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« Mes compétences d'expat ne sont pas monnayables en France »

PAROLES D'EXPAT 5/20. Capitaine d'Airbus A320 basé à Ryad (Arabie Saoudite), Sébastien T. regrette que son expérience internationale soit sous-valorisée en France.

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Domicilié à Ryad, Sébastien T. estime que l'impatriation est plus difficile à vivre que l'expatriation (Shutterstock)

Par Marie-Sophie Ramspacher

Publié le 27 juil. 2016 à 07:00

Lors de votre toute première expatriation, quelles étaient vos principales réticences ou réserves  ?
J’étais jeune et, à 18 ans,  je partais pour mes études, donc mes réticences ou réserves étaient différentes de celles que pourrait avoir un adulte. Mais je dirais que mes deux craintes étaient de devoir surmonter la barrière de la langue – je partais aux USA – et de ne connaitre personne sur place – ni famille, ni amis, ni compatriotes. J’ai par la suite passé le reste de ma vie à travailler à l’étranger (USA, Afrique, Moyen-Orient et Europe), et je n’ai plus vraiment eu de réticences ensuite : j’étais « dans le bain ». Un pays en vaut un autre, on s’habitue toujours, c’est quelque chose qu’on finit par savoir.

Aviez-vous minutieusement préparé votre départ  ?
Pour mon départ comme étudiant, mes parents m’ont accompagné et aidé à trouver un logement, à faire les papiers, etc… J’étais encore un adolescent. Par la suite, comme je ne trouvais pas de travail en France après mes études, je suis parti en quête de travail « à l’aventure » en Afrique. L’essentiel de ma préparation se résumait à un billet d’avion et à une pile de CV sous le bras. Une semaine après mon arrivée sur place, j’avais trouvé. Pour mes emplois suivants, je suis très souvent parti après une simple interview par téléphone, donc sans bien savoir dans quoi je mettais les pieds. C’est cela aussi le plaisir de partir… Trop de planification tue le plaisir de la découverte ! Mon profil est atypique en ce sens que je n’ai jamais été expatrié pour une compagnie française, mais toujours employé par des sociétés locales à l’étranger. Nul ne m’a pris par la main.
Pilote, j’ai développé au fil des années un réseau dans ma profession, qui est ma principale source d' informations sur les pays. Une fois sur place, il n’est pas rare que je trouve des « amis d’amis » via ce réseau informel. La nébuleuse des organisations vouées aux Français de l’étranger (consulat, CCI françaises, etc…) m'a en revanche semblé passablement inutiles.

L’entreprise de l’époque fut-elle à la hauteur ?
Ma première expatriation comme salarié fut au Gabon, pour une petite compagnie aérienne locale. Tous les pilotes étaient français. L’entreprise ne respectait à peu près aucune règle – en matière de sécurité ou de social – mais nous étions contents d’avoir un travail alors que la France ne nous promettait que le chômage. Le salaire était d’ailleurs plutôt bon pour l’époque et notre expérience. Mais les conditions de travail étaient telles – journées de 12 à 20 heures, pas de jours de repos, pas de vacances – que rares sont ceux d’entre nous qui restèrent plus d’un an.

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Y a t-il eu un voyage de reconnaissance au préalable ?
Non, j’ai trouvé ce travail sur place, en venant à l’aventure chercher un emploi. Par la suite j’ai travaillé dans de nombreux autres pays, mais j’avoue ne jamais avoir effectué de véritable tour de « reconnaissance ».

Quelles furent vos premières déconvenues  ?
Lors de mes douze premières années d’expatriation, j'étais célibataire. Ayant besoin de peu pour vivre, cherchant essentiellement du travail et de l’argent, rien ne m’a véritablement jamais gêné. Mes déconvenues ont été passagères, et ne méritent pas d'être mentionnées. En revanche, depuis sept ans, je poursuis ma vie à l’étranger en famille. Je suis toujours en contrat local, ce qui signifie que mon salaire est mon seul revenu – contrairement aux expatriés des grands groupes qui disposent d'un logement de fonction, d'une voiture, de leurs billets d’avions payés, d'une mutuelle, etc… Dans mon cas, en famille avec des enfants, ma vie de  Français est excessivement chère : payer sa propre assurance santé (Caisse des Français de l’Etranger – CFE), s’acquitter de 7.000 euros annuels de cotisation au lycée français etc. Bref, à moins de décider de vivre complètement « à la locale », les frais incompressibles sont très élevés. Travailler à l’étranger avec une famille et en contrat local n’est pas toujours aussi avantageux que de vivre en France.

L’expatriation est-elle une transposition de sa vie d’avant ?
Je n’ai jamais vécu en France en tant qu’adulte, donc difficile à dire. Mais j’ai observé cette « transposition de la vie d’avant » (ou du moins cette tentative de transposition) chez de nombreuses familles qui s’expatrient pour la première fois, et à l’âge mûr. Ces gens-là vivent entre familles françaises et se mélangent très peu à la vie du pays. Ce sont souvent des personnes qui ont vocation à passer moins de cinq ans à l’étranger, pour une mission simple, puis à revenir en France dans leur entreprise.
On perçoit le désir de recommencer une vie plutôt chez les Français qui viennent entreprendre à l’étranger. Je n’en suis pas, mais j’ai de nombreux amis qui ont ce profil, et leur soif d’entreprendre était impossible à étancher en France, où rien n’est fait pour aider les entrepreneurs à s’épanouir – malgré ce que prétendent nos gouvernements successifs. J’habitais jusqu’à récemment en Roumanie, et il y avait là de nombreux fermiers français venus monter des exploitations dans ce pays européen où la terre est si abordable. Pour eux, l’expatriation était un recommencement, et leur vie d’avant bel et bien derrière !

Le blues est-il inhérent à cette forme d’exil ?
Le blues vient par cycles… Notamment quand on s’aperçoit soudain qu’on passe à côté de sa vie en France : les enfants de la famille deviennent grands, les vieux meurent, et on n’est jamais là pour partager les bons comme les mauvais moments. Donc oui, c’est un blues tout particulier que celui de l’exilé. Côté intégration, au plan professionnel, à chaque arrivée dans un nouveau pays, il faut refaire ses preuves. Un peu sans doute comme lorsqu’on change d’entreprise en France, excepté que beaucoup plus de paramètres changent dans le cas de l'expatriation : environnement réglementaire, relations humaines, aspect social, pratiques en vigueur, etc., rien n’est pareil. Il faut donc être à la fois souple pour s’adapter, et fort de caractère pour savoir garder sa propre structure de travail et ses principes.
Pour l’intégration sociale, je dirais qu’il faut faire preuve d'une bonne ouverture d’esprit et savoir dire « oui » à toutes les nouvelles expériences qui s’offrent à nous, même si l’on est pas convaincu au premier abord !

Grâce aux nouvelles technologies de communication, le monde fait figure de « village » : n’avez-vous pas découvert un monde moins conforme aux idéaux ?
Il est certain que les barrières à la communication ont toujours été favorables à la diversité, et que c’est souvent cette diversité même qu’on recherche dans le voyage. D’un côté on reste un peu sur sa faim d’exotisme aujourd’hui, avec une mondialisation galopante qui aplanit les différences entre les peuples. Mais de l’autre, je suis rassuré de voir que les technologies de la communication permettent aux gens de se comprendre un peu plus facilement, rendant les relations dans le travail un peu plus aisées.

Le piège n’est-il pas de vivre en autarcie, à l’intérieur d’une communauté d’expatriés sans nouer d’authentiques relations sur place ?
Effectivement. Et est-ce réellement un piège ? Vivre exclusivement dans une communauté d’expatriés (ce qui n’est pas mon cas) est-il un échec de l’expatriation ? Après tout, c’est simplement humain. J’ai vécu un temps au Congo dans un grand village de brousse dont la démographie était simple : 30.000 Congolais, 5 Français. Et j’avoue que nous passions le plus clair de notre temps libre ensemble… Etions-nous racistes ? Sectaires ? Pas vraiment… Nous avions seulement trop peu de choses finalement à partager avec les Congolais, et les Congolais avec nous. Lorsqu’on passe sa journée à tenter de combler un fossé culturel, on est content le soir de se retrouver entre gens qui se comprennent grâce à un bagage culturel commun.

Est-ce en définitive une bonne opération « financière  » ?
On peut distinguer plusieurs cas. Pour les expatriés « purs » avec un contrat français et tous les avantages qui vont avec, c’est clairement une belle opération. Ces gens-là reçoivent essentiellement leur salaire français, plus une prime d’expatriation, mais ne déboursent quasiment pas un sou puisque l’entreprise paie quasiment tout sur place. Mais ces expatriés coûtent une fortune aux entreprises, donc leurs contrats sont en voie de disparition.
Pour les contrats locaux, il y a de tout. Certains restent une bonne affaire, et reprennent quelques-uns des avantages des contrats d’expat : le logement, ou la scolarité des enfants payée, par exemple. D'autres permettent à peine de vivre à un célibataire. Il faut, avant de partir, bien évaluer les coûts qui vous attendent sur place, dont les impôts et les charges sociales, pour savoir si une offre d’emploi est une bonne affaire ou non… sans quoi on peut avoir des surprises !
Quant aux garanties ? En contrat local, on travaille sans filet : pas d’assurance chômage, pas de retraite, une assurance maladie souvent ridicule, et surtout un droit du travail inexistant. Dans tous les pays où j’ai travaillé, on pouvait être viré du jour au lendemain, sans indemnité et sans recours. Dans certains pays où j’ai vécu, la carte de séjour dépendait directement de l’employeur – Qatar et Arabie Saoudite notamment – les employés licenciés étaient ainsi sommés de quitter le pays sous 24 heures ! Imaginez-vous entreprendre une procédure aux prudhommes dans un pays arabe contre votre employeur local ? Bref : garanties, zéro.

Aujourd’hui, êtes-vous en mission pour une entreprise française?
Je travaille pour une entreprise locale en Arabie Saoudite. Je n’ai jamais créé mon entreprise, mais j’ en ai été tenté à plusieurs reprises. Dans beaucoup de pays, contrairement à la France, les opportunités sont partout, et les entrepreneurs se régalent. L’obstacle est le plus souvent la corruption, qui peut tuer les meilleurs projets. Ma femme, quant à elle, a entrepris au Gabon et en Roumanie avec succès. On croise partout des entrepreneurs français, doués et audacieux, qui ont su faire des fortunes grâce à une bonne idée et un paquet de ténacité.

La valeur travail est-elle différente outre France ?
OUI !!! La France est un pays unique. Je travaille assez peu souvent avec des Français de France (hors expatriés de longue date), et lorsque j’en croise dans mon travail il me semble rencontrer des dinosaures tant leur notion du travail est aberrante. J’ai travaillé pendant deux ans pour une société portugaise, qui employait environ 1.100 pilotes, dont 100 Français, en majorité sans expérience du travail à l’étranger. Nous étions bien payés, le travail se passait bien, mais comme certaines règles sociales mineures n’étaient pas respectées les Français ont commencé à se rassembler, à rouspéter, puis à constituer un syndicat – le premier dans l’histoire de l’entreprise. Après trois ans de tergiversations stériles, la direction a perdu patience et a licencié tous les pilotes français. Aucun recours possible. Voici à quoi mène notre fantastique notion du travail.
Si je me vois peut-être un jour retourner travailler en France, ce sera pour une entreprise étrangère et des missions à l’étranger. Je ne pourrai jamais m’adapter au monde professionnel en France – alors que je me suis adapté celui de tous les autres pays ! Au-delà du management français, je pense que c’est le droit du travail français qui gagnerait à s’inspirer des autres cultures. L’écoute démesurée accordée aux syndicats, le parti-pris prudhommal pour les salariés, la haine du patron, le clivage public/privé, tout cela a pris une dimension anormale en France, qu’on ne trouve pas ailleurs, ou jamais dans cette proportion – avec un impact incontestablement néfaste sur la productivité et sur l’économie.
Enfin, si la valeur travail est différente en France, la valeur argent l’est aussi, malheureusement. Dans aucun pays à ma connaissance, l’argent n’est aussi mal considéré. Or l’argent est l’une des motivations majeures du travail.

Le management interculturel existe-t-il ? L’avez-vous pratiqué ?
Je ne sais pas bien… On peut distinguer deux types de sociétés à l’étranger : celles où existe un mélange local / français, et celles qui sont tout simplement un gigantesque melting pot – j’ai travaillé au Qatar dans une société employant 140 nationalités différentes…
Dans les premières, un côté prend le dessus : certaines boites sont managées « à la locale » et d’autres « à la française ». On ne peut donc pas parler de management interculturel. Dans les entreprises « melting pot » se pratique le management interculturel. J’ai volé avec des équipages où nul n’avait la même nationalité : une véritable tour de Babel – linguistique mais aussi culturelle. Je dirais que le management interculturel se résume alors à respecter deux choses : premièrement, coller aux procédures écrites – le besoin de déroger à tel ou tel point d’une procédure est éminemment culturel, on ne peut donc pas se le permettre, la moitié de l’équipe ne comprendrait pas. Deuxièmement, éviter tout sous-entendu, tout humour, tout second degré, sinon c'est le malentendu. Le management interculturel, c’est un peu plat et morne, mais hélas c’est souvent la seule méthode qui marche pour faire fonctionner des équipes aussi diverses.

Incontestablement, le CV s’enrichit mais les compétences acquises sont-elles forcement monnayables dans un autre pays ?
Je dirais qu’elles sont monnayables partout, sauf en France. J’ai ce sentiment que la France nourrit une sorte de sentiment de supériorité vis-à-vis de tout ce qui peut être fait à l’étranger – une arrogance d’ex-grande puissance ? En ce qui me concerne, revenant de mes études aux Etats-Unis, on m’a expliqué en France que ma licence de pilote américaine ne valait pas plus qu’un cadeau trouvé dans un paquet de lessive. Heureusement, personne à l’étranger n’a cette opinion. De même Air France, le grand employeur français dans ma profession, rechigne à embaucher des pilotes ayant trop travaillé à l’étranger.
Ma femme, gestionnaire de patrimoine, a eu le malheur d’écrire sur l’entête de son CV « Gestion Privée Internationale » pour postuler à un emploi en France. Il lui a été répondu : « International ? Pourquoi international ? On est en France ici madame ! » De même, au cours d’un autre entretien dans l’Hexagone : « Qatar, Roumanie ? Mais qu’est-ce que vous êtes allés faire dans des endroits pareils ? ». A l’étranger au contraire, une expérience internationale sur un CV est un gage d’adaptabilité, d’ouverture d’esprit et de capacité à travailler avec des gens différents.

Recommanderiez-vous l’expatriation à votre meilleur ami ?
Pas forcément, tout dépend de sa situation professionnelle en France. La France a beaucoup à offrir en qualité de vie et en services – éducation gratuite de qualité, système de santé peu onéreux et performant, etc. – et nombre de personnes s’y sont construit une belle vie, tant personnelle que professionnelle. Pourquoi partir à tout prix ? En revanche, je conseillerais à n’importe quel chômeur, à n’importe quel travailleur précaire allant d’intérim en CDD, et surtout à n’importe quel entrepreneur, de quitter la France pour tenter sa chance. Les opportunités ailleurs, pour les personnes désireuses de travailler, sont tout simplement plus nombreuses. Et le travail mieux valorisé.

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Envisagez-vous de revenir dans votre pays d’origine ?

Justement ! Nous comptons nous établir en France prochainement. Mon emploi saoudien me permet d’effectuer des rotations, c’est-à-dire de travailler deux mois là-bas, puis d’avoir un mois de repos où je le désire – donc en France bientôt. Mon épouse y a trouvé un emploi – difficilement. Et si nous avons hâte de retrouver nos familles et la douceur de vivre à la française, nous sommes aussi anxieux de côtoyer des concitoyens mais qui ont une mentalité si particulière.

Tout l'été, retrouvez la série « Paroles d’expat »
Prochain épisode : « L’expatriation est un accélérateur de temps »

Déjà parus, dans la même série :
« L'expatriation est une remise en question »
« Le blues est inhérent à l'expatriation »
« L'interculturel ? Un travail de communication »
« Mon boss a demandé mon départ »

Marie-Sophie Ramspacher

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