Lutte antiterroriste : «Le droit existe, contentons-nous de l'appliquer»

Professeur de droit à la Sorbonne, Roseline Letteron souligne que nous sommes «dans une période où s'applique un droit de tempête (état d'urgence, etc.), droit prévu par les lois en vigueur».
Professeur de droit à la Sorbonne, Roseline Letteron souligne que nous sommes «dans une période où s'applique un droit de tempête (état d'urgence, etc.), droit prévu par les lois en vigueur». (LP/STEPHANIE FORESTIER et DR.)

    Professeur de droit à la Sorbonne, Roseline Letteron anime le blog «Liberté, libertés chéries». «La loi sur l'état d'urgence a été votée à une écrasante majorité. Le droit existe, contentons-nous de l'appliquer», répond-elle alors que la droite réclame des mesures d'exception.

    Que vous inspire le recours au bracelet électronique dans le cas d'Adel Kermiche?
    ROSELINE LETTERON. Le Code de procédure pénale a été respecté, et le juge d'instruction avait la possibilité de le remettre en liberté sous contrôle judiciaire assorti d'un bracelet électronique. Nul n'ignore que le juge traite de la matière humaine et que ce n'est pas une science exacte. Néanmoins, je m'interroge sur la pertinence d'avoir laissé quatre heures de liberté chaque matin sans contrôle à une personne qui avait tenté à deux reprises de se rendre en Syrie. Cette pratique est-elle réellement conforme à l'esprit de la loi? Le bracelet est présenté comme une alternative à l'emprisonnement, et non comme une surveillance à mi-temps.

    La lutte contre le terrorisme nécessite-t-elle un régime d'exception?
    Le droit prévoit déjà une organisation dérogatoire, par exemple sur la longueur de la garde à vue, qui peut être portée à quatre-vingt-seize heures, voire cent quarante-quatre heures en cas de péril imminent. Toutes les affaires sont centralisées à Paris avec un parquet et des juges d'instruction spécialisés. Conserver cette spécificité est nécessaire. Il ne s'agit pas d'un système d'exception mais d'un système pérenne.

    Eric Ciotti (les Républicains) propose d'assigner à résidence toutes les personnes fichées S pour radicalisation...
    Ce n'est pas sérieux. Il s'agit d'une posture politique dépourvue de toute analyse juridique. La loi sur l'état d'urgence permet déjà d'assigner certaines personnes à résidence. Une assignation automatique comporterait un gros risque d'inconstitutionnalité. Le principe d'individualisation prime.

    Faut-il s'affranchir de l'Etat de droit?
    Aucune situation n'exige de s'affranchir de l'Etat de droit. Des contrôles sont prévus pour garantir le respect des lois votées par le Parlement. En outre, les lois en vigueur, et notamment les dernières lois antiterroristes, ont accru les pouvoirs de la police. La loi sur l'état d'urgence a été votée à une écrasante majorité. Le droit existe, contentons-nous de l'appliquer.

    Sommes-nous en guerre, comme certains le suggèrent?
    Juridiquement, non. La guerre, au sens juridique du terme, doit être déclarée après autorisation du Parlement et conduit à la définition d'un ennemi identifié. En revanche, on est dans une période où s'applique un droit de tempête (état d'urgence, etc.), droit prévu par les lois en vigueur.

    Les efforts sont-ils donc à mener au niveau du renseignement?
    Incontestablement. C'est là que se situe le problème. La loi de 2008 voulue par Nicolas Sarkozy avec la disparition des renseignements généraux nous a fait perdre tous les capteurs de terrain. Le monde du renseignement a également souffert de la baisse de ses effectifs. La focalisation sur le renseignement électronique au détriment du renseignement humain a été très préjudiciable.

    QUESTION DU JOUR. Doit-on créer un Guantanamo à la française?