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Crime

Le président philippin avait promis un bain de sang pour endiguer le trafic de drogue — il a tenu sa promesse

Rodrigo Duterte est entré en fonction il y a un mois, promettant de protéger les groupes d’autodéfense qui tuent des dealers de drogue. Les gens l’ont pris au mot, et c’est un massacre.
Le président philippin Rodrigo Duterte après son premier discours à la nation. Photo de Francis R. Malasig/EPA

Cela fait désormais un mois, depuis vendredi dernier, que le président des Philippines Rodrigo Duterte est entré en fonction. À son arrivée au pouvoir, il avait promis de tuer les dealers de drogue et d'appliquer au niveau national les méthodes qu'il avait mises en place quand il était maire de la ville de Davao — à savoir, faire diminuer la criminalité par la force et grâce à des escadrons de la mort.

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« Une fois président, le nettoyage ne se fera pas sans effusion de sang », avait-t-il promis pendant sa campagne.

Cette promesse n'était pas qu'un discours de campagne. Il l'applique aujourd'hui de manière littérale.

Dans les 30 jours qui ont suivi son entrée en fonction, ce sont en moyenne 35 criminels présumés qui ont été tués chaque jour dans les rues des villes philippines, soit par la police, soit par des groupes d'autodéfense autoproclamés. Cela représente autant de morts chaque jour que pendant les cinq premiers mois de l'année.

« Tuez-le, et je vous donnerai une médaille », avait déclaré Duterte à propos des dealers de drogue.

Selon une « Kill List » (une liste des personnes tuées), entretenue parThe Philippine Daily Inquirer, l'un des principaux journaux locaux, depuis que le président est entré en fonction, au moins 420 personnes ont été tuées parce qu'elles étaient suspectées d'être des dealers de drogue. Au moins 122 ont été abattues par des tueurs à gages ; le reste a été tué par des policiers. A contrario, 39 personnes au total avaient été tuées entre le 1er janvier 2016 et le 8 mai, le jour avant que Duterte ne gagne les élections présidentielles.

La liste est mise à jour grâce aux journalistes de l'Inquirer. Mais ils ne peuvent pas enregistrer toutes les morts. « La véritable "kill list" est bien, bien plus fournie », a assuré Sara Pacia, une journaliste qui aide à réaliser le décompte.

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Redentor Manalang était l'une des personnes tuées. Il a été abattu d'une balle dans la tête le dimanche 24 juillet, dans une rue résidentielle paisible de Pasay, un quartier au sud de Manille. On a retrouvé son corps sur son tricycle motorisé, un panneau en carton taché de sang accroché dessus avec un avertissement en tagalog : « Drug pusher ako. Huwag ako tularan. » (« Je suis un revendeur de drogue. Ne m'imitez pas. »)

Plus tard cette nuit-là à Pasay, sur le trottoir d'une rue principale, Jennelyn Olaires pleurait alors qu'elle tenait tendrement le corps de son compagnon, Michael Siaron. Son sang trempait ses vêtements et séchait en laissant des traces sur sa peau. Siaron, un conducteur de vélotaxi, a aussi été abattu dans la tête, de nouveau par des assaillants anonymes, qui ont laissé une autre pancarte près du corps, annonçant la même chose.

Siaron avait commencé à consommer des drogues il y a un an, a raconté Olaires. Mais elle a insisté sur le fait qu'il n'en vendait pas. « Nous avons acheté le dîner avec les 80 pesos (1,70 dollar) qu'il a gagné aujourd'hui. Il est juste sorti ce soir pour essayer de gagner un peu d'argent pour le petit-déjeuner », a-t-elle expliqué. « S'il revendait de la drogue, pourquoi vivrions-nous dans une cabane près de la rivière ? »

« C'est tellement cruel de la part de la personne qui a fait ça », a déclaré sa soeur. « Ils ont tué la seule personne qui trouvait de quoi vivre pour nous. »

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Siaron et Manalang ne portaient pas d'armes, et ils étaient de petits consommateurs de meth — un fléau qui ronge ce pays de près de 100 millions d'habitants. La hausse du nombre de tueries extrajudiciaires ne fera rien pour arrêter ça, a expliqué Jose Manuel Diokno, un avocat qui est à la tête du Free Legal Assistance Group : « Les pauvres en font les frais. Ce ne sont pas les personnes qui contrôlent le trafic de drogues. »

La police nationale philippine a déclaré qu'elle s'opposait aux tueries extrajudiciaires, et selon le surintendant principal de la police et porte-parole Dionardo Carlos, ils poursuivront chaque tuerie comme un meurtre. Mais le système judiciaire est notoirement inefficace aux Philippines. Une récente étude a classé le pays comme celui avec le plus haut niveau d'impunité criminelle au monde, devant le Mexique, la Russie ou la Colombie. Des assassins perchés sur des motos continuent de tirer sur des personnes en public, ne craignant pas de se faire attraper.

Et, en réalité, la police est incroyablement désinvolte à propos des tueries.

« C'est vrai qu'il y a une hausse », a déclaré Carlos, « mais à la fin de la journée, regardons-nous ça comme une augmentation hors de contrôle, ou est-ce que ces meurtres permettent de combattre les trafics de drogue ? »

Selon les statistiques de la police, Carlos a raison. De juillet 2015 à juillet 2016, Manille a vu la criminalité chuter de 38 pour cent — mais il y a un hic dans les chiffres : les infractions liées à la drogue sont peut-être en baisse, mais les données indiquent aussi qu'il y a une hausse de 57 pour cent des meurtres avec préméditation et une augmentation impressionnante de 125 pour cent des homicides.

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Alors, les dealers de drogue et les consommateurs se rendent à la police par centaines de milliers, pour éviter de se faire tuer par des groupes d'autodéfense armés, que les policiers laissent se promener en toute liberté.

Après tout, c'est le président lui-même qui a autorisé les gens à rendre justice eux-mêmes.

« N'hésitez pas à nous appeler, à appeler la police, ou à passer à l'acte vous-même si vous avez un pistolet, vous avez mon soutien », a déclaré Duterte sur la télévision nationale le mois dernier.

Le même dimanche, dans une autre avenue paisible de Pasay, le corps de Ryan Alfred Esquivel était étendu contre le bord du trottoir, un flot de sang coulant le long de la pente jusqu'au centre de la route. Un autre panneau en carton le désignait comme un dealer de drogue. Au moins sept personnes ont été tuées par des groupes d'autodéfense cette nuit-là.

« Nous sommes fatigués d'embaumer les morts, parce qu'ils sont si nombreux », a déclaré Alejandro Ormanita, l'embaumeur qui est allé chercher le corps d'Esquivel. « Mais nous supportons cette difficulté, parce que nous le faisons pour le président. »


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