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Série

29 octobre 1969 Le premier bonjour d'Internet

Des étudiants de deux universités californiennes échangent un premier message en passant par Arpanet, l'ancêtre du réseau mondial.

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Par Florian Dèbes

Publié le 2 août 2016 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Son nom n'est pas entré dans l'histoire ni même dans l'encyclopédie Wikipédia. « Ce soir-là, je ne me doutais pas que ce que je faisais allait avoir une signification particulière », reconnaissait encore Charley Kline il y a quelques mois, devant un journaliste américain du site Web Ozy. A vingt et un ans, cet étudiant en informatique de l'université de Californie à Los Angeles (Ucla) n'avait rien d'extraordinaire, si ce n'est qu'il travaillait pour l'Arpa, l'Agence des projets de recherche avancés, financée par l'armée américaine. A ce titre, il est pourtant l'un des deux premiers internautes ou, devrait-on dire, arpanautes, puisque c'est bien de l'Arpanet, l'ancêtre du réseau mondial, dont il est question ici.

Ce 29 octobre 1969, Charley Kline assiste le professeur Léonard Kleinrock dans l'envoi inédit d'un message entre deux ordinateurs distants. Plus de 500 kilomètres séparent le centre de recherche de l'Ucla de celui de Stanford. A terme, l'Arpanet doit devenir un réseau de centres de recherche. L'objectif est de mieux organiser la recherche et d'éviter que deux scientifiques travaillent sur les mêmes hypothèses sans le savoir. Plus économe, il doit aussi permettre aux spécialistes d'exploiter le même ordinateur central, très coûteux, sans se déplacer pour leurs calculs.

« Un message prophétique »

En liaison téléphonique avec un autre étudiant de l'université de la région de San Francisco, Charley Kline paramètre les routeurs, sorte de mini-ordinateurs inventés pour l'occasion, qui reconstituent en message intelligible les données envoyées par le réseau. A 22 h 30, il tape un « L » sur la console. Stanford le reçoit. Il poursuit avec un « O ». Stanford reçoit aussi. Il tente de taper un « G » mais le système plante à ce moment-là. Le mainframe Sigma 7 aux 128 kilo-octets de mémoire et 24 mégaoctets d'espace disque - beaucoup moins puissant qu'une clef USB d'aujourd'hui - n'a pas tenu. Qu'importe, deux ordinateurs sont bien entrés en contact et l'un a dit à l'autre « lo ». Une heure et quelques réglages plus tard, l'intégralité du message, « login », arrive finalement.

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« Si vous y réfléchissez, L et O font "hello" », fait remarquer Leonard Kleinrock au journaliste d'Ozy, c'est un message plus court, plus puissant et plus prophétique que tout ce qu'on aurait pu souhaiter ». Vrai, le succès de l'Arpanet ouvrira la voie à d'autres réseaux. Vinton Cerf et Robert Khan, deux autres étudiants proches de Leonard Kleinrock, les connecteront entre eux avec leur invention du protocole TCP/IP donnant naissance à Internet. La suite est connue : à mesure que les consommateurs du monde entier s'équipent en ordinateur personnel puis en smartphone, ils se salueront de plus en plus via des courriers électroniques puis des réseaux sociaux en ligne, des visioconférences et des messageries.

Mais, en 1969, difficile d'imaginer tout cela. L'un des pères théoriques du projet avait eu beau évoquer l'idée d'une « bibliothèque du futur » et d'un « réseau intergalactique d'ordinateurs », le sujet ne passionnait pas les foules. Ce n'était pas le Pérou ni même la Lune, contrairement aux spectaculaires premiers pas extraterrestres de Neil Armstrong qui avaient tenu éveillé le monde quelques mois plus tôt. Ce soir d'octobre, l'étudiant et son professeur se sont simplement félicités de confirmer l'intuition scientifique de leurs patrons et des experts qui les avaient précédés. Un réseau décentralisé et l'envoi de messages en plusieurs paquets de données permettent de connecter plusieurs ordinateurs à distance. Parier que, cinquante ans plus tard, l'humanité se féliciterait davantage des progrès de l'informatique que d'une conquête spatiale au ralenti aurait été alors bien audacieux. Charley Kline ne feint pas la modestie.

Surtout, le doctorant a conscience de faire partie d'un groupe de travail collaboratif. La tradition de la recherche militaire, encadrée par la hiérarchie, s'est vue renverser par la quarantaine de chercheurs et étudiants sensibles aux idéaux de la jeunesse des années 1960, explique Walter Isaacson dans son livre « Les Innovateurs » (édition JCLattès). Issus de quatre centres de recherche différents, ils s'autogèrent sans chef. Tout juste, l'un d'eux a accepté de prendre le rôle d'animateur de cette communauté. Pour définir le standard des routeurs, ils rédigent de successives versions d'un document titré « Appel à commentaires ».

Le succès de l'Arpanet ne doit pas faire oublier les travaux qui ont suivi. « Il n'y a pas vraiment de premier jour d'Internet car beaucoup de gens faisaient des choses dans différents endroits », se rappelle Louis Pouzin, le père de Cyclade, le premier réseau français. Mais ce jour d'octobre a compté. Un mois après, l'Ucla et Stanford sont reliées en permanence via Arpanet. En un an, vingt universités américaines sont connectées. Dix ans plus tard, elles seront 200, y compris outre-Atlantique.

Florian Dèbes

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