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Trésors pillés : « La France doit répondre positivement à la demande du Bénin »

Le 27 juillet, le Bénin a officiellement demandé à la France de restituer les trésors pillés pendant la colonisation.

Publié le 01 août 2016 à 15h02, modifié le 02 août 2016 à 10h04 Temps de Lecture 4 min.

Un visiteur du musée du Quai Branly-Jacques Chirac devant une statue en cuivre d’un coq, lors de l’exposition « Bénin, Cinq siècles d’art royal », en 2007.

C’est une nouvelle importante : le gouvernement du Bénin demande à la France de restituer les trésors pillés pendant la colonisation. Pour ce qui est des anciennes colonies d’Afrique subsaharienne, c’est une première. La décision a été prise lors du conseil des ministres du 27 juillet dernier. Le porte-parole de la présidence s’est exprimé en ces termes : « Le ministre de la culture et du tourisme a engagé des négociations avec les autorités françaises et l’Unesco pour le retour au Bénin de ces biens culturels ».

Depuis quelques années, le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN), on le sait, fait campagne pour la réparation des crimes liés à l’esclavage et à la colonisation. La restitution est évidemment une des modalités de la réparation. Selon Aminata Traoré, ancienne ministre de la culture du Mali, 95 % du patrimoine culturel matériel de l’Afrique est en dehors de l’Afrique. Il s’agit en général de biens qui, pendant la colonisation, ont été volés, voire pillés, ou à tout le moins acquis dans des conditions très discutables. En Occident, on parle parfois des « biens mal acquis » des présidents africains, il faudrait également parler des biens mal acquis de l’Occident…

Le 10 décembre 2013, le CRAN organisait une visite surprise au musée du Quai Branly pour montrer à la presse française les trésors pillés par les armées coloniales au Bénin. Le même jour, Le Monde publiait une tribune signée par Nicéphore Soglo, ancien président du Bénin, et par moi-même dans laquelle nous demandions la mise en place de cette restitution. Comme nous le disions, « au musée du Quai Branly se trouvent les récades royales, le trône de Glélé, les portes sacrées du palais et plusieurs autres objets de grande valeur issus du pillage de 1894. Tous ces biens mal acquis doivent retourner dans leur pays d’origine, où se trouve leur place véritable… La politique du dialogue interculturel ne saurait s’accommoder du pillage interculturel ».

Lire aussi (en édition abonnés)  : Article réservé à nos abonnés Et si l’on rendait à l’Afrique son patrimoine ?

Une demande officielle longtemps différée

Sollicitées à ce sujet, les autorités françaises avaient répondu qu’elles n’y étaient pas opposées, à condition que le gouvernement béninois en fasse la demande expresse. Le CRAN-France et le CRAN-Bénin avaient donc interpellé les dirigeants béninois. Mais malgré une bonne volonté affichée, et affirmée publiquement, pendant plus de deux ans, ceux-ci ne cessèrent de différer toute démarche. Une certaine indifférence à l’égard des choses de la culture, la crainte en agissant ainsi d’indisposer les dirigeants français, la peur d’éventuelles représailles, telles sont les raisons qui, sans doute, expliquent l’absence d’avancée concrète pendant longtemps.

Dans ces conditions, nous avions alors mobilisé le roi d’Abomey pour le sensibiliser à ce problème. En tant qu’héritier légitime de ces trésors, lui aussi avait le droit de formuler une demande de restitution. Il avait donc prié les autorités béninoises d’adresser à la France une requête en ce sens. En vain.

Parallèlement, le Prince Guézo, hériter lui aussi des familles royales du Bénin, avait interpellé à ce sujet le président Hollande. Certains membres du cabinet y étaient plutôt favorables, mais Hélène le Gal, conseillère Afrique de l’Elysée, lors d’une audience en juillet 2015, expliqua qu’il n’y avait pas eu de pillage colonial. Simplement, en 1894, juste avant d’être déporté en Martinique, aux armées françaises qui venaient de le renverser, le roi Béhanzin avait, dans un geste magnanime, offert son sceptre royal, son trône, les portes sacrées du palais, les statues non moins sacrées de son père et de son grand-père, et tout cela, librement, « conformément au droit international ».

Nous avons demandé à cette inénarrable conseillère si le Quai Branly avait gardé quelque archive ou certificat permettant de confirmer les circonstances de cette étonnante donation. Malheureusement, ce document n’a jamais été retrouvé, et pour cause. C’est donc cette version de l’histoire, digne à la fois du révisionnisme le plus sombre et du Gorafi le plus cocasse, qui était soutenue devant Serge Guézo et devant moi-même par la Conseillère Afrique de l’Elysée.

Au fil des mois, nous avons sollicité d’autres partenaires internationaux comme l’ENAR (European Network Against Racism), l’ERC (European Reparation Commission), le Forum des rois et leaders traditionnels d’Afrique, le groupe des ambassadeurs africains de l’Unesco, et forts de ces soutiens, nous avons interpellé le président Talon, sitôt son élection.

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Aujourd’hui, avec la demande officielle du gouvernement béninois, une étape décisive a été franchie. Reste à attendre la réponse des autorités françaises. Depuis plusieurs mois, François Hollande a progressivement compris la nécessité de la réparation. Le 10 mai dernier, par exemple, il a annoncé la mise en place d’un musée et d’une fondation pour la mémoire de l’esclavage, comme le demandaient le CRAN et 120 autres associations.

« Réduire le contentieux avec les anciennes colonies »

Cette restitution serait évidemment une excellente chose pour le Bénin. Elle constituerait une source légitime de fierté nationale, de connaissance historique, mais aussi de profits matériels, dans le cadre de la politique du président Talon visant à renforcer le tourisme mémoriel dans le pays. Elle serait aussi une excellente chose pour la France, car elle permettrait de réduire quelque peu le contentieux avec les anciennes colonies, qui pèse de plus en plus sur les relations diplomatiques et les échanges commerciaux.

En effet, du fait de la mondialisation, les pays émergents ne sont plus dans un face à face obligé avec l’ancienne métropole, et le ressentiment, autrefois impuissant, trouve de plus en plus à s’exprimer dans la logique du choix des partenaires économiques. En d’autres termes, ceux qui refusent de réparer le payent de plus en plus cher, même quand ils l’ignorent.

En ce 1er août 2016, jour de fête nationale au Bénin, il convient de saluer le gouvernement de M. Talon qui a formulé cette demande proprement historique. Il convient d’inciter le gouvernement français à y répondre positivement et rapidement. Et il importe aussi que les autres pays africains agissent de même auprès des anciennes métropoles.

Par Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) et de la European Reparation Commission.

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