C’est en 988 que le grand prince de Kiev Volodymyr [Vladimir pour les Russes] fit baptiser ses sujets. Depuis, la date a toujours été symbolique tant pour la Russie que pour l’Ukraine. Historiquement, cette époque est dite de la “Rous de Kiev”, “Rous” définissant les diverses principautés slaves de l’est qui payaient tribut à Kiev, la “capitale”.

L’historiographie russe, tsariste puis soviétique, a choisi de parler, elle, de “Russie kiévienne”, terme longtemps repris par les historiens occidentaux. C’était un moyen pour Moscou, et Saint-Pétersbourg, de se présenter en tant qu’unique et légitime héritière de cette grandeur médiévale. Les Ukrainiens, évidemment, ne voient pas de la même façon cette partie de l’histoire commune des deux peuples. Ils accusent les Russes, non sans raison, de nier ainsi leur passé différent.

Inquiétude des autorités ukrainiennes

Le patriarcat de Moscou se veut le descendant direct de l’église de la Rous de Kiev. Au fil du temps, et à cause d’autres influences, dont celle de la Pologne, d’autres églises se sont formées en Ukraine, si bien que la religion est aujourd’hui l’exact reflet des lignes de fractures au sein de la société, entre Russes de l’Est et prorusses, favorables au patriarcat de Moscou, et Ukrainiens, qu’ils soient orthodoxes ne reconnaissant pas l’autorité de Moscou, ou gréco-catholiques, c’est-à-dire de rite oriental, mais reconnaissant l’autorité du Pape.

Cet arrière-plan historique éclaire ce qui se passe depuis quelques jours en Ukraine. En effet, à l’appel du Patriarcat de Moscou, une marche a été organisée pour célébrer le baptême de la “Russie kiévienne”, ce qui suscite l’inquiétude des autorités ukrainiennes.

“Pour la plupart venus en bus, en particulier de l’est du pays, rapporte Oukraïnska Pravda, les pèlerins ont traversé les grandes villes à pied, venus de deux points de départ, la Laure de Potchaev (dans la région de Ternopil, à l’ouest), et la Laure de Sviatogorsk (dans la région de Donetsk), afin de symboliser l’unification du pays.” L’ennui étant, ajoute le quotidien en ligne :

 
cette procession pour la paix a en réalité le potentiel non seulement d’intensifier la scission entre les fidèles, mais aussi de provoquer des agressions de la part des Ukrainiens radicaux”.

Une marche à haut risque, donc, qui, depuis plusieurs jours, accroît un peu plus les tensions dans un pays toujours en proie à la guerre dans le Donbass, où des combats ont lieu chaque jour, les forces russes et séparatistes ne relâchant pas leur pression sur les lignes ukrainiennes.

Un exemple de la divergence de vue entre le clergé ukrainien qui obéit au patriarcat de Moscou et le clergé autocéphale (c’est-à-dire ne reconnaissant aucune autorité autre que la sienne) est donné par Oukraïna Moloda. En effet, rappelle le quotidien de Kiev, au sujet de la situation à l’est, “les églises proches du patriarcat de Moscou, dans leurs prières communes pour la paix, ne mentionnent jamais l’Ukraine et l’invasion étrangère, mais seulement le ‘champ de bataille fratricide’et le fait qu’il ne faut pas ‘lever la main contre son frère’. Alors que les églises du patriarcat de Kiev, depuis le printemps 2014, prient pour la ‘libération de l’invasion étrangère’”.

Une différence qui n’est pas que rhétorique, et cette marche pourrait effectivement aggraver le fossé qui s’est creusé entre les deux camps. Au point que le 28 juillet, le président Petro Porochenko, cité par le quotidien Den, a affirmé que :

 
Les sondages d’opinion montrent qu’un nombre croissant de citoyens ukrainiens orthodoxes réclament une seule église autocéphale nationale”.

Oukraïnska Pravda considère que, sous prétexte de paix, cette double procession est bien une provocation, mais se veut rassurant : “La société a mûri, elle est aujourd’hui en mesure de voir quand c’est de cela qu’il s’agit.”