Ils sont neuf autour de la table, âgés de 16 à 18 ans, lycéens ou en parcours d’insertion. Certains se connaissent déjà, pour avoir fréquenté le même collège de Mons-en-Baroeul (Nord) ou partagé des activités au centre social. Tous nourrissent l’ambition de se frotter au monde de l’entreprise, et de gagner un peu d’argent.

Ce jour-là, au début du mois de juillet, ils sont réunis pour le premier conseil d’administration de l’entreprise coopérative qu’ils viennent de créer, avec l’aide de deux animateurs et le soutien d’un comité local regroupant notamment des acteurs du monde économique.

À l’ordre du jour : le choix d’un nom, l’élection des membres du bureau et le mode de répartition des bénéfices et de leur rémunération.

Cette coopérative ne passera pas l’été mais durant deux mois, ces jeunes vont la gérer de bout en bout : à eux de définir les prestations vendues, calculer les prix, faire connaître leur offre de service, gérer les plannings, se répartir des fonctions de direction, de marketing, de comptabilité…

Un modèle québécois

Autour de la table, les propositions de nom fusent : Mons’Coop, Coopérative solidaire locale, Work Coop… « C’est chaud, ça. Moi, je ne parle pas anglais », proteste Vincent. Argument retenu. Finalement, ça sera « Coopérative jeunesse Monsoise ». Voté à la majorité.

Concernant les services proposés, l’équipe écarte la mécanique, faute d’outillage adéquat, et la garderie, trop contraignante en matière de normes. Font l’unanimité en revanche, le jardinage, le lavage de voitures, le dépannage informatique, la garde d’animaux à domicile ou la livraison de courses.

Avant de procéder à l’élection des membres du bureau, Claire, l’une des deux éducatrices apporte quelques explications sur le fonctionnement d’une coopérative et la fonction du bureau… Petit cours d’économie pratique avant de passer au vote.

Ce modèle de pédagogie active vient tout droit du Québec où, depuis trente ans, les collégiens apprivoisent la gestion d’entreprise en se formant sur le tas, durant l’été. En France, la première coopérative jeunesse de services a été créée en Bretagne, en 2013. Depuis, le mouvement a essaimé : elles seront 32 cet été dans toute la France.

Se frotter à la vie en entreprise

Soutenues par le réseau Coopérer pour entreprendre, elles permettent à des jeunes de tous horizons de se frotter à la vie en entreprise. « Vu de l’extérieur, ça paraît compliqué, mais en fait, ce n’est pas si difficile, assure Wissem, 16 ans, lycéenne en section sciences et techniques de management. C’est surtout la comptabilité qui m’intéresse : comment faire les factures, apprendre à maîtriser les logiciels. Plus tard, j’aimerais créer mon entreprise. »

« Ici, on est tous patrons, chacun a son mot à dire et peut effectuer toutes les tâches au sein de l’entreprise, apprécie Vincent, 16 ans, décrocheur scolaire. C’est intéressant de prendre des responsabilités : on mesure mieux les difficultés. On ne peut pas faire n’importe quoi avec l’argent. »

L’apprentissage par l’action

Car bien qu’éphémère, la coopérative jeunesse de services n’est pas une entreprise virtuelle. Les jeunes ont déjà engrangé quelques contrats : la fabrication d’un poulailler au pied d’une résidence, à la demande d’un bailleur social qui souhaite sensibiliser les habitants à la gestion des déchets ménagers ; la préparation d’un buffet pour 200 personnes, lors de la fête des « quartiers d’été ». L’équipe s’est vue également confier le lavage des voitures de l’association Lila auto partage…

L’encadrement juridique est assuré par la coopérative lilloise Grands ensemble, qui se charge aussi des assurances et de la formation des animateurs. « La coopérative n’est pas un job d’été classique. C’est un vrai projet d’éducation populaire, un apprentissage par l’action, se félicite Sonia Bouhadida, l’une des deux animatrices, également coordinatrice du secteur jeunesse au centre social Imagine. Les jeunes vont gagner en maturité et en autonomie. Sur un CV, cette expérience peut faire la différence ! »

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Une initiation à l’entrepreneuriat

Coopérer pour entreprendre accompagne le développement en France des coopératives jeunesse de services. Créé il y a plus de 15 ans, ce réseau fédère environ 70 coopératives d’activité et d’emploi (CAE) sur tout le territoire. Les coopératives jeunesse de services regroupent généralement 10 à 15 jeunes.

Les gains sont modestes (100 à 300 € par jeune) mais l’expérience enrichissante. Lancées au Québec en 1988, les coopératives jeunesse de services ont essaimé en France à partir de 2013. Les trois premières ont été créées en Bretagne, à Quintin, Rennes et Quimper.

Le dispositif est soutenu, notamment, par l’Union européenne, le fonds d’expérimentation pour la jeunesse du ministère de la ville, de la jeunesse et des sports, et la Caisse des dépôts. Il a aussi été lauréat du programme national de financement associatif « La France s’engage », soutenu par l’Élysée.