Le dilemme de Macron

MAJORITÉ. Dans une vidéo, le ministre de l'Economie promet de « venir » voir les Français à la rentrée. Une nouvelle provocation qui entretient les doutes sur son avenir : rester au gouvernement ou jouer sa carte pour 2017.

    Partir ou rester ? Pour Emmanuel Macron, cette question relève non pas de la rubrique « cœur » des gazettes estivales, mais bien de la politique. Le ministre de l'Economie de François Hollande est à la croisée des chemins. Il a posté hier sur le compte Twitter de son mouvement une longue vidéo de sept minutes. Chemise bleue col ouvert, visage hâlé, il annonce pour aujourd'hui la fin de l'opération Grande Marche après « 100 000 conversations » et 25 000 questionnaires récoltés par ses fidèles.

    « C'est comme si nous avions réalisé une étude qualitative à très grande échelle sur la manière dont les Français appréhendent les principales questions comme l'éducation ou le logement », se félicite Benjamin Griveaux, la « plume » de Macron.

    Cette moisson d'informations doit servir de base à l'élaboration d'un programme à l'automne (lire encadré). Sur le plan politique, Macron veut y voir une preuve supplémentaire de la croissance de son mouvement. « Nous avons gagné le droit d'être entendus », assure-t-il dans son message.

    « Rester au gouvernement entrave sa liberté »

    Sourd aux demandes réitérées et pressantes de Manuel Valls de se consacrer quasi exclusivement à sa charge ministérielle, le trublion du gouvernement se livre à une nouvelle provocation en annonçant qu'il compte bien, à la rentrée, se « déplacer longuement dans le territoire » et se « replonger dans le pays pour échanger ». Dans son entourage, on le presse à nouveau de rendre son tablier de ministre. « Les gens lui font crédit de sa sincérité et de sa clarté mais il est évident que rester au gouvernement entrave sa liberté », plaide un de ses lieutenants.

    « Comme Emmanuel n'aime pas faire les choses à moitié, j'ai le sentiment qu'il a envie de se consacrer pleinement à son mouvement », assure un autre macronien, tout en reconnaissant que le « contexte » ne se prête guère à une évasion de Bercy.

    Le retour de ce que beaucoup considèrent comme une rengaine — sortir ou pas du gouvernement — agace sérieusement dans le camp socialiste. « Cela fait très longtemps qu'il dit : Retenez-moi ou je fais un malheur, soupire François Kalfon, proche de Montebourg. Et puis la loi Macron-El Khomri a été adoptée, il n'y a donc pas de rupture claire dans le domaine politique et social, et pas non plus de distinction sur les sujets régaliens. Alors quel serait le sens d'un départ ? »

    « S'il sort, il est mort»

    Du côté des hollandais, on ne voit pas non plus très bien où Macron veut en venir. « Si François Hollande ne se présentait pas à la primaire, Macron n'a pas intérêt à sortir et nous, on n'a pas intérêt à ce qu'il sorte », estime la sénatrice Frédérique Espagnac. « Les conditions ne seront jamais réunies, poursuit Bruno Le Roux, patron des députés PS. S'il a envie d'être un jour LE candidat de la gauche à la présidentielle, il n'a pas d'autre solution que de soutenir le président pour 2017. » Un proche de Hollande est encore plus direct : « Je pense que, s'il sort, il est mort. »

    « Valls s'apprêtait à demander sa tête »

    Lors de son meeting le 12 juillet à la Mutualité, deux jours avant la traditionnelle allocution du président pour la Fête nationale, Emmanuel Macron était allé très loin dans sa manière de s'affranchir de l'exécutif, lançant au sujet de sa grande consultation des Français : « Cette histoire, elle dérange. »

    Le chef de l'Etat avait choisi la modération, tout en rappelant à son ministre qu'il y avait des « règles à respecter », notamment de « solidarité », et de « servir ». Mais l'incident aurait pu ne pas en rester là. « Macron a eu de la chance que l'attentat de Nice bouscule toute l'actualité, car Valls s'apprêtait à entrer dans le bureau du président pour demander sa tête », confie un familier de l'Elysée.

    Chez les vallsistes, en tout cas, on ne décolère pas. « Je ne me suis pas engagé en politique voilà plus de vingt ans pour m'extasier devant un rond-de-cuir devenu Brutus, lâche le sénateur Luc Carvounas. C'est au président d'appliquer la règle qu'il a énoncée le 14 juillet, alors que Macron promet une tournée en province. S'il ne le fait pas, ce sera à mes yeux une marque soit de faiblesse, soit de complicité. »

    Emmanuel Macron renoncera-t-il à ses projets ? Peut-il encore quitter le navire sans donner le sentiment d'une désertion ? « A ce stade, la discussion sur sa sortie du gouvernement n'est pas tranchée », reconnaît prudemment un de ses proches. La rentrée s'annonce en tout cas aussi chaude que compliquée pour le ministre de l'Economie.

    L'étape 1 de sa Grande Marche est terminée

    La Grande Marche, lancée au printemps par le ministre de l'Economie, se voulait une opération destinée à sonder pendant deux mois les Français sur les principaux sujets du moment : éducation, santé, sécurité, logement. Elle se termine aujourd'hui vient d'annoncer Macron. Les données récoltées par les « 100 000 conversations » et les « 25 000 questionnaires » ont fait l'objet d'un traitement numérisé. Elles vont être compilées durant le mois d'août et enrichies avec l'apport d'experts. La seconde étape consistera pour Macron et son mouvement En marche à construire une offre politique qui ne s'apparentera pas à un programme classique : « Seulement cinq ou six axes avec des objectifs mais aussi une méthode pour réformer. » Le troisième étage de la fusée sera la présidentielle elle-même : « Qui pour porter cela ? » résume un lieutenant. Mais là, même s'il est peu probable que Macron se dressera sur le chemin de Hollande s'il est candidat, l'histoire est loin d'être écrite.