fut toujours rassurant et chaleureux. Elle n'en espérait guère davantage.

Le choix de s'exprimer politiquement via les réseaux sociaux

Femme d'honneur et de parole, elle s'était seulement engagée  à ne jamais se retrouver en travers du chemin de François Hollande - mettant ainsi fin aux espoirs de tous ceux qui voyaient en elle la candidate idéale de la gauche de gauche, la seule personnalité en mesure de rassembler cet émiettement de sensibilités, et peut être même de ramener Jean-Luc Mélenchon à la raison. C'était non et Christiane Taubira se tiendra à cet engagement formulé avec détermination et clarté. Comment ? En disparaissant de la scène publique. Pas un commentaire sur les dégâts provoqués à gauche par la loi "travail", pas le moindre soutien apporté au travail de sape de députés PS dits "frondeurs" qui ont pris l'habitude cogner plus fort sur "leur" Premier ministre Manuel Valls que sur Alain Juppé, Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. Mais après le massacre de Nice, en détaillant les positions des uns et des autres, tant à droite qu'à gauche, sur d'éventuelles et nécessaires "évolutions" de la société démocratique confrontée à l'islamisme terroriste, en écoutant le discours liberticide de Laurent Wauquiez, le numéro 2 (!) du grand parti de la droite républicaine, en constatant que cette dérive ultra, à la droite du Front National, ne provoquait aucune émotion particulière parmi les élus et les militants LR, au contraire une approbation sinon ouverte du moins tacite, prenant tout cela en compte, Christiane Taubira a choisi de sortir du silence. Non pas en s'exprimant dans Le Monde ou dans L'Obs., les deux journaux les plus en phase avec sa sensibilité, mais en publiant un long texte sur... son compte Facebook. Une rupture supplémentaire, une façon de signifier que la politique désormais se passe ailleurs, certainement plus dans les organes distingués de la "grande presse", mais au sein de réseaux sociaux. Un retour en effet tonitruant. 

Exiger des politiques un surcroît de responsabilité

Dans une première envolée, l'ex-Garde des Sceaux réussit ce, qu'à l'exception de Manuel Valls au banc du gouvernement à l'Assemblée Nationale et "séchant" Wauquiez, aucun responsable de la gauche et même des gauches, pas plus Jean-Luc Mélenchon qu'un autre, n'a su mener à bien - dénoncer haut et fort, avec clarté, avec puissance, avec force, la démagogie ultra de la droite ultra, de ses chefs et chefaillons, ceux, précise-t-elle, qui font commerce de la peur, de l'angoisse, de la douleur d'autrui et vocifèrent sans respect des larmes en privilégiant leurs intérêts partisans ou leur impatience à s'emparer du pouvoir d'état". 

Le châtiment est sévère et même le si modéré Alain Juppé pourrait se reconnaitre dans ce portrait de groupe on ne peut plus cruel mais fort à propos. Alors Christiane Taubira persiste et va plus loin encore dans le démontage de la démagogie appliquée au carnage de Nice :

- "Ressasser des poncifs sur les décisions de justice prises en indépendance par des magistrats dans notre État de droit ; gloser sur les effets de la prison alors qu'aucun des tueurs du 13 novembre ni celui du 14 juillet n'avaient d'antécédents carcéraux... C'est s'obstiner à déguiser la réalité, se réfugier derrière des incongruités confortables, se satisfaire de facilités aberrantes, se situer en deçà des sécurités régaliennes et finalement, nous exposer durablement au danger".

Car, dans cette tonitruante intervention, l'ex-ministre se défie de toute angélisme, elle est consciente du danger, des crimes islamistes, des combats qu'ils imposent de conduire, de la souffrance des Français. Mais Taubira rappelle que ces éléments n'autorisent en rien les responsables politiques à dire n'importe quoi, au contraire, à l'inverse. Elle exige d'eux, à juste titre, un surcroît de responsabilité.

"Assécher" le terreau terroriste

- "Le besoin de sûreté, CE DROIT INDESCRIPTIBLE, inclut la préservation de nos libertés individuelles et publiques. Il s'agit de les organiser, pas de les opposer. Il revient à la puissance publique de trouver, et ce n'est pas simple, la souplesse qui permette d'ajuster le dispositif de sécurité aux multiples formes des attaques, dans la proportionnalité qu'exige l'état de droit, campé sur ses institutions solides". Tout républicain honnête, convaincu, sûr de ses convictions, devrait reprendre à son compte la démonstration de Christiane Taubira. Le jeu politique et électoral, la radicalisation de la droite et d'une grande partie de son électorat, l'inquiétude profonde des Français, tout cela interdit pareille concordance. C'est infiniment regrettable. 

Parce que ce blocage interdit de trouver une réponse collective à l'ultime interrogation de Taubira : "Comment assécher le terreau du terrorisme"? Non pas "comprendre", encore moins "excuser" et par conséquent trouver une kyrielle d'explications plus ou moins sociologisantes mais, à l'inverse, "assécher le terreau", parce que la victoire contre le jihadisme passe à l'évidence par cet "assèchement". C'est en militante, en combattante, en femme politique issue du terrain, de la rue, des cités que Taubira s'autorise à faire la leçon à ses pairs. Langage à la fois politique et mobilisateur - ce dont les Français ont besoin, mais sont-ils seulement en mesure de l'entendre? 

Pourquoi  Hollande n'a-t-il pas su tenir une telle dialectique  ?

- "Il faut gagner la bataille du recrutement. Cette bataille n'est pas exclusive de l'action militaire ciblée sur les arsenaux et logistiques ; de l'action diplomatique opérant sur les rapports de force ; de l'asphyxie financière. Mais face à cette armée innombrable qui se lève de partout, assécher le terreau où germe, pousse, jaillit cette monstruosité si froide qu'elle paraît intoxiqué, tel est le défi"...

Mais ce langage de l'intelligence allié à celui de la force est-il seulement audible dans la France de l'après-Nice ? N'est-il pas déjà dépassé ? Pourquoi la dialectique de  Christiane Taubira ne fut-elle pas celle du gouvernement et de la gauche depuis quelques mois déjà ? Pourquoi François Hollande n'a-t-il pas su incarner cette logique là, laissant désormais place à la phraséologie déjantée du nouveau trio Sarkozy-Juppé-Fillon? 

Christiane Taubira est intervenue. Prenons-en acte. Mais elle l'a fait tard. Trop tard ?

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