Surenchère

Des libertés en équilibre instable

Face à la surenchère de la droite après l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray, l’exécutif et les élus de gauche promettent d’éviter les lois prises sous le coup de l’émotion tout en renforçant l’arsenal antiterroriste.
par Rachid Laïreche, Laure Bretton et Jonathan Bouchet-Petersen
publié le 27 juillet 2016 à 21h21
(mis à jour le 27 juillet 2016 à 21h21)

Que faire ? A chaque nouvel attentat, la même pression. Ne pas prendre de décision concrète, de nouvelle mesure si possible fracassante, c’est prêter le flanc au procès en tétanie ou en incompétence. Affirmer qu’il suffirait de modifier la réalité pénale pour limiter la menace terroriste, c’est verser dans la facilité populiste en faisant de l’Etat de droit un obstacle à l’efficacité. D’autant que, aux cinq lois (deux sur le terrorisme, une sur la procédure pénale et deux sur le renseignement) que l’exécutif brandit en bouclier face à la surenchère de la droite, est venu s’ajouter la semaine dernière un projet de loi prolongeant l’état d’urgence, adopté une semaine pile après l’attentat de Nice.

Voté en pleine polémique sur le dispositif de sécurité du 14 Juillet sur la promenade des Anglais, le texte a intégré dans l’indifférence un paquet de mesures réclamées de longue date par l’opposition. Certaines n’ont pas grand-chose à voir avec l’état d’urgence (comme la vidéosurveillance de personnes condamnées pour terrorisme), et d’autres apparaissent juridiquement fragiles.

«On est déjà très au-delà des limites du supportable, estime un pilier de l'Assemblée. Quand la droite veut plus, c'est effrayant. Tout le monde est en train de basculer du côté obscur.» Aujourd'hui, «sauf à vouloir ériger l'arbitraire en règle de droit, je ne vois pas trop ce qu'on peut ajouter, résume un conseiller ministériel. Et, que je sache, Guantánamo n'a pas empêché Orlando ou tous les autres attentats commis aux Etats-Unis depuis le 11 Septembre».

Même s'il a renforcé l'état d'urgence depuis Nice et annoncé de nouveaux moyens financiers pour l'opération «Sentinelle», le gouvernement répète de nouveau sur tous les tons qu'il ne légiférera pas sous le coup de l'émotion après l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime). «A chaque attentat nous n'allons pas inventer une nouvelle loi», a martelé Manuel Valls, mardi sur TF1. «On ne peut pas dire à chaque attentat que c'est parce qu'il n'y a pas de réponse législative, a relayé mercredi le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll. On a modifié des lois, maintenant elles rentrent en application.» «On est sur une ligne de crête un peu compliquée, reconnaît un conseiller ministériel. C'est dur de faire comprendre à des Français choqués que, oui, on est innocent jusqu'à ce qu'on soit déclaré coupable en bonne et due forme.»

Durcissement radical

Dans un entretien mercredi au Monde, Nicolas Sarkozy a de nouveau déroulé son arsenal de mesures antiterroristes. «Que dire […] des centres de déradicalisation qui n'ont toujours pas été créés, des individus fichés S qui ne sont pas suffisamment privés de leur liberté d'aller et venir, des étrangers qui représentent une menace et qui ne sont toujours pas expulsés», lance l'ex-chef de l'Etat. A qui il importe peu que certaines de ses propositions soient déjà en place ou contraires à la Constitution. Dans son parti, certains réclament un durcissement radical de la double peine : François Fillon souhaite qu'on expulse les résidents étrangers «pour tout acte de délinquance». Thierry Solère, proche de Bruno Le Maire, revendique cette fermeté : «Partez aux Etats-Unis, retrouvez-vous devant la justice américaine, condamné pour des actes de violence. Vous savez ce qu'il va se passer ? Vous allez être viré des Etats-Unis avec une interdiction à vie du sol américain.» Le député LR n'hésite pas non plus à juger qu'un profil comme l'assassin du père Hamel devrait «passer vingt ou trente ans en détention à son retour en France» dès lors qu'il a tenté d'aller en Syrie. A l'initiative de l'opposition, les parlementaires ont prévu la semaine dernière une peine maximum de cinq ans de prison assortie de 75 000 euros d'amende pour les candidats au jihad de retour en France. Ils ont aussi acté qu'avoir séjourné dans des pays comme l'Irak ou la Syrie constituerait désormais une circonstance aggravante pour l'auteur d'un attentat.

Sous la pression d'une opinion publique choquée, certains élus de gauche, en premier lieu parmi les soutiens de Manuel Valls, joignent désormais leur voix à la surenchère, estimant inéluctable un nouveau tour de vis sécuritaire avant la présidentielle. Selon l'Ifop, la politique antiterroriste sera le critère numéro 1 des Français en 2017. Il y a ceux qui demandent à ce qu'on réfléchisse «à quelle liberté nous devons renoncer pour être en sécurité», ceux qui veulent interdire toutes les manifestations publiques ou ceux, à l'instar des députés Patrick Mennucci et Philippe Doucet, qui défendent la suppression de toute forme d'aménagement de peine dans les affaires liées au terrorisme. Une option impensable et dangereuse pour le ministère de la Justice.

Sécurité privée

Pour François de Rugy, «la pression ne cesse de monter. Les Français ne peuvent pas se contenter des formules et entendre que le gouvernement a déjà tout fait». Mais le député écolo-hollandais recommande de ne pas aller trop vite : «On devra discuter de tout ça à la rentrée et se donner un peu de temps pour adopter des mesures efficaces.» Vu l'ampleur de la tâche des policiers et des gendarmes, beaucoup, à l'instar du député PS Sébastien Pietrasanta, souhaitent la montée en charge, comme durant l'Euro, de la sécurité privée, une activité qu'il faudra encadrer davantage dans la loi.

«Hollande est couillu, défend un parlementaire légitimiste. Face à une droite irresponsable, il ne touche pas à la Constitution même si cela pourrait lui coûter la présidentielle. Les faibles en apparence sont les forts.» Mais de nombreux députés de la majorité aimeraient quand même entendre le chef de l'Etat expliquer aux Français de manière pédagogique ce qu'est l'Etat de droit et ce que les propositions de la droite représenteraient pour leurs libertés. Un petit groupe de députés socialistes promet d'ailleurs un rapport à la rentrée sur les limites légales de la lutte contre le terrorisme.

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