Publicité

Les livres les plus influents

Dans un monde instable, imprévisible et complexe, quels ouvrages peuvent nous aider à comprendre et à agir? Les «Échos Week-End» ont interrogé près de 200 personnalités économiques et politiques qui ont accepté de dévoiler leurs «livres de chevet». Leurs choix dessinent une passionnante bibliothèque. Et réservent quelques surprises...

Par Guillaume Maujean, Cecilia Delporte, Pascal Pogam

Publié le 22 juil. 2016 à 01:01

L'été n'y suffira pas. Il faudra plus que ces trop rares après-midis passées à l'ombre d'un parasol ou d'un figuier pour découvrir les trésors cachés de cette impressionnante liste de lecture. Près de 1000 ouvrages. Essais, romans récents, grands classiques, biographies, une poignée de BD et quelques objets littéraires mal identifiés... Ces pépites sont ce qu'on appellera, pour aller vite, les «livres de chevet» de la sphère économique et politique: chefs d'entreprise - dont de nombreux représentants de la French Tech et du monde des start-up -, responsables politiques, syndicalistes, économistes, sociologues, philosophes... Au total, près de 200 personnalités ont accepté de se prêter au jeu, en répondant à cette question: «Dans un monde instable, imprévisible et complexe, pouvez-vous nous citer cinq ouvrages qui vous aident à mieux appréhender les mutations du moment, à préparer l'avenir, en un mot, qui vous servent de boussole?»

Exercice inhabituel et passionnant. Car, à travers leurs conseils de lecture, ce sont les doutes profonds de ces dirigeants qui s'expriment: leur quête de sens, leurs préoccupations, leurs angoisses souvent... Voilà sept ans, Les Échos avaient mené une expérience similaire en pleine crise financière. Le résultat avait été tout aussi stimulant, mais ne dégageait pas le même sentiment d'urgence. Il s'agissait alors de comprendre les racines d'une crise planétaire, d'en identifier les causes, pour éviter si possible de reproduire les mêmes erreurs. En 2016, les interrogations de «l'establishment» sont plus variées et existentielles: elles ont trait aux tensions géopolitiques, à la menace terroriste, à la révolution digitale qui bouscule tant de business models et d'habitudes, à la crise de notre modèle démocratique, à la montée des inégalités... Autant de bouleversements donnant aux patrons et politiques le sentiment de naviguer dans le brouillard.

Dans cette période troublée, le livre de Jean Tirole Économie du bien commun est clairement la «boussole» préférée des personnalités que nous avons sollicitées. Au gré de leurs réponses, il nous est très vite apparu qu'il y aurait dans ce classement le Prix Nobel d'économie 2014 et les autres. Alain Minc voit dans ce choix un «acte militant», visant à diffuser la culture économique au plus grand nombre. La première place occupée par le pavé de Tirole, qui est par ailleurs en train de devenir un véritable succès de librairie, démontre surtout que la soif de comprendre les mutations et les enjeux du monde actuel est partagée aussi bien par la classe dirigeante que par le grand public.

Churchill plutôt que Sarkozy

Publicité

L'engouement manifesté pour des ouvrages sur la révolution numérique est l'autre enseignement majeur de cet exercice. Qu'il s'agisse du livre de Peter Thiel (De zéro à un), du Deuxième Âge de la machine, de McAfee et Brynjolfsson, ou encore de la biographie d'Elon Musk, L'Entrepreneur qui va changer le monde, sans oublier le dernier essai du «gourou» Rifkin, La Nouvelle Société du coût marginal zéro, les grandes fresques «techno» sont devenues les bibles des patrons et politiques français. Ce qui n'était pas le cas il y a sept ans.

Dans cette montagne de livres, d'autres lignes de force, d'autres thématiques incontournables se dégagent. En particulier les débats sur la démocratie, les migrations, les valeurs républicaines ou les religions - tout ce que l'on appelle aujourd'hui le «vivre ensemble» - et qui ont encore gagné en actualité avec le tragique attentat à Nice le 14 juillet. Beaucoup de sondés évoquent Marcel Gauchet (Comprendre le malheur français), Pierre Rosanvallon et son Bon gouvernement, ou Patrick Weil et son Sens de la République, qui n'évite pas les sujets qui fâchent comme l'islam ou l'identité nationale.

En matière économique, le palmarès fourmille d'ouvrages consacrés à la montée des inégalités. Mais le livre qui a connu le plus grand succès d'édition, Le Capital au xxie siècle, de Thomas Piketty, n'est cité qu'une seule fois, par l'économiste Daniel Cohen. Nos personnalités n'ont peut-être pas eu le courage d'avaler ce pavé de près de 1000 pages. Certains avouent clairement qu'ils le trouvent «indigeste», et évoquent d'autres auteurs: les économistes Branko Milanovic, Amartya Sen, Angus Deaton ou Joseph Stiglitz. Esther Duflo, pour Repenser la pauvreté, est également mise en avant. Et la grande surprise, c'est la présence tout en haut du classement du pape François. En particulier pour son encyclique Laudato si'.

Mais ce qui frappe aussi, ce sont les thèmes plutôt absents. Ou ceux qu'on attendait plus haut. Seuls quelques ouvrages consacrés à la géopolitique internationale sont mentionnés (notamment ceux de Gilles Kepel). Encore moins sur les enjeux climatiques, à l'exception, donc, de l'encyclique papale. La COP 21 de Paris n'était pourtant pas si loin... Et presque aucun des livres récemment écrits par les dirigeants politiques français ne trouve grâce aux yeux de notre panel! L'establishment préfère se référer à Winston Churchill, Henry Kissinger ou un obscur général chinois du ve siècle, Sun Tzu, et son Art de la guerre, plutôt qu'à Nicolas Sarkozy ou Arnaud Montebourg!

«On voit globalement très peu des grands auteurs à succès du moment dans votre liste, remarque le sociologue Julien Damon. Où sont passés les Michel Onfray, Luc Ferry, Éric Zemmour et Alain Finkielkraut? Les grandes figures intellectuelles de la fin du xxe sont également ignorées - les Derrida, Foucault ou Deleuze - alors qu'elles restent des références à l'étranger.» Seule exception, le philosophe René Girard, disparu récemment. Autres absents de marque, ou plutôt absentes: les femmes, qui sont très minoritaires. Nathalie Loiseau, la directrice de l'ENA, l'avait anticipé, qui n'a cité que des auteures, dont Florence Aubenas pour son Quai de Ouistreham:«Je lis aussi beaucoup d'ouvrages dont les auteurs sont des hommes, mais j'ai tendance à penser que ceux que vous interviewerez par ailleurs ne citeront pas beaucoup d'auteurs féminins.» Bien vu... François Pérol, le patron de BPCE, se distingue en évoquant la Nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, pour Nous sommes tous des féministes.«Un texte court et percutant qui explique à partir d'exemples concrets comment l'éducation permettrait de lutter contre le sexisme et les inégalités de genre», dit Pérol.

Tintin, Djokovic et Raymond Barre

Autre enseignement: la dégringolade de Keynes, qui était en tête du palmarès il y a sept ans. Signe des temps, on retrouve beaucoup plus de grandes figures libérales cette année, à l'instar de Tocqueville, Hayek ou Ayn Rand, dont La Grève connaît un énorme succès aux États-Unis. La crise financière était omniprésente en 2009. Elle est un peu sortie des radars. Nos décideurs montrent surtout un intérêt pour les nouveaux sorciers de l'argent, les grands banquiers centraux qui ont inventé le concept explosif des taux négatifs. L'ouvrage de Michael Lewis The Big Short (traduit en français sous le titre Le Casse du siècle) se taille aussi un certain succès, recommandé notamment par Gérard Rameix, le gendarme en chef des marchés. L'excellent film qui s'en est inspiré avec Brad Pitt et Ryan Gosling a certainement contribué à sa renommée.

On retrouve évidemment beaucoup de grands classiques. Balzac et sa «Comédie humaine». Les Essais de Montaigne. «Les Voyages extraordinaires» de Jules Verne. Mais aussi, plus près de nous, les oeuvres de Romain Gary ou Marguerite Yourcenar. Michel Houellebecq, mentionné par le banquier Grégoire Chertok pour son Extension du domaine de la lutte, est peut-être en train d'accéder au statut de classique. Tout comme Emmanuel Carrère, dont le recueil de chroniques Il est avantageux d'avoir où aller a frappé les esprits d'Alain Minc ou de Jean Lemierre.

Et puis il y a les inévitables fantaisies. Les bandes dessinées sont assez présentes. Tintin évidemment, mais aussi Quai d'Orsay, de Blain et Lanzac, cité par un de ses protagonistes, Bruno Le Maire! Il y a les biographies qu'on n'attendait pas, comme celle de Novak Djokovic. Les poèmes évoqués par Emmanuel Macron. Mais aussi d'épais rapports comme celui sur «la France en 2025». Certains, à l'instar de Thierry Breton, le patron d'Atos, ont mentionné des podcasts. D'autres des comptes Twitter ou des blogs. Des grands discours: celui d'Obama lors de son entrée en campagne ou, plus surprenant, le discours d'investiture de Raymond Barre en 1976. Le Petit Robert a obtenu une mention. Mais aussi la page d'accueil de Google! Tout un symbole. Nous emmènerons tous des livres sur nos lieux de vacances. Mais qui ne gardera pas un smartphone ou une tablette à portée de main?

Par Guillaume Maujean et Pascal Pogam

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres
Publicité