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Enquête

Les tauliers de Puteaux

Le gouvernement a annoncé mardi avoir infligé une amende de plus d'un million d'euros à l'office HLM de Puteaux, dans les Hauts-de-Seine, en raison d'irrégularités et de manquements. L’office de la ville est géré depuis 1969 par les Ceccaldi-Raynaud.
par Tonino Serafini
publié le 27 juillet 2016 à 21h21
(mis à jour le 2 août 2016 à 20h47)

[Mis à jour mardi : le gouvernement a annoncé mardi avoir infligé une amende de plus d'un million d'euros à l'office HLM de Puteaux (Hauts-de-Seine), la ville la plus riche de France, en raison de «manquements» à ses «obligations». L'Office public de l'habitat (OPH) de la ville, présidé par la maire LR Joëlle Ceccaldi-Raynaud, devra payer 1 081 822 euros, un «montant exceptionnel», relèvent dans un communiqué commun les ministères du Logement, de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire.]

Quand on s'intéresse à la maison Ceccaldi-Raynaud, on découvre des choses surprenantes sur leur gouvernance de la chose publique. En témoigne un rapport relatif à la gestion de l'office HLM de Puteaux (OPH), leur ville des Hauts-de-Seine, qui «cumule dysfonctionnements et irrégularités», pointe l'Agence nationale du contrôle du logement social (Ancols), le «gendarme» des HLM, après une mission d'inspection portant sur les années 2009 à 2014.

Habitants choyés

La famille tient cette ville de 44 000 habitants depuis près d’un demi-siècle. Le père, Charles Ceccaldi-Raynaud, y a été maire de 1969 à 2004, avant de céder son fauteuil à sa fille, Joëlle Ceccaldi-Raynaud, qui fut son adjointe. Devenue maire, à son tour, elle a pris pour adjoint son fils, Vincent Franchi, chargé des finances, des ressources humaines, de l’aménagement urbain, de l’éducation et de la culture… Un véritable maire bis.

La commune est riche à souhait grâce aux recettes fiscales du quartier d'affaires de La Défense qui se trouve en partie sur son territoire. Les habitants sont choyés sans payer beaucoup d'impôts locaux, les recettes fiscales venant en masse des entreprises. Mais cette aisance ne se traduit pas par une gestion optimale des entités municipales, à l'image de l'office de HLM. A la suite de son inspection, l'Ancols propose à la ministre du Logement, Emmanuelle Cosse, de lui infliger de très fortes sanctions financières en raison des nombreuses irrégularités relevées dans la gestion de l'organisme : non-respect des règles d'attribution des logements, non-application du barème du supplément de loyer pour les locataires les plus aisés du parc, anomalies caractérisées dans une affaire de construction de parking totalement étrangère à l'objet social de l'office de HLM (lire ci-contre).

Dans un document adressé au ministère du Logement, et que Libération s'est procuré, l'Ancols préconise ainsi une sanction de 1,081 million d'euros. Ceci pour non-respect des «obligations légales et réglementaires». A l'office public de l'habitat de Puteaux, «le conseil d'administration ne joue pas [son] rôle», pointe le rapport. Les directeurs de service et le directeur général sont privés d'initiatives, en raison de l'omniprésence dans la gestion courante de sa présidente, qui n'est autre que Joëlle Ceccaldi-Raynaud. Un fonctionnement en contradiction avec la législation qui régit les organismes publics de HLM, souligne l'Ancols. Normalement, la présidente n'a pas à intervenir : «C'est le directeur général qui passe tous les actes et contrats au nom de l'office et le représente dans tous les actes de la vie civile», rappelle le rapport.

Attributions nébuleuses

Parmi les autres observations, on note les «coûts de gestion élevés», des problèmes de «non-respect de délai de paiement des fournisseurs» et de «gestion des charges locatives». Réaction d'Emmanuelle Cosse : «On va suivre totalement les préconisations de l'Ancols concernant l'amende de plus d'un million d'euros.» La ministre précisequ'elle «va aussi transmettre les éléments du rapport au parquet car, sur l'affaire du parking, les choses semblent très graves». Contacté à ce sujet par Libération, le service de la communication de l'office a une réponse expéditive : «On va voir, pour l'instant il ne se passe rien.»

De fait, l'amende n'est pas encore effective. Pas plus de réponses concernant les éléments du rapport relatifs aux attributions de HLM. Récemment, l'office de Puteaux a été épinglé au sujet de l'obtention, dans des conditions pour le moins nébuleuses, d'un logement social par le préfet Alain Gardère, un proche de Nicolas Sarkozy. L'homme est pourtant à l'abri du besoin : ses revenus annuels sont plus que confortables et il serait propriétaire de plusieurs logements. Lorsque l'affaire a éclaté, la mairie de Puteaux a prétendu que ce logement lui avait été attribué par la préfecture des Hauts-de-Seine. Faux, répond une source au ministère du Logement : «On a vérifié. On ne trouve pas trace de cette attribution qui semble avoir été faite en dehors de tout cadre légal.» A tel point qu'elle a échappé aux contrôleurs de l'Ancols qui inspectent sur pièce. En revanche, le rapport mentionne deux cas d'attribution de logement effectués en quelques jours, là où les délais d'attente pour un HLM se comptent souvent en années en Ile-de-France.

Des logements accordés à des ménages pas toujours prioritaires   

Au sein de l'office HLM de Puteaux (OPH), seulement 17,5 % des locataires perçoivent l'APL (Aide personnalisée au logement) attribuée aux ménages les plus modestes. «Un taux très inférieur» au 38,1 % «relevé en région francilienne», souligne le rapport de l'Ancols. Sous-entendu : l'OPH loge une population qui n'est pas toujours dans le besoin. «L'analyse de l'occupation du parc de logement de l'OPH de Puteaux fait […] ressortir un niveau de ressources des locataires supérieur à la moyenne constatée pour l'ensemble des organismes de HLM en Ile-de-France», pointe le rapport. En revanche, l'Ancols observe que l'OPH est à la traîne pour reloger les ménages éligibles au Dalo (Droit au logement opposable), considérés pourtant comme ultraprioritaires au vu de leur situation sociale et leurs conditions de logement (familles vivant à l'hôtel, dans des logements insalubres). L'OPH était tenu de reloger 237 Dalo en cinq ans (de 2009 à 2013). Bilan ? 87 relogements seulement. L'organisme est bien plus compréhensif envers ses locataires «aisés», dont les revenus dépassent l es plafonds HLM. Normalement, ils doivent payer un supplément de loyer de solidarité (SLS) dans un objectif d'équité, puisqu'ils ont un loyer bas. Mais l'office de Puteaux applique un «barème dérogatoire[…]sans fondement»,très peu coûteux pour les 679 locataires qui étaient soumis au SLS en 2014 : le montant moyen de leur supplément de loyer était de 83 euros par mois. Contactée par Libération, la mairie de Puteaux rend l'Etat responsable de la mauvaise application du SLS faute «d'instructions et informations nécessaires» de l'administration.

Des délais «surprenants»  et des anomalies dans les attributions

En Ile-de-France, où l'on compte 450 000 demandeurs de HLM, l'obtention d'un logement social exige généralement une attente de plusieurs années, tant la file est longue. Mais à Puteaux, l'Ancols observe que certaines demandes sont satisfaites en un temps record, citant le cas de deux demandeurs. Le premier, «une personne seule», a obtenu dans le cadre d'une mutation «un logement type F3 duplex […] cinq jours après le dépôt de sa demande». Deuxième cas : «Une candidate hébergée chez un Putéolien» s'est vu attribuer un logement HLM «sept jours» après le dépôt de son dossier. Des délais «surprenants», ironisent des acteurs du monde HLM contactés par Libération. Plus grave : «A maintes reprises sur la période 2010-2013», l'office de Puteaux n'a pas signalé aux autres «réservataires» (la préfecture et le «1 % logement») les logements HLM vides qu'il leur revenait d'attribuer (1). Lors d'une commission du 23 octobre 2013, 11 logements relevant du contingent préfectoral (servant à loger les fonctionnaires ou les démunis) sont allés - à tort - à des candidats présentés par la ville de Puteaux ou par son office de HLM. «A cette occasion, un logement réservé fonctionnaire a même été attribué à une salariée de l'office», indique le rapport qui fait état d'«irrégularités et [de] manquements graves». Contactée par Libération, la mairie de Puteaux minimise les attributions effectuées à la place de la préfecture, qui ne représenteraient que «0,7 %» de son contingent.

(1) Les HLM sont attribués par ceux qui participent au financement de leur construction : Etat (préfecture), communes, 1 % logement (pour loger les salariés des entreprises).

L’office HLM, Un instrument pour l’acquisition de parkings à bas prix ?

La faute de gestion la plus grave observée par l'Ancols, lors de son inspection à l'OPH de Puteaux, concerne la construction d'un parking souterrain de 246 places avec aménagement d'un jardin en surface dans le cadre de la rénovation du quartier de Lorilleux. «Le projet prévoyait que l'un des niveaux serait réservé aux locataires de la résidence Lorilleux et l'autre ouvert au public», souligne le rapport. Estimé initialement à 6,9 millions d'euros, l'ouvrage coûtera finalement à l'organisme de HLM 9,6 millions. La ville tentera ensuite de le racheter pour 2,3 millions, soit 7,3 millions de moins. Mais le projet de vente sera finalement annulé. Dans cette affaire, l'Ancols note de très graves irrégularités : l'OPH de Puteaux s'est lancé dans la construction de ce parking «sans décision explicite de son conseil d'administration», en l'«absence d'études financières préalables», concernant notamment son équilibre d'exploitation. Le rapport relève que cet ouvrage «n'entre pas dans l'objet social d'un OPH» et que les éléments du permis de construire laissent entendre qu'«une fois construit [il] était destiné à être cédé». L'annulation de la vente serait intervenue «à l'issue du contrôle de l'OPH», affirme le rapport. L'Ancols estime à 3,5 millions d'euros le préjudice pour l'OPH (en soustrayant les subventions). Contactée par Libération, la mairie de Puteaux contre-attaque : en quoi ce parking est-il «étranger à l'objet social d'un OPH ? Ce qui est à souligner, c'est l'incompétence des analystes de l'Ancols, qui n'ont rien compris à ce projet». Et d'ajouter : «Si la ministre souhaite sanctionner l'office sur cette base, c'est de sa responsabilité. Si tel était le cas, nous irons devant le juge pour obtenir réparation du préjudice financier.»

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