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Récit

Il dénonce des photos pédopornographiques et se fait licencier

Après avoir découvert des contenus explicites sur le disque dur d'un salarié, un informaticien, délégué syndical, du groupe Transdev, a alerté sa direction... qui l'a aussitôt mis à pied pour manquement à la sécurité.
par Amandine Cailhol
publié le 29 juillet 2016 à 13h14

Pour le Syndicat national des transports urbains (SNTU) de la CFDT, il est «un lanceur d'alerte en passe d'être licencié». Mais pour son employeur, la CTPO, en charge du réseau de bus urbains du Havre (une filiale de Transdev), il est d'abord coupable d'un «manquement avéré à ses obligations professionnelles». D'où la lettre de licenciement qui lui a été envoyée le 15 juillet. Deux semaines plus tôt, le 28 juin, cet informaticien d'une trentaine d'années se présentait dans le bureau de son directeur pour «signaler des photos pédopornographiques» découvertes sur du matériel informatique que lui avait confié un de ses collègues, explique Eric Hugon, le secrétaire général du SNTU-CFDT. Quelques heures plus tard, il se retrouvait mis à pied. «Une surprise», raconte l'intéressé, même s'il précise que depuis près d'un an, ses relations avec sa direction s'étaient dégradées.

«Manière désintéressée»

«Un salarié m'a demandé de récupérer les données professionnelles d'un disque dur externe. Ce que j'ai fait. Mais quelques jours plus tard, je me suis rendu compte que ce dernier contenait aussi quelques données personnelles. En faisant une recherche, je suis tombé sur des fichiers explicites de pédopornographie et je suis allé avertir ma hiérarchie», raconte l'informaticien. «Sous le choc», il pense alors trouver un soutien. Mais c'est «seul, sans aide ni accompagnement de l'entreprise» qu'il part déposer plainte, le lendemain, après avoir été mis à pied, explique la CFDT. S'ensuit une procédure de licenciement, pour l'heure aux mains de l'inspection du travail qui, compte tenu du statut de salarié protégé du représentant syndical, doit statuer sur sa validité.

De quoi mettre en colère le syndicat : «Le délégué du personnel a agi de manière désintéressée et de bonne foi pour révéler un délit dont il a eu personnellement connaissance. A ce titre, il devrait être soutenu et protégé, et non réprimé pour cet agissement courageux.» Mais pour la direction de la CTPO, qui a également signalé les photos à la police et lancé, en parallèle, une procédure disciplinaire à l'encontre du salarié propriétaire du disque dur, l'informaticien a bien commis une erreur. Sa faute ? Avoir introduit les données issues d'un disque dur personnel, n'appartenant pas à l'entreprise, sur un des serveurs de la société. «Et non d'être venu nous voir», précise la direction.

«Discriminations syndicales»

Dans l'entreprise, certains s'étonnent de cette décision, jugée sévère, et se demandent si ce n'est pas là «occasion de se débarrasser d'un militant syndical qui faisait bien son boulot». D'autant que l'informaticien assure, de son côté, qu'il n'était pas au courant que ce disque dur appartenait à son collègue et non à la société. «Délégué du personnel ou pas, cela ne change rien à la faute», répond Sylvain Picard, le directeur de la CTPO. Pas de quoi convaincre la CFDT, qui souligne que «les exemples de discriminations syndicales ne manquent pas» au sein du groupe Transdev dont dépend l'entreprise.

Selon le syndicat, l'informaticien, délégué du personnel depuis 2015, en aurait d'ailleurs déjà fait les frais. Il aurait ainsi «été menacé par deux fois par sa direction pour son militantisme et notamment le fait qu'il se bat pour faire appliquer aux agents de maîtrise les dispositions de la convention collective». «Lors d'une négociation, le directeur m'a accusé de travailler pour la concurrence et d'être un espion», abonde l'informaticien. Ce que confirment des témoins. Mais Sylvain Picard, lui, explique ne pas se souvenir d'avoir prononcé ces mots. Ajoutant toutefois : «Des moments de tension, il y en a dans toutes les entreprises.»

Préavis de grève

Interrogés par Libération, les syndicalistes de l'entreprise évoquent un dialogue social tendu au sein de la société. Un climat dégradé également pointé du doigt par l'inspection du travail. La faute à «une guerre de personnes et de lutte de pouvoir» entre les syndicats, selon Frédéric Anthoo, délégué syndical FO qui se félicite, en parallèle «des rapports normaux existant avec la direction». «Il y a eu une recomposition syndicale ces dernières années, accompagnée de tensions, mais cela n'empêche pas de signer des accords. Le dialogue social a lieu, même s'il est un peu plus compliqué», abonde le directeur.

Un avis loin d'être partagé par le délégué syndical de l'Unsa, Christophe Anger. Selon ce dernier, «tous les représentants du personnel en opposition avec la politique de la direction sont dans le collimateur de la direction». Et d'ajouter : «C'est vrai qu'il y a des tensions entre certaines organisations syndicales, mais la direction s'en sert et entretient les polémiques et les alimente.» Quant au dialogue social au niveau du groupe, il ne serait guère en meilleur état, selon la CFDT, qui note un «durcissement» de la direction. D'où le préavis de grève, déposé à l'échelle du groupe, pour le 1er septembre, afin de défendre son délégué syndical et de «dénoncer les pratiques indignes du groupe».

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